Ne pas tendre la joue n’empêche pas de tendre la main, ou prendre une main tendue.
Le conflit algéro-marocain qui s’éternise m’a amputé de la moitié de ma grande famille. Trop de temps est passé, et des deux côtés des frontières nous avons pris de l’âge. Beaucoup d’entre-nous ont disparus sans se voir et pour certains sans jamais se connaître. Une guerre froide que nous n’avons jamais compris, jamais admis, qu’on ne nous a jamais expliqué, nous a causé à nous tous des dommages irrémédiables.
Le grand conflit, dont il est toujours possible de faire l’économie, a consommé presque deux de nos générations. Trop tard, nos enfants ne se connaîtront plus jamais. Un malentendu politique qui les dépasse a irrévocablement défait les liens du sang qui soudaient leurs parents. Tout bêtement parce que des étrangers ont rompu ce que Dieu a voulu et ce que la nature a établi. Nos enfants ont fini par succomber à la bêtise des hommes qui commandent leur destin et qui décident pour eux sans jamais les consulter. Pire, ils adhèrent à leur folie.
Ma mère est morte l’âme brisée pour ne pas avoir pu voir une dernière fois les siens ni sa terre natale, alors qu’il lui aurait suffit d’enjamber cette frontière de tous les malheurs qui l’en séparait. Elle fut enterrée loin des tombeaux de ses aïeux, sans la Présence d’aucun membre de sa famille marocaine, alors qu’elle les aimait tant, alors qu’ils l’aimaient tant. Qu’a-t-elle fait pour que tel soit son destin, qu’a-ton fait pour que let soit le notre. Elle ne pardonnera jamais cette injustice. Ni moi, ni nous, ses enfants. Ô comme je comprends celui qui, entre la justice et sa mère, il avait choisi sa mère.
Très las, on finit par se demander pourquoi tout ce temps perdu, pourquoi tant de gâchis? Qu’est ce qui fait que des deux côté on s’entête à creuser des fossés de plus en plus profonds et a ériger des murs de barbelés de plus en plus hauts? Pourquoi la haine du frère pousse la folie jusqu’à s’allier avec l’ennemi dangereux de toujours? Pourquoi épuiser la majeure partie des richesses nationales pour se préparer à un hypothétique conflit armé dont personne ne sortira totalement gagnant?
Que du bonheur et de progrès on aurait pu réaliser des deux côtés si tous ces budgets colossaux avaient été investis pour la paix et non pour la guerre! À t’on conscience qu’une simple main tendue peut changer totalement le destin des deux peuples, des deux pays?
Quand est-ce que la sagesse vaincra enfin la dangereuse folie des hommes ?