Chronique du jeudi : «LE WALI SAMARITAIN ET LE NON-VOYANT»

Université d’Oran Es Senia, Fac des Langues, 1ère Année Master. C’est là que je rencontre un jeune que j’appellerais Nadir. C’est un étudiant qui a réussi le concours d’accès au Master après de brillantes études lui ayant permis d’obtenir une licence d’interprétariat à l’Université Djillali Liabes de Sidi-Bel-Abbès. Jusque-là rien d’anormal. Mais je vous surprendrais certainement, si je vous précise que Nadir est un Non voyant, titulaire d’une carte d’handicapé qui lui donne droit au transport gratuit notamment. Ceci lui permet de faire la navette entre Sidi-Bel-Abbès où il habite et Oran où il étudie , les jours où il a cours. Le train est le moyen le plus utilisé, mais il lui arrive d’emprunter le bus aussi. Comme il a droit de se faire accompagner gratuitement, il fait ce trajet quotidien avec un ami à lui que la gratuité du transport motive, alors qu’il n’était pas du tout porté sur les études qui coutent chères et risquent de ne servir à rien, sérine-t-il, souvent.

Je ne sais pas pourquoi, ce jeune m’a tout de suite attendri. Son air naïf, sa frêle silhouette, son regard torve typique des non-voyants, renvoient de lui une image de quelqu’un de fragile qui soutire une compassion spontanée. Son penchant pour les études, sa manière d’appréhender et de «lire» un livre vous complexe, vous qui avez pourtant votre vue mais qui n’arrivez plus à achever la lecture d’un vieux Guy des Cars. Alors, un livre pédagogique, c’est carrément demander l’impossible.

A peine la discussion entamée, j’apprends qu’il est l’ainé d’une famille dont le père est également non-voyant. Comment font-ils pour vivre, alors ? C’est une longue histoire, me dit-il.

Raconte, alors.

Depuis mon jeune âge, nous vivotions. Grâce à la générosité des voisins et des bienfaiteurs qui, grâce à Dieu, sont toujours légion. J’ai pu réussir, même avec beaucoup de difficultés, mes études. Le jour où j’ai pu décrocher ma licence, ce n’était un grand jour que pour moi ; parce que mes parents étaient convaincus que cela ne pouvait servir à grande chose, du moment que beaucoup de jeunes en bonne santé, jouissant de toutes leurs facultés, continuent à chômer même bardés de diplômes, alors, moi le petit pauvre aveugle, je n’aurais certainement aucune chance.
Peu de temps près, j’ai commencé à donner raison à mes parents. Je frappais à toutes les portes, j’envoyais des CV partout en faisant référence à la Loi qui obligeait les employeurs à réserver un quota des emplois aux Handicapés. Rien. J’ai postulé pour des postes qui exigeaient des conditions bien inférieures à celles contenues dans mon CV, parfois au fin fond du désert, sans suite aucune.
Alors, je me suis dit, je n’ai rien à perdre, mais je vais le faire: Une correspondance au Wali et lui demander audience. Sait-on jamais. Peut-être que… Et le Miracle fut! Le Wali me reçoit.
Une fois que je lui eusse expliqué ma situation, je vis dans ses yeux embués, de la compassion, cela me gênait beaucoup. A ce moment là, je sentais que je perdais un peu de ma dignité. Vous vivotez toute votre vie, vous trimez jusqu’à avoir mal partout pour réussir vos études, afin de pouvoir ramener un peu de réconfort à vos parents qui en avaient vraiment besoin et de pouvoir enfin dire : “J’ai réussi. Je suis enfin un Homme!» Voilà que subitement tout cela périclite devant Monsieur le Wali. Je l’ai saisi pour qu’il me rétablisse dans mes droits, pas pour avoir de la compassion et de la pitié pour moi. Il est vrai que je lui suis en fin de compte très reconnaissant. Peu de responsables agiraient comme il l’a fait. Je le sais. Pourtant.
Quand j’ai terminé l’exposé de ma minable vie, M. Le Wali appelle immédiatement le Directeur de l’Emploi et dit : «Je veux que Nadir soit placé dans les plus brefs délais.»
Monsieur le Wali semblant dans une gêne incommensurable balbutia quelques mots que je ne sus comprendre et avant de me reconduire me mit une certaine somme d’argent dans ma main. Confus, je la retirais aussi spontanément que promptement. Il insiste et me dit sans conviction : «juste le temps de tenir. Vous me la rembourserez quand vous percevrez vos premiers salaires» Je ne savais si je devais saluer ce stratagème emprunt de modestie, ou le maudire. Vous vous trouvez parfois dans des situations incompréhensibles, où vous pouvez basculer sans transition aucune, d’un extrême à l’autre : Dans mon cas, je ne savais pas si je devais saluer le comportement de cet homme qui vient de m’aider en usant de tout son Pouvoir de Wali, ou lui en vouloir d’user de ce même Pouvoir pour me rabaisser et toucher à ma dignité pour la construction de laquelle, il a fallu tout le sacrifice de ma jeunesse. Dois-je être fier d’avoir mis le premier responsable de ma Wilaya dans une gêne telle qu’il se culpabilisa et dut user de tout le pouvoir qui lui est conféré pour me venir en aide ; où plutôt pleurer sur une situation qui me réduit à l’aumône et à la charité? Dilemme!
En fait, vous savez, j’ai fini par comprendre que tout cela n’était ni de ma faute ni de celle de M. Le Wali. C’était tout simplement la faute au mode de Gouvernance de ce Pays. Mon Pays. Mon Pays, un des plus riches et des plus beaux de la Planète et dont le Peuple pleure de misère. Mon Pays qui subit la dilapidation de ses richesses par une minorité qui s’est accaparée le Pouvoir et la rente. Un Pays où un Wali – pour peu qu’il ait un soupçon d’honnêteté – se sente obligé de jouer le Samaritain, parce que les autres ne font pas leur boulot, tout simplement et préfèrent plutôt profiter de la rente en usant de népotisme et de clientélisme.
Quelques jours après, je commençais à travailler, grâce à Monsieur Le Wali. Un poste dont je n’ai jamais rêvé.
Mais celui-ci ne peut recevoir tous les Handicapés diplômés de l’enseignement supérieur. Le Chef de l’Exécutif ne peut recevoir chaque individu de la ville pour lui régler son problème.
Alors, Monsieur le Chroniqueur, ce jour, j’ai compris que Mon Pays et son Peuple, n’ont pas besoin de Samaritains, mais de Responsables qui font tout simplement leur job pour lequel ils sont payés. Si c’était le cas, j’aurais eu ce poste sans voir M. le Wali, sans le culpabiliser, sans le mettre dans la gêne et sans vider sa poche d’une certaine somme d’argent, même s’il l’a fait – j’en suis convaincu – avec grand plaisir.

djillali@bel-abbes.info

4 thoughts on “Chronique du jeudi : «LE WALI SAMARITAIN ET LE NON-VOYANT»

  1. nadir c’est un non voyant il a réussi relevé le défi mois je vais poser une question aux responsable qui sont non voyant se qui se passe a sidi bel abbes malgre qu’il rejouer de bon santé et poser des yeux de toute les couleurs vert et bleu – noisette

  2. Mais Mr Djillali, qu’est ce que vous faisiez à la Fac de langues à Es Senia….(rires)…???

    Une histoire très touchante..! Mais ce qui est bien, ce sont les enseignements qu’on peut tirer du vécu de ce non voyant-voyant, au moment ou nous vivons dans un monde de voyants-aveugles…!!!

    1) La volonté de fer de Nadir qui malgré son handicap et sa situation sociale difficile n’a pas baissé les bras et a continué ses études même si ses parents n’y croyaient pas trop….!!! En plus, c’est grâce au non voyant que le voyant qui l’accompagne continue ses études…!!????

    2) L’espoir, qui lui a donné la force de continuer et d’aller jusqu’au bout,..!! Il a cru jusqu’à la dernière minute et il a eu gain de cause…!! Il ne faut jamais désespérer, ne dit-on pas que « L’espoir fait vivre. » et que “Même sans espoir, la lutte est encore un espoir. »…!

    3) La générosité, qui existe encore dans notre société, puisqu’il parle de l’aide des voisins et des bienfaiteurs qui les faisaient “vivoter”..!!

    4) La prise en charge des Handicapés qui n’est pas encore à la hauteur, même si Nadir a une carte de transport gratuite…!!!

    5) “Les études qui coûtent chères et risquent de ne servir à rien” : Pourtant l’Algérie est parmi les très rares pays où les frais d’inscription coûtent 200 DA, le repas 1.20 DA, une carte de transport à 135 DA/an et une chambre gratuite ou presque à la cité universitaire…!!!! Maintenant servir à rien, tout dépend sous quel angle on se place…!!! Certes la qualité des cours et de certains enseignants, étudiants et gestionnaires laisse à désirer, mais on vient de voir sur ce journal que l’université de SBA est en bonne position dans certains classements à l’échelle internationale….!!!! C’est vrai parfois, il y a un arbre qui cache la forêt, mais bon…!!!! Il faut revoir tout le système de l’enseignement depuis le cycle primaire au cycle universitaire, mais toujours en gardant un œil sur les constantes et les couleurs de la Nation…!!!!

    6) Le chômage, un fléau national et mondial….!!!! Il est temps pour l’Algérie de mettre une stratégie nationale globale de développement durable…..loin autant que possible des hydrocarbures….!!!!! Les temps sont graves….!!!

    7) Les responsables. On peut encore trouver des responsables dignes de ce nom, mais ils sont très rares actuellement…!!! N’empêche que c’est le même réflexe qui persiste depuis l’indépendance: appeler un subordonné pour régler un tel ou tel problème ou pour des faveurs à telle ou telle personne…! D’ailleurs, je comprends le sentiment de gêne et de culpabilité de Nadir, toutefois, ça prouve aussi que c’est une personne bien….!!!!

    8) L’Algérie est un pays riche mais mal gouverné….!!! Pourquoi….???

    9) “Une fois que je lui eusse expliqué ma situation, je vis dans ses yeux embués, de la compassion, cela me gênait beaucoup.”, au fait je n’ai pas compris comment il a fait pour voir les yeux embués du Wali, sauf s’il l’a deviné…!!!!

    Une histoire qui doit servir de leçon pour les jeunes, les responsables des différents secteurs qui sont payés pour accomplir leur travail convenablement et pour le sommet de la pyramide qui doit réviser son mode de gouvernance, car elle n’a plus droit à l’erreur….!!!

    Encore une petite chose, pourquoi Guy des Cars…??? Ses maîtres disent de lui un ” Brillant élève, mais mauvais esprit”…!!! Alors attention aux mauvais esprits, si jamais……..!!!

  3. (une histoire mach’ Allah)Merci Mer Djillali
    Thank you Mer Nadir for sharing your pain with us, and thank you for sharing your tragic experiences
    with us.

  4. Djillali

    Merci , cette histoire m’émeut , je suis très heureux de son issue pour cet homme aveugle mais aussi du wali qui à mes yeux est un homme de cœur et de raison .Je n’ai pas aimé le terme “samaritain” , sans polémiques , je dirai que le wali est un homme croyant “moumen” ,du moins au moment où il a reçu le non-voyant , il a été clairvoyant .

    Très bonne fin de soirée

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