c’était un jeudi en fin d’après midi du 12 juin 2011 , après avoir passé un bon moment dans une plage de Bousfer, nous (votre serviteur et un ami) décidâmes de rentrer vers Oran pour ensuite prendre un taxi vers Sidi Bel-Abbès. Nous interpellâmes le gérant du restaurant où nous nous sommes rassasiés suite à la terrible faim qui s’en suit à la natation.
« Peux-tu nous débrouiller un clan pour nous ramener à Ain El Turk » avais-je lancé à mon interlocuteur, au moment où nous sortions de son bel restaurant.
« Attendez ! il faut que je sache où se trouve notre ami Kadiro, c’est un « clan », il est très gentil et vous conduira où vous voulez!
Il composa un numéro sur son portable et attendit quelques instants avant de lancer : «Salam ! où est-tu ? J’ai deux clients pour toi à ramener à Ain El Turk.
Il se retourna vers nous et dit :
« Vous avez de la chance, il est dans les environs et sera là dans moins de cinq minutes. »
Effectivement, Kadiro rappliqua au bout de quelques minutes sur sa Clio bleu presque neuve. Il nous fit signe de monter. J’ai pris la première place. La distance n’était pas aussi longue mais dans les premières minutes du trajet qui allaient suivre, notre discussion déboucha sur la partie sensible qui m’incita à faire ce papier. C’est à une question routinière concernant ce métier de “clandestin” que notre chauffeur après s’être rassuré de nos bonnes intentions et qu’effectivement nous étions de passage dans la région qu’il nous lança avec amertume et regret :
« Écoutez ! je vivais en France et gagnais le plus décemment ma vie depuis novembre 2008 jusqu’à ce mois de février 2011 et allais même avoir le sésame pour résider continuellement si ce n’était les évènements de la Libye qui ont bouleversé et basculé ma vie pour me retrouver ici à faire ce boulot de chauffeur clandestin. »
Un boulot qu’il n’aime pas réellement, lui qui vient de compléter à peine ses vingt-quatre ans, « mais il faut gagner sa vie » dit-il, « en attendant de voir des jours meilleurs ». Et c’était là où notre curiosité s’accentua et lui lançâmes :
« Pourquoi vous dites les évènements de Libye ? »
« Vous savez, j’étais “Harrag” et je n’avais pas de papiers “réglo”. J’étais installé à Paris , des amis m’ont alerté sur une probable régularisation que l’Espagne allait entreprendre au cours de cette année (2011) pour certains “harragas” et d’ailleurs on m’avait déjà informé pour des raisons que j’ignore (loi Européenne ?) que je devais régulariser ma situation dans le premier pays où j’étais recensé, cette régularisation pourrai être obtenue en Espagne où j’ai débarqué pour la première fois par la voie maritime (harrag) avec mon Zodiac et non pas en France. Ainsi, j’ai décidé de retourner en Espagne pour s’enquérir et accélérer dans la mesure du possible cette régularisation qui me permettait d’obtenir mes papiers et pouvoir retourner en Algérie librement surtout pour voir ma famille qui vient de perdre mon père juste quelques mois avant mon interception par la police Française.
C’était au cours du trajet vers l’Espagne, il y avait plein de barrages de police qui ont été multipliés un peu partout et surtout aux frontières, c’était justement à cause de la révolution en Libye qui a déclenché une masse de harragas du continent Africain.
Le sujet devient intéressant pour moi qui y voyait une belle histoire à écrire dans un journal électronique, d’ailleurs ce qui me poussa à lui demander s’il n’y voyait pas d’inconvénient de faire un papier. Il acquiesça de sa tête et me dira :
« Vous pouvez écrire ce que vous voulez. »
« Bon! peux-tu nous dire comment as-tu fait pour atteindre les côtes Espagnoles, raconte-nous un peu depuis le début ».
« Vous savez, j’ai participé à plusieurs opérations de “harga ” , celles-ci m’ont inspiré beaucoup et du coup je me suis retrouvé bien informé sur les astuces et les difficultés de la traversée sans le savoir . Ainsi, me vint à l’esprit que «conduire un zodiac ou une autre barque motorisée pour traverser les 150 kilomètres qui nous séparent de l’autre rive, me semblait facile . D’autant plus que j’ai assisté à plusieurs tentatives qui ont réussi. »
« Qui es ce qui t’a poussé à affronter la mort ? » lui avais-dit
« Réellement l’idée de “Harga”, ne m’est venue que lorsqu’on m’a licencié abusivement et arbitrairement de mon boulot, j’avais un bon boulot et je travaillais dans cette société jusqu’au moment où on me signifia que le poste que j’occupais a été retiré de la nomenclature et donc j’étais devenu pléthorique, une sorte de licenciement déguisé pourtant la société était en bonne santé financière. »
« Tu es devenu Hitiste (chômeur) ? »
« Oui, j’avais 21 ans sans ressources aucunes, il fallait subvenir à mes besoins personnelles et familiales, je ne pouvais supporter ce chômage forcé. Je voyais un avenir sombre et sans horizons, j’avais décidé donc de tenter ma chance et j’avais entamé les démarches ordinaires que je maîtrisais pour acquérir le matériel nécessaire à la traversée mais avant cela, il fallait le contact et des candidats potentiels pour cette traversée, ce qui ne manquait pas. »
Ici, il ne nous signale pas comment il a trouvé le financement ni qui a fourni les équipements de la traversée.
« C’était par une belle journée d’octobre 2008 que j’avais choisie pour mettre mon plan en action. Je suivais quotidiennement le bulletin météorologique de l’Oranie et particulièrement celui de la mer. Ainsi les prévisions annonçaient plusieurs journées de beau temps et mer calme. »
« À quel endroit avez-vous fixé rendez-vous pour le grand départ ? »
« Ah ça, je ne vous le dis pas ! ça reste secret. »
« L’ensemble des candidats à la traversée ont été informés du jour “J” et je leurs ai fixé rendez-vous, à une heure précise du soir. Ils étaient en tout 20 dont deux jeunes filles. J’ai préparé soigneusement tout le matériel nécessaire pour la traversée. Le zodiac était doté d’un moteur puissant que j’ai soigneusement et minutieusement inspecté, la Boussole, GPS, essence et autres outils de survie que je devais embarquer avec les “Harragas”. »
« Où as-tu déniché le zodiac »
« Je l’ai acheté très cher mais malgré toutes les dépenses, j’ai fait un bénéfice de 30 millions de centimes en fin de compte. »
Il enchaîna :
« 7 jerricans d’essence de 20 litres ont été embarqués mais je n’ai utilisé que quatre pour atteindre les côtes espagnoles. »
CAP 330
« C’était la direction par GPS vers un point précis de la côte Espagnole connu par les passeurs qui ont réussi leurs tentatives . La traversée dura plusieurs heures avant que le long rivage de l’Espagne surgit du néant. »
Malheureusement, les espagnols et particulièrement les gardes côtes ne dormaient pas au moment où notre passeur s’approcha des côtes. Ils ont été repérés par la « gardia » et une course poursuite s’enclencha, il déversa les passagers sur le rivage où ils ont été accueillis par les militaires puis lança son zodiac à la vitesse maximale, il réussit à semer les gardes côtes avec son compagnon en accostant de l’autre côté de la falaise où ils abandonnèrent, quelques instants plus tard le zodiac et prennent la fuite vers une colline. Ils se dissimulèrent avec de l’herbe pour ne pas être repérés par l’hélicoptère de la police qui survolait incessamment les lieux. Ils restèrent là pendant plus d’une journée.
Le lendemain , lorsqu’ils pénètrent dans un village proche, la chance n’était pas de leurs côtés, Mal habillés et surtout leurs habits sont devenus un peu voyants, ils ont été vite repérés une deuxième fois par les vigiles du village espagnol qui alertèrent à leur tour la police locale. Ils ont été emmenés au centre de rétention le plus proche de Bogatos.
« Ils nous ont enseigné la langue Espagnole pendant quelques mois. » Il signale furtivement leur prise en charge dans ce centre (nourriture, habits, médecin etc..) et ne dit mot comment ils ont été libérés.
« Après quelques jours, j’ai téléphoné à mon père en l’informant que je me trouve actuellement en Espagne suite à la traversée périlleuse que j’ai effectué. Mon père n’était pas content du tout, j’ai senti qu’il pleurait à l’autre bout du téléphone, il savait que “j’ai risqué ma vie” m’a-t-il dit mais il fallait qu’il accepte cela car je n’avais aucun avenir dans le bled et surtout il s’agissait de ma dignité, j’ai fui la Hogra et le mépris tout en sachant que le risque était grand et traverser la méditerranée avec 19 personnes relevait du miracle. Parlant du boulot à Oran, ils m’ont viré du seul poste que j’occupais dans cette société. Et je ne peux pas vous expliquer quel stratège, ils ont manigancé pour me faire congédier, c’était vraiment de l’arbitraire et la Hogra »
« Ainsi, après avoir alerté mon père et mère à Oran. Mon père semblait mal à l’aise puisque j’étais jeune (21 ans) à ses yeux et donc il s’est inquiété de ma situation, il a tout de suite contacté ma tante qui vivait à Marseille, cette dernière m’a téléphoné, le lendemain. Elle me pria de venir chez elle où je dois trouver tout (boulot, argent etc..). J’ai écouté les conseils de mon père et décida d’aller chez eux. Accueilli en grandes pompes au début mais au bout de 14 jours passé chez eux, un beau matin, je retrouvais ma valise devant leur porte pour des raisons que j’ignorais. Je me voyais un SDF à Marseille. J’ai beaucoup regretté ce geste de ma tante car il faut souligner ici, le comportement négatif de ces émigrés. En Algérie, ils vous assomment et amadouent avec un langage de bonté et de dignité mais en France, c’est un autre langage et un autre comportement diamétralement opposés à ce qu’ils tiennent en Algérie. »
« Alors que j’aurai dû rester en Espagne où je vivais aisément, ils m’ont enseigné la langue et m’ont aidé tout le long de mon séjour de « sans- papiers ». Ce n’est que suite à mon arrivée à Marseille que tout a basculé dans le mauvais sens. »
« J’ai pris contact avec des amis harragas à Paris qui m’ont conseillé de les rejoindre alors pourquoi pas tenter ma chance là-bas où plusieurs amis résidaient déjà et avaient leurs papiers en règle » me suis-je dit.
« À Paris, ces amis m’ont soutenu et aidé financièrement au départ. J’utilisais même les papiers d’un ami lorsque je me déplaçais en ville et qui m’a permi de décrocher un petit boulot de livreur bien rémunéré, j’utilisais un scooter pour les livraisons, je n’avais aucun problème pendant presque deux ans. »
« Mais tout bascula dans le négatif, le jour où on m’informa par téléphone du décès de mon père à Oran, j’étais très ému et triste, j’ai pleuré, je voulais retourner au pays, ne serait-ce que pour assister à l’enterrement de mon père. Bien que retourner en Algérie c’était l’échec annoncé mais surtout je ne savais pas comment faire. »
« Cela m’a poussé à revoir ma situation de clandestin que je ne pouvais supporter trop longtemps à savoir rester sans papier indéfiniment. J’avais presque les mains liées comme ça.
Ainsi, j’avais décidé de régulariser ma situation pour pouvoir retourner et circuler librement entre Oran et Paris. »
« À Paris, ils m’ont informé que je devais entamer la procédure de régularisation en Espagne où j’ai mis les pieds en premier, ces procédures devront être entamées dans le pays hôte » m’ont-ils expliqué.
Je n’avais aucun choix, j’ai décidé de retourner en Espagne et de là, je devais trouvais un moyen pour régulariser ma situation et plus tard rentrer à Oran, sans grandes difficultés.
« Donc tu as décidé de revenir en Espagne ? » lui avais-je dit
« Oui ! et au cours du trajet tout près de la frontière, on nous fait descendre à un barrage de police routinier, je me suis rendu compte que j’avais oublié de dissimuler mes vrais papiers car je les avais laissés dans la sacoche. Le policier qui avait un , “teint Maghrébin” s’approcha de ma sacoche, s’en empara et l’ouvra , il constata d’office que j’étais un sans papier en France. »
« Comment ça, “teint Maghrébin” ? »
« Oui, apparemment un fils de Harki qui semblait connaitre beaucoup les vices des harragas car l’autre policier Français paraissait un peu gêné, il devinait exactement ce qui allait m’arriver par la suite, il hocha la tête et j’ai compris que si c’était lui, il aura peut-être “fermé les yeux”, du moment que je m’apprêtais à pénétrer en Espagne. On m’emmena au poste de police. J’avais deux choix.
– La prison ou un centre de rétention
– Le deuxième « rapatriement vers mon pays d’origine avec mon consentement » et donc un retour sans gros problèmes au pays, « une chose qui me tenait à cœur pour revoir ma famille. »
Donc le choix était tout indiqué, j’ai opté bien sûr, pour le deuxième, d’autant plus que j’allais rentrer au pays le plus réglementairement possible.
On m’emmena le lendemain à l’aéroport. »
Encore une fois, il ne signale pas comment il a été accueilli par la PAF , il est rentré sans escorte et librement en Février 2011 et depuis il fait le clan à défaut de licence de taxi sur une Clio bleu.
« Une dernière question cher ami, comment vois-tu le pays maintenant que les vannes ont été ouvertes par le président Bouteflika. »
« Écoutez Bouteflika a compris les jeunes qui n’aspirent qu’à une vie décente et qui n’ont pas de boulot, Je n’ai rien contre lui, c’est un bon président .. ».