Alger la barbaresque qui s’était affranchie de la Porte Sublime, excellait nous disent les livres d’histoire dans la Course.
Aujourd’hui,les vestiges malmenés de la Casbah nous rappellent que l’histoire de la ville plonge au cœur de la société pirate, régie par des chefs téméraires et rapaces mais soudés par des lois, celles de la piraterie internationale.
Dans cette société qui ne se tournait vers la mer que pour y rapiner, des détrousseurs des mers se lançaient à l’abordage de tout ce qui naviguait à portée de canon pour en ramener captifs et cargaisons.Les voleurs et les assassins s’étaient réfugiés à l’ombre du croissant, à l’instar de leurs homologues enrôlés sous l’égide de la croix.Ils avaient fait d’Alger un nid d’aigle et un repère de communautés pirates disciplinées et vouées au profit et gains mutuels.
Le creuset janissaire avait réussi une forme de société multiethnique, ‘melting-pot’ avant l’heure, mélangeant les ADN de toute la Méditerranée et bien au -delà. Des noms incongrus, vestiges de cette histoire résiduelle, faite de
brassage et de sang mêlé nous aura laissés des Korso, des Malti, des Bouchnak,des Stambouli,des Serra-Cherraka et des Kizat dont un des descendants féru de recherches généalogiques obtiendra même la restitution de son nom d’origine, Della Chiesa, auprès d’un tribunal français.
Adam Smith, le père de la pensée libérale avait observé que l’accumulation des richesses dans leur stade primitif, n’obéissait ni à la morale ni au labeur, « mais s’il peut exister une sociétés de voleurs et d’assassins, ils doivent au moins s’abstenir de se voler et de se tuer entre eux. »
Ils savaient par instinct, ces algériens de pacotille et de cœur qu’il était risqué de se retourner les uns contre les autres, et que hisser le pavillon de la rapine de concert, servait à produire la peur. Peut-être était-ce le but de la manœuvre.
Cette culture pirate, ce péché originel peuvent t-ils, à leur tour expliquer pourquoi tous les marchands de poissons sollicités aux alentours de ce qui fût la Pêcherie, veillent sur leurs cageots comme un butin précieux et ne comptant le céder qu’à prix d’or?
« C’est combien les crevettes? »
Comme un leit-motiv, de stand en stand, la réponse est la même, unique et déraisonnable. « 4000 dinars, à prendre ou la laisser et ne me faîtes pas perdre mon temps. Il y a des acheteurs. »
Je laisse!
Il reste en nous quelque chose de Barberousse – Kheïreddine dont on continue d’évoquer le nom avec respect et la Casbah est le musée à ciel ouvert de notre passé pirate qui a légué ses mœurs au présent.
En ce quatrième jour de Ramadhan,les nouveaux pirates aussi appelés « commerçants » , cèdent rarement, rompus à la science du leurre. ils émaillent leurs paroles de quelques formules liturgiques et se lamentent d’être le bout de la chaîne accusé de saigner ses compatriotes.
La datte, croquée à l’appel du Adhen et l’accomplissement de la prière laveront tout cet arrière plan à grand renfort de spiritualité. « Aujourd’hui, nous étions plus de mille à prier. » me glisse avec une fierté de propriétaire mon beau-frère. Je sus alors avec certitude que nous n’étions pas encore une société naufragée.
Saha Ftourkoum
EL HANIF