LA FORCE DU DROIT

La force du droit réside dans la précision de sa terminologie. Il est une science, et, en tant que telle, il ne peut se perdre dans des imaginaires poétiques ni se permettre les libertés que peut s’offrir la littérature qui, elle, bénéficie du statut supérieur d’art. Un bon juriste est un rhéteur qui doit savoir manier sa langue et n’utiliser ses mots qu’à bon escient. Son souci n’est pas de plaire mais de convaincre. Et quand il plaide où qu’il écrit, ses mots sont des flèches destinées à des cibles qui souvent ont l’oreille sourde et la main lourde et qui ont le droit suprême de dire le vrai, de décider de la vie, de la liberté, de la fortune ou de l’infortune des gens et qui pour cela exigent concision, précision et sobriété.

En droit il n’y a pas de synonymie, ni d’antonymie, ni d’homonymie, ni de polysémie.

Comme un plus un égalent deux, une vente est une vente, un troc est un troc, un don est un don et un legs est un legs. Quoiqu’ils aient tous pour finalité la transmission de la propriété d’un bien d’une personne à une autre, aucune de ces institutions juridiques ne peut remplacer l’autre. Pour notre espèce il est toujours impératif de fonder les prétentions et ne jamais mélanger les genres sous peine d’être imprécis et de ce fait incompris et débouté.

Quelques mots, une seule phrase, suffisent parfois pour faire passer le message et rendent vains les longs propos. Adages et maximes sont en effet pour le juriste chevronné ce que l’arme de précision est pour le tireur d’élite; avec, on fait toujours mouche quand on sai faire un judicieux usage.

En voici quelques perles:

“Nul ne peut profiter de sa propre turpitude”, pour signifier qu’un contractant ne peut tirer bénéfice de sa mauvaise foi. Ou “à l’impossible nul n’est tenu”, pour dire que la force majeure et le cas fortuit délient de toute responsabilité. Ou ” l’insensé n’a point de volonté” pour dire que pour contracter ou être responsable il est nécessaire de jouir d’une capacité. Ou ” pas d’intérêt pas d’action”, pour rejeter en la forme les actions d’un chicanier.

Je garde le dernier pour la fin. Il sied merveilleusement à beaucoup de situations et de personnes, même si à l’origine il s’applique à des personnes qui, en affaire, négocient des contrats dont l’issue n’est pas certaine et auxquelles on ne permet pas de se plaindre si par la suite elles s’estiment flouées : ” l’aléa chasse la lésion”.

Beaucoup d’entre nous prennent dans leurs vies personnelles ou sociales des risques et ce en toutes connaissance de cause. Ils peuvent réussir comme ils peuvent perdre. Un harrague qui défie une mer déchaînée prenant en compte la possibilité d’y laisser son corps, un révolté qui défie un pouvoir sachant qu’il peut être privé de liberté. À ceux-ci s’applique aussi l’adage l’aléa chasse la lésion et doivent être tenus responsables de leurs choix.