20/20, LA PERFECTION A UN PRIX, MAIS LEQUEL?

Je me rappelle, jeune étudiant à Rennes, de l’euphorie et de la fierté que les Bretons avaient ressenti quand l’un des leurs, Yann Queffelec, avait reçu le prix Goncourt pour son roman “Les noces barbares”. Pendant l’année qui a suivi cette consécration littéraire suprême tous ses compatriotes n’avaient d’yeux que pour lui. Du “Yann” par ci, du Yann par là, et le petit dieu était devenu un symbole et son nom était sur toutes les lèvres.

Mais Yann Queffelec n’avait pas pu rééditer son exploit. Il n’avait pas pu se surpasser ni au moins être égal à lui-même. Il n’avait pas pu produire un roman meilleur que les Noces ou au moins d’égale qualité alors que toute la France attendait de lui un second succès. Certes, il avait produit quelques romans, mais qui n’ont pas fait date. La pression que le succès avait exercé sur lui et l’incapacité de voler aussi haut que la première tentative avaient fait sur lui un très mauvais effet et conséquence, longtemps il sombra dans l’alcool.

Les Noces barbares était le premier roman produit par Queffelec à l’âge de 36 ans. Avec cette œuvre, il a atteint la perfection dès le premier jet. Mais le drame pour l’auteur fut qu’il ait atteint la perfection au premier jet. Or quand, jeune ou débutant, on atteint la perfection on ne se laisse plus aucune marge pour la progression, et alors, sauf exception, ou on stagne ou on régresse forcément. Et si on continue dans la même activité sans progresser, on est fatalement pris dans le piège des revers de la médaille du succès prématuré.

Tout porte à croire que le même drame frappe notre Daoud national qui, après son premier produit (Meursault contre-enquête), frôla les cimes (le Goncourt) et qui, depuis, devient presque stérile, ne produisant que des navets (Zabor et Son œil dans ma main), et se contentant d’un travail indigne des grand créateurs, aux ordres et en sous-main.

Je ne me souviens plus du nom du coureur de fond jamaïcain qui, durant la même période des Noces barbares avait lui aussi battu le record du monde de sa discipline, les 100 m, et qui, n’ayant pas pu atteindre son propre record, tomba dans la d’échéance.

Moralité de toutes ces histoires est qu’il ne faut pas se réjouir des grandes performances quand elles viennent trop tôt et que la perfection n’est pas forcément une bénédiction. En effet, combien de nos enfants prodiges n’avons-nous pas fêté leurs exceptionnels succès pour apprendre par la suite à quel point ils étaient devenus tristes et malheureux faute d’avoir bénéficié de tous les soins et tous les accompagnements que leur fragilité exige.