NIVELLEMENT PAR LE BAS.

On raconte qu’un jour un homme du peuple a fait au grand poète Abou Tamam le reproche suivant : Pourquoi ne dites-vous pas des choses qu’on peut comprendre ? Ce à quoi il aurait répondu : Et pourquoi ne comprenez-vous pas les choses que je dis ?

Anecdote ? Peut-être. Mais la leçon qu’elle contient ne l’est certainement pas.

Abou Tamam aurait pu céder aux exigences de la plèbe et descendre à son niveau. Mais il a choisi de résister aux voix de la facilité, obligeant ceux qui ont la volonté et la capacité de le faire de se hisser à haut niveau.

Max Weber disait la même chose mais autrement : il faut, disait-il, mettre la démocratie là où il faut, quant au savoir, il est affaire d’aristocratie intellectuelle.

Le nivellement par le bas était une maladie à laquelle le corps social résistait tant bien que mal. Mais l’avènement de l’Internet et des réseaux sociaux, qui n’ont pas fait que le servir, ont accéléré les effets de cette maladie et ses ravages. La démocratisation à cet effet pervers: pour vulgariser le savoir, elle le rend souvent vulgaire. C’est ce constat d’échec qui a poussé Umberto Éco à dire que ces réseaux ont donné le droit à la parole à une légion d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’aux bars et ne causaient aucun tort à la collectivité, regrettant qu’aujourd’hui ils ont le même droit à la parole qu’un prix Nobel.

Pire, cette maladie du nivellement par le bas ne touche pas uniquement la plèbe. Elle a de nos jour l’élite pour victime. Ils suffit d’assister à un cour, à quel niveau que ce soit, pour voir comment le maître est devenu incapable de hisser l’apprenant à son niveau, quand son niveau est honorable, et quand il ne puise pas ses cours de la même source que lui et que Google met à la disposition de tous. Il suffit aussi de naviguer sur la toile pour voir le succès que reçoit le ridicule au détriment du sérieux et l’ignorance au détriment du savoir.