NOUS SOMMES DES GRENOUILLES.

L’allégorie de la grenouille, que nous voyons toujours à une échelle individuelle, fait le même effet à l’échelle de l’humanité entière. Elle part d’une expérience simple pour aboutir à une grande morale.

Si on met une grenouille dans un récipient d’eau chaude, elle saute par instinct, et ainsi elle sauve sa peau. Mais si au contraire on la met dans de l’eau froide et qu’on allume le feu, elle se plaira dans la chaleur qui augmente graduellement de froide, à tiède, puis à brulante. Et, comme paralysé, l’amphibien y restera jusqu’à ce qu’il perd la vie dans l’eau bouillante.

Il en va ainsi de l’homme et de l’humanité. Pris au piège du progrès scientifique et technologique, ils goûtent aux plaisirs du confort et de la facilité qu’ils procurent. Tout ou presque devient pour lui facile et agréable, il suffit d’y mettre le prix. Les distances sont réduites, les frontières culturelles et linguistiques ont sauté, les fictions deviennent réalité en une décennie, les rêves sont accessibles, et l’homme, du fin fond de sa misère, voit, à travers satellites et écrans, la vie aisée qu’il ne voyait pas dans son état primitif. Et, rien ne pouvant l’arrêter, il prend tous les risques pour s’approprier le monde et prendre, par la force s’il le faut, sa part du bonheur.

Mais dans la grande casserole, la douce chaleur de l’eau augmente et les sept milliards de grenouilles commencent à la sentir piquer leur peau. Les dangers du réchauffement climatique, qui atteint le stade du bouillonnement, sont devenus une réalité quotidienne que même les climatosceptiques les plus patentés ne nient plus. Et chaque homme, où qu’il soit sur terre, sent les effets et paye, peu ou prou, le prix des dégâts d’un temps révolté et d’un dérèglement que l’on dit irréversible.

La douceur, la montée en puissance de la chaleur, est dans la nature-meme du progrès. Celui-ci prend son temps. Il commence de rien, d’une roue ou d’un feu découvrets par hasard, et il finit par mettre les pieds sur la lune, puis par poser des machines sur Mars, jusqu’à envoyer des espions remonter le temps jusqu’à ses débuts et filmer le commencement de l’univers, c’est-à-dire de ce qui allait devenir le TOUT.

Partir d’une roue pour parvenir à atteindre les confins de l’univers et le grand commencement, en passant par une infinité de réalisations qu’on ne rêvait pas jusqu’à ce qu’elles adviennent, ça a nécessité un immense effort et un exceptionnel génie collectif qui a traversé les âges dans un processus très long d’accumulation et d’amélioration de petites choses, créés, inventées et découvertes, parfois anodines, parfois révolutionnaires.

Découvrir, inventer à partir de rien et laisser le temps au temps pour aller toujours au-devant, toujours plus loin, c’est, en sommes, cela le progrès humain. C’est en sommes l’eau qui se réchauffe dans le récipient immatériel qui nous emprisonne et duquel nous ne pouvons plus sauter. C’est cela, en sommes, l’allégorie de la grenouille appliquée à la condition humaine.

Avant la révolution numérique, c’était nos corps qui était pris au piège du progrès. Depuis ce sont nos esprits. Nos vies ne sont plus les mêmes qu’il y’a vingt ans. Que seraient-elles dans vingt ans. Qui peut s’aventurer à le prévoir à part ces prophètes du transhumanisme et du posthumanisme qui nous disent que, qu’arrivé un temps singulier, c’est-à-dire dans 30 ans, nous serons moitié humains moitié machines intelligentes, jusqu’à complètement disparaitre en tant qu’humains, vaincus définitivement par notre horrible création qu’est l’IA, ce truc qui ne nous facilite la vie que pour nous annihiler en definitive, jusqu’à ce que docteur Jekyll disparaisse sous la main fatale de mister Hyde.

En mai 1997, le champion d’échecs Garry Kasparov s’était mesuré a ce qui était alors un superordinateur, Deep Blue, pour voir qui de l’homme ou de la machine est le plus intelligent. Ce bras de fer, vu rétrospectivement, est une plaisanterie. Après 25 ans, la cause est définitivement entendue.

Kasparov-Deep Blue, c’était un combat sur le plan de logique et de la raison pure, un combat perdu par l’homme depuis. Aujourd’hui se passe un autre combat, celui de l’émotion. Qui dans cet ultime champ de bataille l’emportera? On était sûr que l’homme avait le monopole de la passion et du coeur, des émotions, de l’alchimie des lettres. Il est claire que là encore l’homme se met le doigt dans le nez.