«CHAIB EL KHDIM !»

Dix-sept ans ! 17 ans qu’il nous a quitté. Il est parti en toute « modestie » comme il a vécu sa vie. Trop modeste. Trop amène. Paradoxalement trop timide dans sa vie de tous les jours. Il était misérable, il a vécu misérable et est mort misérable.

« Chaib El Khdim »  « El Guerrab »  était un monstre des planches. Comédien au don inné, fils de Saint Michel, venu de la mouise pour dominer le théâtre national.

SIRAT Boumédiène, Diden pour les intimes était un véritable bout-en-train.  Il était de ces comédiens qui peuvent faire d’un « navet » une pièce remarquable.

Son nom est indissociable du géant du théâtre Abderahmane Kaki, qui l’a découvert et lui a confié plusieurs rôles dans plusieurs pièces théâtrales (El Guerrab Oua Salhine en 1966, Koul Wahed Ou Hakmou 1967…) où encore, son nom est associé a El F’haïmi (l’intelligent). El Menouer(l’illuminé) El Khadjoul (le timide,)  Avant de se consacrer entièrement au théâtre, Sirat Boumedienne était agent de saisie (dactylographe).
Ayant intégré le théâtre à la fin des années 60, il a interprété avec brio des rôles de premier ordre. Il est monté sur scène avec l’artiste Boualem Hadjouti dans ses pièces ( Litham, Li Kla Y Ekhelles, Boulout). Mais c’est avec l’autre Monstre  détruit par les « vrais monstres » qu’il explosa tout son talent. En effet, c’est avec A. ALLOULA qu’il a dominé le théâtre Algérien avec l’apothéose de la prestigieuse distinction du Festival de Carthage : Meilleure interprétation  devant….. L’Egyptien Abdallah Gheith !  Un membre du jury confia « avoir rencontré un « interprète impérial »

Je me souviens des années 70 où il faisait la vedette de tous les théâtres  des villes et amphithéâtres des Universités (Oran, Alger et Constantine. Eh oui, il n’y avait que 3 !)  Il fut admirable dans « Hammam Rabi ». Génial dans   « El khobza » (la galette) Chevalier dans « Ledjouad »  Collant dans « EL 3lag » (Les sangsues)  Pas du tout voilé dans « Elitham » (Le voile)

Dieu sait que le pays qui l’a vu naître, où chacun est en représentation permanente, a enfanté pas mal de comédiens racés, des « bêtes de scène » comme on les définit familièrement, et SIRAT, d’une nature débordante et intuitive, s’inscrit dans cet Olympe de l’interprétation avec « une courte tête au-dessus des meilleurs comédiens de sa génération », reconnait  l’un des derniers Mohicans de la troupe artistique du FLN et ancien directeur du Théâtre national algérien, Taha El Amiri

N’est pas, en vérité,  Sirat Boumediene qui veut,  un  phénomène qui provoquait l’incandescence sur les planches avant d’ériger leur chapiteau dans la mémoire du peuple.

Une appréciation formulée à chaud sur « Elli Kla Ikhalass » signée comme adaptation par Hadjouti Boualem : « Chaque apparition de Sirat élève le rythme mais, revers de la médaille, chacune de ses sorties alourdit la cadence, sa présence incomparable, sa décontraction, ses variations vocales, sa façon de se dépenser et de se défoncer parviennent à occulter les lacunes du texte ».

En 1992, « El F’haïmi » se déplace à Alger où il rejoint ses amis de la troupe indépendante El Kalaâ, composée des comédiens Mkio Sakina (Sonia), Mohamed Ben Guettaf, Ziani Cherif Ayad et le défunt Azzedine Medjoubi.
Sirat Boumedienne participe activement dans cette troupe. Il a joué dans la pièce «Mille saluts à la vagabonde» de Mohamed Dib, « le dernier des prisonniers »  de Mohamed Benguettaf, réalisée par Ziani Chérif Ayad.
Mais c’est la Télévision qui fit de lui une star.  Après l’émission de « 3ayèche bel hef » de M. Houideg, c’est plutôt le feuilleton de « Chaib el Khdim » de Zakaria, qu’il interpréta de manière magistrale, épousant les différentes personnalités, qui fit de lui le héros. Dommage, le feuilleton fut non seulement censuré, mais tronqué, puisque sa diffusion n’arriva pas à terme. C’est d’ailleurs, dit-on dans son entourage, cette méprise qui lui fut fatale et activa sa pernicieuse maladie.

Il a également interprété deux rôles importants dans deux films cinématographiques en 1990, le premier intitulé « Sous les cendres », réalisé par Adelkrim Baba Aïssa et le deuxième « Hassan Nia »  de Ghaouti Bendeddouche.
Sa dernière production remonte à 1994, où il a été l’acteur principal du film «L’image», réalisé par Hadj Rahim. La maladie qui terrassait Sirat Boumedienne ne lui faisait pas mal au même titre que les maux qui commençaient à frapper le théâtre.

Alors qu’il embrassait la célébrité qui lui aurait probablement permis de sortir de la mouise, la censure en fit une victime. Il n’arrivait pas à avaler cette autre méprise, alors que le Pays faisait semblant d’aller en démocratie. « Avec Boumédiène, au moins on s’autocensurait, parce qu’on savait ce qui ne passait pas. Il y avait comme une ligne rouge admise par tout le monde. Mais aujourd’hui, on croit que tout peut passer, alors qu’en réalité rien ne passe. Et au bout, c’est la frustration. Tout un travail de longue haleine est bousillé par un minable bureaucrate zélé.» C’est ce qu’aurait déclaré Diden, quelques jours avant sa mort.

Diden aura consacré toute sa vie au théâtre et à  sa sauvegarde.  A cet effet, il a milité tant bien que mal pour promouvoir le septième art, en créant « le triangle vert. »
En compagnie de Mohamed Bekthi, l’espace créé s’appelant aussi le « café du théâtre », le but était de réunir les artistes pour éviter d’éventuelles malencontreuses surprises.
Hélas, Sirat Boumedienne s’en va, un certain 20 août 1995, à l’hôpital de Mostaganem, ville dans laquelle il a pris part au 27ème festival du théâtre amateur, sans souffler mot du mal qui le terrassait. Sirat Boumedienne s’est éteint à l’âge de 47 ans, un certain 20 août 1995.  Dix-sept ans après, le milieu théâtral   se déclare toujours en deuil.
Endeuillé en même temps par les pertes du constructeur du théâtre algérien à l’image des défunts Kateb Yacine, Mustapha Kateb, Abdelkader Alloula, Azzedine Medjoubi,

J’ai tenu à rendre cet hommage modeste en réservant cette chronique à ce monument du théâtre national au moment où tout le monde semble l’avoir oublié.

 

djillali@bel-abbes.info