MADRID – Cinq ans après le début de ce qu’on appelait alors le Printemps arabe, l’espoir qui fut la marque de ces révolutions, soldées par de longs et violents conflits, en est presque partout anéanti, et aucune solution ne semble en vue. Parmi toutes ces dissensions, la communauté internationale n’a pas accordé beaucoup d’attention à l’Algérie, où l’esprit révolutionnaire fut étouffé, mais souffle à nouveau. Aujourd’hui pourtant, le sort de l’Algérie est de retour sur les écrans radar du monde – ce n’est pas trop tôt.
Le 7 février, le parlement algérien a voté le nouveau train de réformes constitutionnelles, qui limitent notamment à deux mandats le maintien au pouvoir du président (Abdelaziz Bouteflika, dernier dirigeant historique de la guerre d’Indépendance, est à la tête de l’État depuis 1999) et reconnaissent un certain nombre de libertés fondamentales. Ces mesures, en préparation depuis 2011, ont pour but de renforcer le statut démocratique de l’Algérie, mais elles sont la cible, pour leur insuffisance, d’abondantes critiques.
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On ne peut douter que ces réformes surviennent à un moment sensible, alors que l’Algérie est en proie aux incertitudes politiques et économiques. Le « consensus » censé déterminer la vie politique algérienne paralyse en fait depuis de nombreuses années les prises de décision. Malade, le président Bouteflika n’a pas été vu en public depuis plus d’un an et l’on commence à se poser des questions sur le déroulement des élections de 2019. Les efforts déployés ces trois dernières années pour restreindre le pouvoir des services de renseignement et de sécurité – en septembre, Mohamed Mediène, qui dirigeait depuis 1990 les services de renseignement à été contraint de prendre sa retraite – ne sont qu’une des sources et qu’une des manifestations de la tension politique palpable.
Les grands défis de la scène internationale aggravent la situation. L’industrie du pétrole et du gaz fournit à l’Algérie 97% de ses recettes d’exportation, et la chute des prix du pétrole depuis juin 2014 a souligné la fragilité du modèle économique sur lequel s’est construit le pays.
Une baisse des recettes pétrolières signifie que le gouvernement algérien ne pourra maintenir la large gamme d’aides et d’allocations qui lui servent traditionnellement à apaiser les tensions sociales et contribuent à éviter la protestation. Le gouvernement a déjà dû augmenter certains impôts, ainsi que les prix de l’essence, de l’électricité et du gaz. Si les prix du pétrole ne remontent pas à brève échéance et si les dirigeants algériens se voient contraints de prendre des mesures plus radicales, la stabilité sociale peut être compromise.
Il est vrai que certains facteurs peuvent contribuer à retarder l’agitation sociale – en l’occurrence le souvenir des violences de la guerre civile des années 1990, qui a fait plus de 150 000 morts. Mais ce souvenir s’efface avec le temps, et la nouvelle génération de jeunes ne craint plus le conflit social comme le craignaient avant eux leurs parents et leurs grands-parents. Dans le contexte actuel, si les difficultés économiques persistent, des protestations, voire une révolte, pourraient ne pas être une perspective si lointaine.
Pour éviter d’en arriver là, les responsables algériens doivent travailler prestement à la diversification de l’économie. Une action concertée ne sera pourtant pas chose aisée dans l’environnement politique dominant, notamment si l’on considère que les questions de sécurité posées par le voisinage du pays occupent de plus en plus l’attention du gouvernement.
Préoccupés par la révolution en Tunisie, la guerre en Libye, la rébellion des Touaregs au Mali et, plus encore, par l’attaque terroriste de 2013 contre le complexe gazier national d’In Amenas, les dirigeants algériens accordent une priorité croissante à la sécurité régionale. Si sa constitution interdit explicitement une intervention militaire à l’étranger, le pays a clairement intérêt – ce que traduit sa politique extérieure – à s’assurer de la stabilité de ses voisins et de leurs capacités dissuasives à l’égard des groupes extrémistes. Ainsi l’Algérie a-t-elle défendu en Libye un processus de réconciliation nationale avec toutes les forces en présence et appuyé les efforts des Nations unies pour stabiliser le pays.
Les États-Unis et l’Europe apprécient d’ores et déjà le leadership algérien et la contribution du pays aux efforts anti-terroristes dans son voisinage. Pour l’Union européenne, il est particulièrement important de resserrer les liens avec l’Algérie, puisque les deux parties ont un intérêt mutuel à la stabilité de l’Afrique du Nord voisine et du Sahel et que l’Algérie a les capacités de contribuer à la sécurité énergétique de l’UE.
L’une des voies essentielles qui permettraient à l’Algérie de renforcer la coopération régionale en matière de sécurité passe par la restauration des relations diplomatiques avec le Maroc. Voici quarante ans que dure le différend entre les deux pays concernant leur souveraineté sur le Sahara occidental. Les bénéfices économiques et commerciaux, mais aussi l’amélioration de la sécurité régionale qu’on est en droit d’attendre d’une coopération renouvelée devraient suffire pour qu’Alger et Rabat acceptent de reconsidérer leur position. Si les deux géants de l’Afrique du Nord parvenaient à reconnaître leurs intérêts mutuels et à tisser de nouveaux liens, ils permettraient que se dénouent les tensions dans le Maghreb. L’influence de l’Algérie en Afrique s’en trouverait aussi renforcée.
D’ores et déjà, l’influence de l’Algérie à l’échelle de l’Afrique est en mesure de s’étendre. Certains ont suggéré qu’un candidat algérien puisse accéder à la présidence de la Commission de l’Union africaine lorsque le mandat de l’actuel président expirera, en juillet prochain. À cet égard, le soutien sans faille de l’Algérie à l’Union africaine et son engagement pour la sécurité régionale – dont témoignent son rôle dans l’accord de paix au Mali et sa situation de pays hôte pour les discussions sur la Libye – plaident en sa faveur. En cas de succès, l’Algérie deviendrait le premier pays d’Afrique du Nord à diriger l’Union africaine.
Les défis majeurs soulevés par la chute des prix du pétrole et par un contexte régional pour le moins tendu montrent assez l’urgent besoin d’un changement en Algérie. Mais si le gouvernement agit, afin de déverrouiller le système politique, de diversifier l’économie et de donner une nouvelle impulsion aux efforts diplomatiques, l’Algérie peut en sortir plus forte et plus écoutée que jamais.
Traduction François Boisivon
https://www.project-syndicate.org/commentary/algeria-reform-challenges-opportunities-by-javier-solana-2016-02/french
* Auteur : Javier Solana
M Javier Solana était un haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité de l’UE , secrétaire général de l’OTAN et ministre des Affaires étrangères de l’Espagne. Il est actuellement président du Centre ESADE pour l’économie mondiale et Géopolitique, Personnalité distinguée à la Brookings Institution, et membre du conseil au programme mondial du forum économique sur l’Europe.