Un éradicateur, opposant à Bouteflika, s’en va

Décès du général Mohamed Lamari

Le général de corps d’armée Mohamed Lamari avait le grade le plus élevé de l’armée algérienne. Formé à la cavalerie à l’École de guerre de Saumur (France), Mohamed Lamari a rejoint l’Armée de libération nationale (ALN) en 1961 à l’âge de 22 ans. Après l’indépendance de l’Algérie, il a poursuivi sa formation à l’Académie militaire de Frounzé en ex‑URSS (une école fondée en 1924) et à l’École de guerre de Paris. Il a mis en pratique les théories d’état‑major en travaillant au bureau des opérations au ministère de la Défense nationale (MDN) de 1976 à 1988. De 1970 à 1976, il a commandé l’état‑major dans les régions militaires.

Militant en faveur d’une armée professionnelle, il était hostile à la suppression du service national. Mohamed Lamari était favorable à un rapprochement poussé avec l’armée américaine et avec l’Organisation transatlantique nord (OTAN). Il a été l’un des promoteurs du Dialogue méditerranée (DM) avec l’OTAN et de la multiplication des programmes de formation opérationnels avec cette organisation.
Dans les années quatre‑vingt‑dix, il était presque le véritable ministre de la Défense nationale. Mais en août 2004, il met brusquement fin à sa carrière en démissionnant de son poste de chef d’état‑major de l’Armée nationale populaire (ANP). Son départ s’est fait sans grand bruit. La presse n’avait curieusement pas donné grande importance à cette démission, née d’un grave différend politique avec d’autres dirigeants, même si deux ans auparavant, il avait déjà exprimé son intention de partir.
 
Hostile à la candidature de Bouteflika
« J’ai eu à dire que c’est mon dernier poste. Je n’ai aucune prétention, cela suffit. Dans une semaine, un mois, trois ans, seul Dieu le sait. Barakat. Il y a le phénomène d’usure. Je veux rester avec mes enfants et petits‑enfants. Depuis 1992, c’est un rythme de 7 jours sur 7, tout au long de l’année. Maintenant, ce rythme s’est apaisé. Mais dans la vie, un responsable doit passer la main et permettre à quelqu’un d’autre d’apporter sa pierre à l’édifice », avait‑t‑il déclaré.
Mohamed Lamari avait accepté à contre‑cœur l’appui par ses pairs de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, ancien ministre des Affaires étrangères, à la magistrature suprême, après le retrait des six autres candidats de l’élection présidentielle. Le deal d’un seul mandat pour Bouteflika était faux. À l’origine, il a été dit à Lamari et à d’autres généraux non convaincus par la capacité politique de Bouteflika de faire sortir la guerre du cycle de violence, à l’image de Khaled Nezzar, que l’ancien ministre de Boumediene devait appliquer ce que le général Liamine Zeroual avait refusé de faire : un pardon généralisé aux terroristes sous plusieurs formes juridiques.
Zeroual avait démissionné de son poste de président de la République pour signifier sa désapprobation de la politique dite de « la réconciliation nationale ». Comme lui, Mohamed Lamari, qui avait activement participé à l’arrêt du processus électoral en janvier 1992, était hostile à tout ce qui peut s’apparenter à une faiblesse de l’État devant les islamistes armés. L’homme symbolisait la fermeté de l’État face aux groupes armés : il avait pris la direction d’un groupe opérationnel, à l’arrivée de Mohamed Boudiaf, pour contrer l’action terroriste alors en développement. Il devait préparer le terrain aux opérations de l’armée et des services de renseignements contre les groupes armés.
Lorsque le nom de Bouteflika avait commencé à circuler en 1994, à la faveur de la Conférence sur la concorde nationale, Lamari occupait déjà le poste de chef d’état‑major, désigné par Liamine Zeroual, dont il était proche. Un an auparavant, Lamari était conseiller du général Khaled Nezzar, ministre de la Défense. Entre 1989 et 1992, Mohamed Lamari a commandé les forces terrestres après avoir dirigé la Cinquième région militaire (5e RM) basée à Constantine.
 
La sortie médiatique du général
Discret durant les années quatre‑vingt‑dix, il fait une surprenante sortie publique en juillet 2002. Il a invité les journalistes à une conférence de presse à l’Académie militaire interarmes de Cherchell (Amia)  pour dire tout ce qu’il pensait des questions politiques et sécuritaires. C’était le début de “la guerre” avec Bouteflika et son entourage. Lamari a dès le début de son intervention souligné « le caractère républicain » de l’armée. Manière de s’opposer à « l’alternative islamiste » qu’on prête au locataire d’El Mouradia.
« Le mal que notre pays a rencontré, c’est l’ANP. Même la catastrophe de Bab El Oued [novembre 2001, NDLR], c’est l’ANP. Si ces accusations viennent de l’étranger, de milieux hostiles, qu’elles soient les bienvenues. Mais, cela vient des Algériens eux‑mêmes qui, par méconnaissance, par intérêt ou par calcul politicien mettent tout sur le dos de l’armée. Pour être connu, il faut insulter les généraux et l’armée. Nous avons été traités de voleurs, de tueurs et il ne manquait plus que de dire que l’ANP a été importée », a dit le général Lamari devant les journalistes. Le message était clairement adressé au président de la République qui, dès son arrivée au Palais d’El Mouradia, avait soutenu qu’il ne voulait pas être « un trois quarts » de président exprimant une certaine volonté de suprématie sur les décideurs militaires.
« Le Président de la République est constitutionnellement ministre de la Défense et Chef suprême des forces armées, il a le pouvoir constitutionnel de nommer un ministre de la Défense. Je n’ai pas à m’ingérer dans les décisions présidentielles. Nous le consultons, comme par exemple à la veille du 5 juillet [2002, NDLR], nous lui avons soumis une liste d’officiers à promouvoir et il est maître de la décision. Nous avons traité avec le président Zeroual un peu plus, c’est un militaire, d’ailleurs on l’appelait le général Zeroual. Nous avons ouvert une brèche en 1992, nous l’avons fermée en 1999. L’ANP ne s’occupe que de ses missions constitutionnelles. Je m’inscris en faux contre tout le reste », a ajouté Lamari.
L’évocation de Liamine Zeroual n’était pas superflue dans cette déclaration. « Pour les réformes économiques et autres, l’institution militaire est la dernière à être informée. Nous ne participons ni au Conseil des ministres ni au Conseil du gouvernement. Devant vous, je le dis, j’ai travaillé avec plusieurs Chefs du gouvernement, avec des dizaines de ministres, en tout cas depuis 1992. Si jamais quelqu’un a été forcé par le commandement de l’armée à prendre une décision, je serai reconnaissant qu’il le dise », a‑t‑il indiqué.
Lamari a défendu dans la même conférence de presse l’idée de la désignation d’un ministre de la Défense non militaire et que l’ANP ne se mêle plus de politique. « Un civil comme ministre de la Défense ? Je pose une seule condition, qu’il soit Algérien. Ce que les gens ignorent, c’est que les attributions du ministre de la Défense sont très claires et que les missions du chef d’état‑major sont très claires », a‑t‑il dit.
Merouane Mokdad TSA