« ENTRETIEN AVEC UN INDIGNÉ »

Alors que je roulais sur la rocade sud de la ville, je vis un jeune assis sur l’herbe, pensif, l’air absent en train de siroter une canette de bière. C’était sur l’itinéraire appelé communément par les Bel-abbésiens, « blasset enna3na3 »  (place de la menthe)
Je décidais spontanément de m’arrêter. Ce jeune m’a vraiment intrigué.
–          « Bonjour, ça va ? »
–          « Ça peut aller »
–          Je peux m’asseoir ?
–          La terre de Dieu est immense
Le cran d’arrêt que je vis accroché à la ceinture me fit regretter mon initiative. Ayant certainement lu sur mon visage, la crainte, il lança, l’air toujours absent :
 N’ayez crainte ! Ceci n’est pas pour vous ; Je n’ai pas l’habitude de m’en prendre au gens. C’est surtout pour me défendre, le cas échéant »
« Je peux savoir quel âge avez-vous ?”
– « 26. Du moins, Je crois. Parce que pour moi, cela paraît comme un siècle. Le temps passe difficilement. L’heure vaut la semaine et la semaine l’année. Tiens ! Je crois que je suis là depuis une demi-heure à peine, mais j’ai l’impression d’y être depuis l’éternité. On dirait que je suis né ici.

En effet, il faisait plus. Avec juste une chemise aux couleurs hawaïennes, et un jean plus usagé que la paire de basket, cela doit être pénible, en ce temps que je trouve assez frisquet.
– « Vous travaillez ?”
Vous blasphémez !
Pourquoi ? Qu’ai-je dit ?
– Pour travailler, il faut remplir des critères spécifiques
Par exemple ?
Il faut être de telle ou telle région. Il faut être fils de H…., parent à T…. où parrainé par L….. J’ai fait une formation professionnelle en marketing, une autre en informatique, j’ai postulé pour plusieurs postes, sans suite.
Avec quoi, vous achetez votre bière ?
– Vous êtes flic?
Non, mais par curiosité.
– Je ne peux rien vous dire.
Pourquoi, choisir ce lieu. Juste en face de la route ?
C’est un lieu comme un autre. J’aurai pu le faire à place Carnot que cela ne m’aurait pas dérangé. Personne n’osera me le reprocher, parce qu’ils ne m’ont pas donné une autre alternative.
Mais vous aurez pu le faire chez vous, ou chez un ami?
Vous vivez en Algérie, vous ? Boire à la maison ? D’abord, il m’est déjà difficile de trouver une place où dormir ; ensuite c’est «haram» (péché) Quant aux amis, ils sont dans la même situation sinon, pire !
Qu’est-ce que vous allez faire après ? Et demain.
– Je n’y pense pas. Je vis à l’heure, à l’instant, jusqu’à ce que Dieu dispose (Rabbi yferradj)
Décapsulant nerveusement une nouvelle canette, après un grand soupir, il se lance dans une grande tirade :
« Vous savez, nous avons un grand et beau Pays. Un grand Peuple. Mais nous avons de piètres gouvernants à tous les niveaux. Nous avons des requins. Nous les jeunes, la seule envie qu’on a c’est de tout casser, voire de tuer.
Tenez. Les gens s’étonnent de la violence dans les stades. Moi, je vous dis, je n’aime pas le Foot-Ball, ni l’USMBA, mais je vais souvent au stade. C’est le seul lieu où je peux dégager tout ce qu’il a en moi. Toute ma haine de ce monde. Tous les gens qui m’entourent sont des « alliés de l’infortune ».  Les ennemis, c’est l’équipe adverse, c’est l’arbitre, c’est le flic, c’est le président du club quand elle perd, c’est même les joueurs..  Quand on sort du stade, on casse les véhicules, parce qu’on ne peut s’en offrir, les magasins, parce qu’on ne peut pas acheter ce qu’il y a dedans, les administrations parce qu’elles nous torturent pour un papier.
Un grand soupir précède la voix devenue beaucoup plus absente. J’ai l’impression qu’il a complètement oublié ma présence. Il parlait désormais pour lui-même comme s’il voulait s’exorciser.
«Continuez sur la rocade du côté de la Bremere et vous verrez ces enfants en train de sniffer de la peinture où du carburant dans des sachets de lait. J’ai même entendu dire que 3 gamins de Kabylie se sont suicidés. Qu’en pensez-vous ? La relève ? Quel gâchis ! On ferme les bars et les prix des boissons augmentent. Les jeunes ne peuvent s’offrir une bière et sniffer ou fumer devient non seulement moins cher, mais aussi plus discret. Même les gens qui ont de quoi acheter, sont obligés de boire dans leurs voitures dans des lieux isolés et éloignés. Et bonjour, les dégâts quand ils décident de rentrer le soir à leur domicile complètement éméchés.
Dites-moi, y-a-t-il un lieu où vous pouvez allez passer votre temps ? Un cinéma, une belle pièce de théâtre ? Un concert ? Non rien.
Alors nous, instinctivement, nous nous sommes divisés en deux catégories : Ceux qui ont opté pour la mosquée et ceux qui ont opté pour le bar comme moi. Cela ne reste pourtant pas fixe. L’on peut basculer d’un milieu vers l’autre au gré des circonstances ; tout comme le font les députés pour être réélus. Eux au moins, c’est grassement rémunéré.

–          Je me levai doucement et m’apprêtai à partir, sans le déranger. Alors que je m’éloignais et rejoignais mon véhicule, il m’interpelle :
–          « Smahli, khayyi (pardon, mon frère) vous semblez une autorité (quiyada) vous ne pouvez pas me débrouiller un boulot ?
Je me tus un instant, puis je lui dis :
–          Je ne sais même pas comment vous vous appelez !
–          Madjid. Mais pour les intimes je suis « El 3agrab »  (le scorpion) Je ne sais même pas pourquoi, on m’a affublé de ce sobriquet.
djillali@bel-abbes.info

4 thoughts on “« ENTRETIEN AVEC UN INDIGNÉ »

  1. Vade-mécum
    Pour vivre heureux,il faut savoir aimer et avoir un état d’esprit sain,transparent et constructif,non perturbé par des pensées confuses.Il faut savoir accepter et critiquer toutes critiques d’où quelles viennent et tout reproche,sans s’énerver.j’avoue volontier que celà n’est pas toujours facile pour celui qui vit l’enfer au quotidien avec des “autorités” égocentriques,irritables jusqu’à la lie.Dans de tel cas,il faut avoir beaucoup d’abnégation de compréhension et d’amour envers son prochain,mais actuellement une infime partie de nos félons qui font la pluie et le beau temps pendant que la masse vit dans la précarité et qui engendre des milliers de nos compatriotes dans la schyzophrénie la mal-vie,le mal-être l’alcoolisme,vols,braquages,incivilités,mensonges,le pays en entier est devenue comme un théâtre et chacun joue sa pièce sans se soucier du frère ou du voisin.C’est à celui qui gruge son prochain.
    Comprneez donc cette vérité:L’amour de son prochain ne s’chète pas,c’est le fruit de l’amour et de notre état d’esprit.Chaque visite que je fais à S.B.A.des connaissances me disent souvent Comme les apparences sont forts trompeuses n’est-ce pas? aller c’est dimanche il fait beau je vais me balader au bord du lac,et qu’Allah me préserve du mauvais oeil (fi aman Allah) à vous toutes et tous.

  2. Malheureusement, il faut le dire: notre indifférence collective, notre laxisme, nous a conduit à cette situation de sous-développement général, à cette régression totale.
    Nous sommes tous responsables de la situation désastreuse de notre Pays. Nous avions obligation de revendiquer nos droits de vivre dignement(car c’est cela notre devoir) au lieu de laisser le champ libre à nos gouvernants despotes, voleurs, injustes, corrompus… Nous devions leur demander de rendre les comptes sur la gestion de notre pays.
    Nous devons prendre conscience que lorsque quiconque parmi nous est victime d’injustice, est bafoué dans sa dignité c’est à nos propres valeurs, à nos droits, à notre liberté que nous nous détournons.
    Oui, nous avons trop laissé pourrir la situation. Une véritable descente aux enfers. Maintenant pour s’en sortir, la route est longue, très difficile. Il faut absolument mobiliser tous nos efforts, toute notre énergie pour que cette nouvelle occasion de législatives ne soit pas une mascarade de plus, égale aux précédentes.
    Il faut un sursaut citoyen pour barrer la route à ceux qui ont pillé le pays, profité au maximum de la rente pétrolière et qui continuent, sans honte, se proposer encore dans les listes électorales.
    Il est temps, grand temps de cesser de se taire, de subir l’incompétence, la mauvaise gestion de nos gouvernants.

  3. Cher ami (Nass) !
    Pour une fois depuis que je lis ce journal et où je peux m’exterioriser sans canette de bierre, je trouve quelqu’un avec qui je partage les mêmes idées et réfléchi comme moi.Oui oui oui ! Vous avez raison ! Si le printemps arabe ne nous a pas touché c’est parce-que cette génération vient de sortir d’un bourbier identique à celui qui se passe actuellement en libye et syrie et ont en eu marre d’une violence inouie mais puisque nos gouvernants (tous âgés au delà des 70 ans) sont absorbés par l’argent, le pouvoir et autres fourberies, ils oublient vite et n’y voient pas qu’une autre génération encore plus violente que la notre est en train de se préparer ,je parle de cette génération qui a complété les dix ans d’age en 2000 qui n’ont pas connu les affres du terrorisme mais n’y voient que la hoggra,le piston, le passe droit, le chomage et tout ce qu’on peut imaginer de corruption.Attention meme si vous donnez à un algérien beaucoup d’argent illégalement ( par Ansej ou autres triches interposés),et lorsqu’il les terminera et ne trouvera rien à manger,il dira que je n’ai eu que ma part du gateau. Je suis maintenant presque sur que ce qui se passera dans une decennie ou beaucoup moins , en serai les conséquences de ce que ce pouvoir est en train de batir.Oui,dans ce pays tout le monde (je parle des gouvernant) est aveuglé par le koursi mais sont très malin , car il y batissent leurs empires ailleurs à l’étranger et oublient que ce qui a été fait avec les richesses de kaddafi et consorts peut se faire avec eux, Quelle erreur de croire ça,le capitalisme s’allie avec le diable pour ses interet.Le désespoir qui y règne dans le milieu des jeunes est immense et “eux” ne peuvent le voir c’est dommage !.Il y a a peine une heure, j’ai vu un jeune (moins de 18 ans) complètement dans les airs avec sa canette de bière en plein “centre ville” et gesticulait selon un rythme de son oreillette.Alors vous ne me dites surtout pas pourquoi , TOU et ses amis reviennent en force faisant fi de toutes les mises en garde et en dépit d’un volcan qui gronde sous leur pied et surtout que lui -meme il était, il y a une année (début du printemps) pour un rajeunissement de la classe politique . Bouh Alia mille fois ! je ne savais qu’on lui a soufflé que sans lui et ses amis du parti , la deuxième république ne verra pas le jour !

  4. Il y a des milliers comme Madjid a Sidi bel abbes et peut être des millions dans tout le pays. C’est une honte pour notre pays, et surtout pour un trou comme notre ville de sidi bel abbès. Bel abbès est devenu une ville ennuyeuse et morte aprés 19 heures, celà est vrai qu’il n’y a rien ( pas de cinéma digne de ce nom, pas de concerts, pas de théâtre, pas de discothéques pour les jeunes, pas de restaurants a part les gargottes, pas de bars, pas de médiathèques..rien le désert)…Dans ce pays tout est fait pour encourager les harragas, l’informel, le radicalisme religieux….l’avenir pour notre pays va un jour connaitre une explosion pire que celles des années noires de 1990, car les gens ne seront plus aux maquis, mais au coeur des villes. C’est vraiement prendre les Algériens pour des gamins, quand on voit toutes les agitations dans le JT de la RTA avec les préparatifs des élections…deux mondes vivent dans notre pays : ceux qui gouvernent et ceux qui crèvent de maladie, de chomage, de la malvie, de la hogra…

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