Abbès Feraoun, dramaturge Bel-Abbésien inconu dans son propre Bled

Qu’on se le dise ! on est artiste partout, le plus dur est cette logique qui dit « les tiens sont tes premiers soucis, car ils seront les premiers à causer ton exil » Et quand on triomphe ailleurs « les tiens diront qu’a-t-il fait à notre ville ? Ainsi est la rançon de la gloire, aigre-douce, amer, et par-dessus le marché reste au travers de la gorge, le pire c’est quand on est exilé dans sa propre ville, marginalisé et oublié. Les persifleurs, ceux qui piquent derrière le dos sont toujours là pour ajouter à l’oraison funèbre ce baiser du diable pour tromper la bonne foi de ceux qui pleurent l’artiste déchu. Pas la peine de citer des noms, ils sont légion. Ceci pour dire qu’il est urgent d’institutionnaliser un conseil de l’éthique pour en faire en sorte que du vivant ou après la mort d’un artiste, la société doit le respecter pour ce qu’il donne sans discrimination.   

M.Abbès Feraoun, dramaturge Bel-Abbésien, dont l’œuvre est reconnue à travers le monde et notamment en France, reste cependant un illustre inconnu dans sa propre ville du moins auprès de la nouvelle génération d’artistes. Cet homme de théâtre algérien, décédé le 13 décembre 2003, est natif de Sidi Bel Abbés. Les anciens du TNA, à l’instar de la grande figure du cinéma et du théâtre Abdelkader Tadjer, se souviennent encore de lui et de son talent qui auront vraiment marqué les esprits avant que tout bascule et il finit par prendre le chemin de l’exil. Selon ses proches, cette décision devait se prendre. Abbès Faraoun sentait qu’il avait besoin de lointain pour réaliser son envol. Il choisit de s’établir à Grenoble où c’est là qu’il étala toute sa verve et son art théâtral.

Issu d’une famille de chouhada, le  père et deux frères morts pour la patrie, on peut dire que très tôt, il était doué pour les arts. Elève brillant sur les bancs de l’école, il aura été très tôt de part en part ébloui et emporté par le chemin des planches. Ainsi, alors collégien, il fréquente le Conservatoire municipal de Sidi Bel-Abbès où il obtient un premier prix en art dramatique. Il rejoignit sur la lancée de ses balbutiements le théâtre de Strasbourg sous la direction d’Hubert Gignoux où il étudie pendant trois années tout ce qui concerne le 4ème art et s’illustre surtout par la critique très osée d’une pièce de Victor Hugo. Quelque temps après, il se retrouve à Grenoble, il est au sein des comédies des Alpes sous la férule de René Lesage. Pour sa première apparition, il est distribué dans la pièce théâtrale  « Douze hommes en colère ». Sur le témoignage de son frère Ghaouti, on saura qu’en 1956, jeune débutant, il travaille à la faveur d’un montage des rôles classiques. Cela va d’Alceste à Scapin ou encore dans « Antigone » d’Anouilh incarnant Créon. Et son destin lui ouvre l’appétit de la scène; il travaille avec acharnement, il croque à pleines dents des textes de grosses pointures. Tout y passe : Arrabal, Beckett, Molière, Shakespeare, etc. Dans ces années là, c’est le temps du TNP de Jean Vilar, de Gérard Philippe, d’Antoine Vitez, de Georges Levaudan, de Gabriel Monnet et de tant d’autres qui ont été les fondateurs du festival d’Avignon. Ces hommes de théâtre vont révolutionner l’art de jouer, de se frotter à un texte universel ou contemporain, conceptualiser un mode vie nouveau. Il fait partie de cette merveilleuse aventure et on le verra s’attaquer à la mise en scène. En 1962, passage au Théâtre National Algérien, tentative désespérée de creuser ce sillon d’une dramaturgie en devenir, il est évacué à Blida pour une dépression. Il en ressortira amer. Il retourne à Grenoble et poursuit une carrière, cette fois, de professeur d’art dramatique au Conservatoire de Grenoble tout en poursuivant ses créations artistiques. Les œuvres n’en finissent pas de déborder dans tous les genres, poésie, littérature et s’essaye même au 7ème art. Il insiste mais sait qu’il se reconnaît surtout dramaturge. Ce labeur colossal l’épuise. Abbès Feraoun est perturbé par la maladie mais son courage ne faiblit pas, il trouve de l’énergie auprès des siens. En 1984, il aborde un rôle de haute gamme aux côtés de Ghaouti, le chef d’œuvre du théâtre universel « En attendant Godot » de Beckett dans une mise en scène de Diden Berramdane qui, selon le souvenir de ceux qui ont assisté au spectacle, aura été époustouflante aussi bien qu’éprouvante. Pour dire que le comédien ne sait pas où peut s’arrêter sa performance d’acteurs d’autant que le duo Estragon-Vladimir traduisent profondément le désarroi du vingtième siècle surtout après le désastre que provoquent les guerres sur l’individu, moment impressionnant disent les témoins de cette représentation. En 1999, il s’éloigne de l’enseignement et se consacre entièrement à créer comme un deuxième souffle. Il aligne films spectacles, séries télé, enregistrements, dira Ghaouti dans ses souvenirs, malgré la mal cruel du corps. Pour sa dernière révérence, très atteint, il sera le père d’Oum Keltoum dans la pièce du tunisien. Ainsi Abbés Feraoun mérite que son nom soit inscrit sur un fronton d’une de nos institutions culturelles comme par exemple le Théâtre Régional de Sidi Bel Abbés, ce qui franchement correspond à la fois à un hommage que peut rendre la Mekerra à l’un de ses fils et contribuera à donner encore plus de souffle au 4ème art algérien. Son neveu Kader Boukhanfous perpétue sa mémoire avec la fondation qui porte son nom et compte faire connaître l’œuvre de son oncle. L’exil est une douleur profonde pour un artiste ; le retour de Abbès Faraoun à travers son art, chez lui, sera la joie retrouvée de toute une population.