EMMANUEL LE FUNAMBULE.

Dès qu’il descend sur le tarmac de l’aéroport Houari Boumediene, Emmanuel Macron entame une marche périlleuse sur le fil tendu du funambule. Il doit mesurer chaque pas pour ne pas trébucher, car, à bâbord comme à tribord, il y’a aux aguets des snipers à l’affût du moindre faux pas, prêts à tirer les salves habituelles d’accusations et de haine.

Pourtant, malgré des maladresses notables dues à des pressions, de tous les présidents de la cinquième République, Emmanuel Macron est celui qui fait preuve des meilleures intentions et de la meilleure volonté de tourner une des plus sombres pages de l’histoire de son pays. Son argument massue il l’a prononcé hier dans le discours qui a suivi sa rencontre avec le président Tebboune: “Le passé, nous ne l’avons pas choisi. Nous l’avons hérité. C’est un bloc”, disait-il. Sur ce point, et sans entrer dans les détails de l’histoire, il a complètement raison. Les nouvelles générations doivent vivre leur vie. Un passé doit être dépassé. Y rester prisonnier est une maladie. C’est un traumatisme psychique collectif qui empêche d’aller de l’avant.

Il propose d’ouvrir les archives aux historiens des deux bords pour que l’histoire soit enfin regardée en face. Non les histoires officielles qu’entretient chaque partie de l’éternel conflit, mais la vraie histoire, celle qui se met totalement à nu pour être vue dans les détails. C’est louable de sa part comme initiative, mais ce n’est pas suffisant. En effet, le problème entre l’Algérie et la France n’est pas seulement un passé à solder, c’est surtout un présent très pesant, passionnellement et outrageusement mal géré. Ce n’est donc pas seulement l’histoire qui est en jeu, c’est aussi, c’est surtout, la diplomatie et la politique.

Dans un conflit, comme dans une scène de ménage, c’est toujours la faute à l’autre. Et, pris par cet entêtement, aucun ne voudra faire de concession ni chercher la conciliation.

Les français reprochent aux Algériens leur acharnement historique et la survie par la rente mémorielle, s’attribuant avec arrogance le beau rôle, donnant non seulement le sentiment mais la preuve qu’ils vivent eux-mêmes de l’entretien d’une histoire dont ils n’étaient pas les victimes.

L’argument le plus avancé par une certaine droite et par l’extrême droite est celui que viennent de débiter en même temps l’ancien ministre Pierre Lellouche, l’ancien juge Georges Fenech les deux membre du parti LR sur la chaîne parlementaire, et Jean Messiha du parti Reconquête sur la chaîne CNEWS et Éric Zemmour lui-même sur son compte Facebook.

“Il y’a d’autres pays qui ont été occupés par la France et qui ont subit aussi des guerres mais ils sont totalement à l’opposé des Algériens”, tonnent-ils d’une seule et même voix. Les Vietnamiens, disent-ils encore, ont connu une guerre plus violente que la guerre d’Algérie, pourtant ils parviennent à outrepasser l’histoire pour vivre le présent. Pour preuve, un million d’entre eux vivent en France en totale harmonie.

C’est de la haine pure. C’est de la mauvaise foi dont sont capables la droite de la droite et l’extrême droite française qui, toutes deux, réunissent chez elles tous les adeptes de l’Algérie française qui ne désespèrent pas d’y retourner un. Jour.

Pour asseoir leurs thèses d’extrémistes, ils ignorent, où font semblant d’ignorer, la différence profonde qu’il y a entre la présence française en Algérie et sa présence au Vietnam, au Maroc, en Tunisie ou dans d’autres pays d’Afrique. ” Les français sont attaches sur la terre d’Algérie par des racines trop anciennes et trop vivaces pour qu’on puisse les en arracher” écrivit Albert Camus dans une lettre à Aziz Kossous. Et d’ajouter: ” les français d’Algérie sont en Algérie depuis plus d’un siècle et ils sont plus d’un million. Cela seul suffit à différencier le problème algérien des problèmes posés en Tunisie et au Maroc où l’établissement français est relativement faible et récent”.

La voici théorisée par Albert Camus lui-même l’erreur sur laquelle se fonde une partie non négligeable de la France pour revendiquer un droit inaliénable sur l’Algérie, droit duquel elle se sent spoliée. On peut résumer ainsi cette théorie absurde : Après 100 ans et avec un million de français, la France a acquis la propriété de l’Algérie par prescription et ses droits sur elle sont devenus des droits naturels.

Il s’en suit naturellement que si les rapports entre la France et la Tunisie, le Maroc et le Vietnam sont apaisés, c’est parce que nul ne prétend avoir sur eux un droit acquis par une présence coloniale longue et massive. Et parce que nul n’associe aujourd’hui le mot pieds noirs au français du Maroc, de la Tunisie et du Vietnam. Et nul ne prononce les mots de Tunisie Française, Maroc Français ou Vietnam Français.

Que la France traité l’Algérie et les algériens de la même manière et qu’on verra les résultats. Au fond, on ne lui demande pas plus que de l’oubli.

En vérité c’est les prétendants à ce droit qui sont les premiers responsables de la pérennité du conflit. C’est d’eux que le mal arrive. Il constitue un lobby très influent en France. Il empêchent, eux aussi, eux surtout, l’oubli. Ils entretiennent le traumatisme. Et ils empêchent les responsables politiques de faire le travail nécessaire de réconciliation.