Pour retrouver les sources de la Loi relative à la monnaie et au crédit (LMC), dans un sens aussi radical, aussi net, que possible, il conviendrait de revenir jusqu’à la première LMC, celle promulguée sous le Gouvernement de Mouloud Hamrouche et vers la fin de l’ère où feu le Président Chadli Bendjedid assurait la magistrature suprême du pays. Par ailleurs, faire ce voyage pourra s’avérer d’autant plus instructif qu’abstraction faite du tout dernier amendement en la matière (loi n° 17-10 du 17 octobre 2017), aucune législation édictée depuis –ni l’ordonnance n° 01-01 du 27 février 2001 ni l’unique nouvelle LMC, en l’occurrence celle datée de 2003 et qui a été modifiée et complétée en 2010- n’a constitué une remise en cause de ce qu’il y a de plus essentiel dans cette LMC de 1990.
1- Les premières causes de la crise de 1986.
Pour traiter de cette dernière, il est singulièrement utile de rappeler que 1986 reste célèbre pour avoir été une année durant laquelle l’Arabie saoudite, suspectée de complicité avec les USA et suivie par nombre de membres arabes de l’OPEP, a inondé le marché mondial de l’or noir. En 1986, plus explicitement, le monde a vécu une historique dégringolade des cours du pétrole, d’autant plus historique qu’il s’agissait de la première du genre et que les spécialistes, pour la nommer et en référence aux « chocs » de 1973 et de 1979, ont parlé de « Contre-choc pétrolier».
À ce fait, et comme s’il fallait confirmer qu’un malheur n’arrive jamais seul, il faut ajouter la dépréciation subie à la même époque, entre 1985 et début 1987, par le dollar américain. La baisse en question atteignit une telle ampleur –une perte de près de 50 % de valeur par rapport aux principales monnaies, en à peine deux ans- que les accords conclus dans l’hôtel newyorkais du Plaza –le 22 septembre 1985, entre les USA, la France, le Japon, l’Allemagne de l’Ouest et le Royaume-Uni- ont dû finir par rendre l’âme dans le musée parisien du Louvre -accord signé par le G7 diminué de l’Italie, le 22 février 1987 et répondant au besoin de mettre un terme à la chute.
La première difficulté, en ce qui concerne le présent article, est qu’alors que le 1° contre-choc –premier puisqu’il y en aura d’autres !- était tel qu’on a pu parler d’effondrement des cours, l’évidence est que l’Algérie compte (au sens que l’on connait) parmi les pays dont l’économie est la plus dépendante du prix du baril. La seconde, conformément à ce qui constitue une règle quasi générale en attendant que la Chine arrive à imposer sa monnaie nationale à l’Arabie saoudite, est que le pétrole algérien se vend contre le dollar américain, alors que la dépréciation de ce dernier était telle, en 1986 toujours, que la remontée des taux d’intérêt –réalisée pour y remédier- a dû être poussée jusqu’à s’achever par le krach boursier d’il y a trente ans, jour pour jour, ce traumatisant lundi (19 octobre 1987) qui a rappelé, au monde, le célébrissime jeudi noir de 1929.
La chute des rentrées financières, qui en a résulté pour l’État, a fait ressortir, en plein jour et en tout premier lieu, les vertigineuses contre-performances de ces entités qu’on allait commencer -une fois qu’on aura décidé de mettre en veilleuse le qualificatif de « socialiste »- à appeler « entreprises publiques économiques » (EPE). Nous précisons « en plein jour » car une certaine prise de conscience desdites contre-performances, au moment où l’économie algérienne tombait sous le double choc de la dévalorisation du baril et de la dévaluation du dollar, était déjà bien là.
2- Les principales réformes précédant la LMC de 1990.
Le mal était tellement dans la structure qu’il a fallu, dès 1988, légiférer dans le sens de l’historique « autonomie de l’entreprise » (loi n° 88-01 du 12 janvier 1988), afin de faire passer un pur appendice de l’Etat -en ces temps où l’organisation hiérarchique menait de l’usine (unité de base de l’EPE) jusqu’à la présidence de la république- à l’ordre de la commercialité. Cet énorme pas législatif, fait en direction d’un retour à ce qu’il y a d’incompressible dans la rationalité économique, en résumé, exprimait la volonté de voir l’Etat se désengager de la gestion et du financement des EPE. Il s’agissait, en d’autres termes, d’aller vers une séparation entre le statut de Puissance publique et celui d’actionnaire, au sein de l’Etat, et de se diriger, plus généralement, vers une économie de marché même si ce dernier terme n’avait pas encore tout-à-fait cessé d’être tabou.
Cette même année 1988 a vu la promulgation de la loi relative à l’orientation des investissements économiques privés nationaux (loi n° 88-25 du 12 juillet), et, par voie de conséquence, l’abrogation explicite de la loi 82-11 du 21 aout 1982 et relative au même domaine. L’évènement était de taille puisque cette dernière, malgré une nette ouverture vers l’entreprise privée, demeurait remarquablement restrictive et contraignante. Par ailleurs, force est de considérer qu’il était le bienvenu étant donné que le double choc de 1986 avait clairement laissé voir que l’Etat entrepreneur –abstraction faite de la position qu’on pourrait défendre sur l’échiquier politique résumé par ses deux grandes divisions classiques- n’avait plus les moyens financiers pour continuer à assumer, aussi aisément qu’il l’avait plus ou moins fait par le passé, le plus gros de ce que la reproduction économique du pays exigeait.
On peut utilement ajouter que l’investissement privé était d’autant plus à considérer et à solliciter qu’il fallait, en plus de la nécessité de lui ouvrir l’accès à un plus grand espace d’action, que les autorités publiques trouvent et offrent les conditions qui pouvaient permettre à la sphère productive de concurrencer, en matière de possibilités d’accumulation du capital, la sphère de la spéculation. Et relever ce défi ne compte pas parmi ce qu’il y avait de plus aisé à faire.
Ainsi, il fallait que les entreprises publiques se transforment en entreprises telles qu’entendues au sens classique, c’est-à-dire, essentiellement, qu’elles commencent à se reproduire en ne comptant que sur ce qu’elles retirent de la vente de leur production, i.e : de leur statut d’entité commerciale, et à ne pouvoir se développer, croitre ou s’élargir, qu’en usant de ce qui leur reste après déduction des couts et des différentes obligations fiscales. La difficulté, maintenant, est que cet énorme projet -colossal pour tout un système d’entités qui étaient nées et n’avaient grandi qu’à l’ombre de l’Etat transformé en Providence- ne pouvait s’achever en autre chose qu’une peine perdue …qu’à la condition que lesdites EPE cessent d’avoir accès aux crédits bancaires autrement qu’au vu de leur solvabilité et qu’à la condition de rembourser l’emprunt contracté.
3- La LMC de 1990, dans son sens général.
Or, pour que cette dernière condition puisse s’imposer, pour qu’on arrive à concrétiser cette volonté de faire régner l’ordre du calcul économique, l’un des premiers actes devait consister à mettre un terme à l’assujettissement qui enchaînait, de fait, les banques primaires au ministère des finances. L’urgence était, par conséquent, de faire en sorte à ce que la Banque centrale récupère son statut de banque des banques. Ce pouvoir de la Banque d’Algérie, sur l’ensemble des établissements composant le système bancaire national, est ce que la LMC de 1990 assure à travers une série de dispositions dont, pour n’en citer qu’une petite partie, les sept articles (de 44 à 50) constituant la section III (Chapitre 2 du Titre II) qui explicite les attributions du Conseil de la monnaie et du crédit, « en tant qu’autorité monétaire édictant des normes et en assurant l’exécution ».
D’autre part, cette même libération des banques primaires, vis-à-vis de l’autorité ministérielle, était appelée, aussi, pour répondre aux besoins de financement que les investisseurs privés n’allaient certainement pas manquer d’exprimer. En tenir compte revenait à faire preuve de lucidité en politique économique, vu que c’était l’Etat –ainsi que nous l’avons exprimé plus haut- qui avait besoin des détenteurs des capitaux privés, et non l’inverse. Ceci était d’autant plus certain qu’il fallait convaincre ces derniers d’entrer dans la sphère de la production, là où l’aventure entrepreneuriale est autrement plus authentique. À moins de croire, ce qui risquerait de paraitre maladroitement primitif, que la chose allait pouvoir réussir en se suffisant des fonds propres et des apports personnels. Pour se faire une idée de l’ouverture de la 1° LMC à l’initiative privée dans l’économique, et de ce qu’elle espérait en terme d’accompagnement bancaire, nous nous contenterons de rappeler les deux faits qui suivent :
1) C’est cette même loi qui a ouvert le système bancaire algérien aux capitaux privés (pour rappel : nationaux et étrangers).
2) Derrière l’initiation, la rédaction et la promulgation de la dite loi et de la grande réforme qu’elle portait, on retrouve le même nom, le même commis de l’Etat, que celui qui siège derrière la loi n° 88-25, qu’on a citée plus haut et qui, entre bien d’autres ouvertures, met un net terme à l’énorme discrimination bancaire imposée à l’entreprendre privé. On retrouve en l’occurrence, on l’aura deviné, Mouloud Hamrouche, accompagné par l’équipe de spécialistes dont il s’était fait entourer.
Parvenu jusqu’à ce niveau, il reste à se poser la question de savoir à quoi aurait servi de retirer les diverses banques au pouvoir du ministère des finances, en les ramenant au sein de la première Banque, si celle-ci devait continuer à fonctionner -comme elle l’avait plus ou moins fait depuis presque l’accession de l’Algérie à l’indépendance nationale- à la manière d’un coffre-fort mis au service du Trésor public. Pour être plus concret, faut-il nous compléter en ajoutant que cette mise au service du Trésor, n’avait pas manqué d’amener la banque d’Algérie à faire tourner la planche à billets et que celle-ci, par ailleurs, en constituait bien la fin ? La chose avait été rendue possible, en toute évidence, par le fait que le statut d’émetteur exclusif de la monnaie fiduciaire, qui caractérise banque centrale, se trouvait doublé par celui d’émetteur ramené, d’une façon ou d’une autre, à un pur appendice administratif du Pouvoir exécutif.
4- La LMC de 1990, dans son extrême substance.
Ceci étant, c’était essentiellement pour mettre un terme à cette politique de la planche –pour en finir avec un système qui, quelles qu’en fussent ses raisons, avait pris l’habitude d’accroitre la masse monétaire selon un taux si peu préoccupé par celui avec lequel la production de richesse croissait- que le législateur a décidé, en 1990, de proclamer l’indépendance de la banque des banques, de la séparer, autrement-dit, du Gouvernement. Si celui-ci gardait le droit et le devoir d’exercer le pouvoir exécutif avec tout ce que la tache comporte –pour ce qui concerne le présent écrit- en matière de politique budgétaire, il devait, désormais, s’en contenter …puisque c’est à celle-là que revenait la charge de la politique monétaire. C’est ce que la Loi énonce par son art. 55 (1° aliéna) : « La Banque centrale a pour mission de créer et de maintenir dans le domaine de la monnaie, du crédit et des changes, les conditions les plus favorables à un développement ordonné de l’économie nationale, en promouvant la mise en œuvre de toutes les ressources productives du pays, tout en veillant à la stabilité interne et externe de la monnaie ».
Cette autonomisation du pouvoir monétaire, valant rupture avec une ère de quasi confusion entre Banque centrale et Trésor, est complétée par les articles 72 et 76, qui interdisent à la première de procéder à nombre d’opérations relatives aux effets –dont, tout particulièrement, l’achat- qui seraient faites au profit du second. Le principe est renforcé par l’article 78, qui réduit les découverts en compte courant, accordés par celle-ci à celui-là, à « un maximum de dix pour cent (10 %) des recettes ordinaires de l’Etat constatées au cours de l’exercice budgétaire antérieur » (tout comme il en réduit la durée). Ce grand détail se situe au cœur de la LMC de 1990 et consiste en une nette volonté d’instaurer des garde-fous, des barrières institutionnelles, face à ces grands risques monétaires, qu’il est tellement tentant de prendre lorsque l’Etat se trouve confronté à certaines difficultés relevant du domaine de la politique budgétaire.
Mourad Remaoun.