LA CRAVATE

À un confrère qui porte une longue barbe pour se faire distinguer de la meute des mécréants qui constitue sa famille professionnelle, j’ai demandé un jour, moquant, pourquoi il s’encombre d’une cravate alors que…? Ayant saisi le sarcasme qui fût derrière la question, il me répondit tout naturellement : Et comment saurait-on que je suis un avocat?

Il est vrai que cet accessoire d’apparat, même s’il est souvent porté dans la profession comme un signe distinctif des défenseurs au milieu du grand charivari de nos tribunaux et nos cours ou se croisent des gens de toutes les espèces, il n’est pas pour autant de rigueur. Cependant il a des adeptes très nombreux qui cultivent le snobisme, considéré par eux comme allant de pair avec leur office. Un confrère décédé il y’a longtemps, qui était d’une grande élégance, en fût un. Il disait qu’un avocat doit en tout moment et en tout lieu ressembler à un avocat. Et, poussant le rigorisme à son paroxysme, il ajoutait que le costume-cravate est pour lui ce que le treillis est pour un militaire : une tenue de combat.

Je respectais l’avis de cet illustré confrère, mais je ne suivais pas son exemple. J’aime être à mon aise et j’aime la liberté même dans ma tenue vestimentaire. Et tant pis si au milieu du grand charivari on ne me distingue pas.

Il faut dire qu’il y’a des individus qui ne sont pas faits pour l’accessoire et qui se sentent étouffés quand ils ont le cou trop serré. Le grand avocats du barreau parisien, Éric Dupond-Moretti en est le meilleur exemple. Un journaliste, sarcastique, faisant remarquer que, ministre, il s’habille en costume-cravate alors qu’il le faisait très rarement quand il était avocat, le qualifia de “KING KONG EN LAISSE”. (King Kong pour sa force physique et laisse pour la cravate qu’il noue autour du cou et qui étouffe sa voix). J’ai trouvé cette pique genial. La cravate, une laisse, comme parabole on ne peut trouver mieux. Il est vrai que la force du métier d’avocat réside dans la liberté de ton et de mouvement qu’il confère et qui permet toutes les outrances, puisque, profession libérale et de liberté, il n’a pas de chef et, par essence, ne doit rien à personne, alors qu’un ministre, tributaire dans sa survie politique du jugement du grand nombre (la fameuse démocratie), il doit soigner sa tenue et surveiller sa langue, et accepter, quelque soit sa légitimité et sa force, de porter une laisse que la plèbe tient en main de façon permanente. J’en conclus qu’un avocat qui choisit de troquer une robe contre une cravate perd son âme et, de requin qui, libre, chevauche les vagues, il change en un chien de garde qui craint les vagues autant qu’il craint ses maîtres.

Dupond-Moretti est devenu ministre comme le fut Tayeb Louh ou Ahmed Ouyahia. Comme eux il fait l’objet de poursuite. Si la loi n’était pas trop indulgente pour ces grands criminels devant l’éternel, les nœuds de leurs cravates auraient bien servi de nœuds coulants le jour de l’exécution de leurs châtiments.

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