QUAND IL Y A DES OH !, IL Y A DÉBAT

Même si on ne partage pas leurs opinions, il faut reconnaître à certains de nos intellectuels l’avantage de provoquer des débats sur des sujets jusque-là tabous, qui manquent cruellement à notre société dont la sclérose de l’esprit a précédé celle des institutions politiques, de l’économie, de l’éducation, de la recherche…etc. Longtemps soumis à un régime de pensée unique, les algériens ont fini par ne plus penser collectivement, sinon par penser dans des sens parallèles qui ne se rencontrent pas, alors qu’il est plus sain d’oser la confrontation des idées, puis de se convaincre et se réconcilier, pour enfin faire cause et intérêt commun.Donc, malgré tout, c’est mieux qu’avant.

On progresse.Nous devons à Kamel Daoud, à Boualam Sansal et à Amine Zaoui, par exemple, de nous provoquer, même par le dénigrement et par l’outrage et de susciter notre réaction au modèle de société trop laïcisée trop occidentalisée qu’ils voudraient nous imposer. Ils tentent de déranger notre quiétude, notre culture, notre héritage séculier, nos conservatismes et le confort de notre médiocrité ambiante. Mais ils n’y parviennent pas car ils ne disposent pas de l’envergure des géants qu’ils miment maladroitement, qui ont réussi à sortir leurs sociétés des affres du moyen âge et à leur apporter “lumières” et “l’humanisme”. N’empêche que même si les nôtres ne sont pas suffisamment grands, ils parviennent tout de même à mettre le doigt là où il fait mal, à l’image des moustiques qui en piquant ne tuent pas mais empêche de dormir sur ses lauriers.

C’est le cas aussi de Said Djabelkheir et d’Amina Bouraoui. Sauf qu’à la différence des premiers, ces derniers activent sur des registres qui ne leur permettent pas de se cacher derrière la fiction littéraire qui absout de toute responsabilité pénale personnelle: l’islamologie pour le premier et le militantisme politique pour la seconde. Deux domaines hautement risqués dans une société en déficit de démocratie et d’ouverture d’esprit, qui ont fini par les conduire devant les tribunaux.

Djabelkheir et Bouraoui ont été tous les deux condamnés pour le même chef d’inculpation ; l’offense à l’Islam. Cette condamnation est apparue excessive pour certains, anticonstitutionnelle pour d’autres et liberticide pour d’autres enfin, tous ont crié au scandale judiciaire. Il y en a même qui ont écrit à ce propos que « c’est la faute à l’autorité judiciaire qui durcit la loi” (Bachir Derrais dans Chroniques Algériennes). Cette réaction plus passionnelle que raisonnable se comprend. Elle réunit en un corps solidaire tous les athées, tous les agnostiques et tous les libertins DZ qui se sentent menacés dans leur liberté de ne pas croire et même de blasphémer au nom de la liberté du culte, de la libre pensée et d’une laïcité fantasmée.

Mais, du point de vue de presque tous, ils sont une minorité égarée. En effet, l’état actuel du droit, qui reflète assurément la volonté très majoritaire, interdit et réprime l’offense faite à l’islam ainsi que le blasphème. Et, par conséquent, les juges qui ont condamné n’ont fait qu’appliquer des dispositions légales préexistantes sans les durcir en quoi que ce soit, n’étant, selon la belle formule de Portalis, que « la bouche qui prononce la parole de la loi ». Ils ont été invités, forcés, à trancher deux dossiers. Ils ne pouvaient pas faire autrement sous peine de déni de justice. Ils ont usé, dans deux cas d’espèce (donc des cas très rares que des malintentionnés exagèrent à mauvais escient en criant au RETOUR de l’inquisition moyenâgeuse!) d’une appréciation souveraine qui leur est reconnue et ont fait application de la loi, cette même loi que des démocrates patentés ont votée (ce qu’on a tendance à oublier) et qui restera applicable en l’état, qu’on le veuille ou non, tant qu’elle n’est pas modifiée, amendée ou abrogée. Et, ce faisant, ils ont condamné en droit, quitte aux concernés d’user des voies de recours que permet la procédure.

Reste à préciser que Djabelkheir, même s’il n’est pas l’islamologue qu’on décrit, il mérite plus de circonstances atténuantes que Bouraoui. Lui, s’il a commis quelques infractions à la loi, il a le bénéfice de l’excuse atténuante de l’avoir fait, j’allais dire, dans le cadre de l’exercice de sa fonction d’intellectuel polémiste. Et puis, il n’est pas certain que le juge qui l’a condamné soit suffisamment outillé pour juger sa pensée et dire non le juridique mais le cultuel, non le temporel mais l’intemporel. Quant à madame Bouraoui, en consultant ce qu’elle lance au public, on est conduit à juger qu’elle ne peut pas bénéficier de la même excuse atténuante, tellement elle récidive dans l’offense gratuite et en fait un commerce presque charnel qui n’a pour objectif que de porter atteinte au sentiment religieux de la très grande majorité des algériens qui ont tout simplement droit au respect de leur foi.