RIEN NE VA PLUS.

On évite d’évoquer les problèmes sociaux qui rongent notre société. On préfère les mettre sous le tapis pour ne pas les voir et ainsi on tourne le dos à un vent violent qui donne des signes qui ne trempent pas et que seuls les sourds et les aveugles n’entendent pas son souffle et ne le voient pas venir.

Les aveugles, ce sont nous tous. Surtout ceux qui ont la charge de réfléchir, d’expliquer et d’avertir. Ni dans la presse, ni sur les réseaux sociaux, on ne parle du chômage endémique qui compromet la vie présente de la jeunesse et son avenir. On ne parle pas non plus de la cherté de la vie et de la paupérisation accrue qui jettent dans les bras grands ouverts de la débauche, de la délinquance et d’une justice aveugle mais répressive, des hommes et des femmes qui, dans d’autres conditions, auraient été les meilleurs d’entre-nous, les serviteurs les plus dévoués de la collectivité.

Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, disait Camus. Nous ne parlons pas de nos maux et nous croyons qu’ainsi nous leur échapperons ou nous les vaincrons. Sots nous sommes. Pourtant nous savons tous qu’un cancer s’il n’est pas traité à temps, tue. Il nous échappe que les sociétés comme les individus ont elles aussi leurs cancers, plus graves et plus ravageurs.

C’est, a cet instant même, dans un taxi, que je viens d’entendre une vérité que je n’entends pas généralement dans le milieu de ma classe moyenne-supérieure qui, jusqu’ici supporte plus ou moins bien le choc de la crise économique qui fait rage. Il n’y a que des pauvres et des riches, on vient de dire, et, au milieu, rien. Que la misère a atteint des niveaux tels que le souci majeur de tout père de famille est comment lui assure son pain quotidien. Si rien ne change, il viendra un jour ou les pauvres finiront pas manger les riches, on vient de dire encore.

Les intellectuels, cette classe de clercs qui ne savent que trahir dans ce pays, ne s’intéressent à la rue, la foule, la plebe, que pour s’en servir comme monture quand ils voient un pouvoir vaciller et qu’ils espèrent prendre sa place pour ravir ses privilèges. On les a vus à la tête de pelotons, sillonner les rues, usant de leurs boucliers humains. Maintenant qu’ils ont perdu tout espoir de réaliser leur rêve, ils se taisent et reviennent à leurs petites affaires. Les problèmes économiques de tous les jours, les soucis du quotidien des pauvres gens ne les intéressent pas. Quel profit peuvent-ils tirer de la misère ?