Il nous est possible, nous les enfants de l’internet, de nous épier mutuellement. Les petits joujoux entre nos mains le permettent désormais. On peut savoir qui dort tôt et qui veille, qui pense quoi, qui sont les amis de qui, qui sont les personnes qui ne le portent pas dans leurs cœurs, et on peut deviner quel est l’état d’âme de chacun.
Un ami m’a rappelé que, via des applications, il est même possible de suivre l’autre à la trace, savoir où il se trouve à l’instant T. On peut savoir tout cela, disait-il, et d’avantage, il suffit que cet autre soit connecté. Et comme tout le monde est désormais connecté tout le temps…
J’ouvre ” l’immortalité” de Milan Kundera que je relis en souvenir d’un ami disparu qui me l’a offert, et, hasard, je lis ceci: ” Agnès se souvint que jadis, dans son enfance, elle était fascinée par l’idée que Dieu la voyait, et la voyait sans trêve. C’est alors qu’elle avait ressenti pour la première fois cette volupté, cet étrange délice que les humains éprouvent à être vus, vus à leur corps défendant, vus dans les moments d’intimité, vus et violés par la vue.Elle pensa à la sœur de la reine d’Angleterre ET SE DIT QU’À PRÉSENT L’ŒIL DE DIEU ÉTAIT REMPLACÉ PAR L’APPAREIL PHOTO. L’ŒIL D’UN SEUL ÉTAIT REMPLACÉ PAR LES YEUX DE TOUS”.
Il est vrai que les temps ont changé, et que la révolution numérique a transformé nos vie de manière irrévocable. Nous nous sommes habitués à ces yeux infinis qui ont remplacé l’œil unique et qui nous guettent tout le temps. Nous avons intégré cette anomalie normalisée et nous avons fait concession de notre intimité pour assouvir notre curiosité. Et, comble du malheur, qui d’entre nous peut supporter longtemps la dure absence de regards, qui peut résister à la solitude virtuelle ?