Jusqu’à aujourd’hui, nous restons esclaves de nos sentiments de compassion et de peine par rapport à ce qui se déroule à Ghaza. Les larmes, les pleurs constituent nos armes les plus redoutables, bien que souvent et partout ils ne sont qu’hypocrisie générée par des «crocodiles» plutôt dociles à souhait. Cela nous fait constamment oublier qu’il existe des Juifs qui sont fondamentalement contre la boucherie et des Palestiniens enrôlés volontaires dans l’armée du Tsahal. Cela nous fait oublier aussi que des Pays «frères» contribuent au carnage. Cela nous fait oublier aussi que de l’aveu même de Netanyahu, l’accord de certains Pays arabes à l’agression mettant en relief la parfaite mécréance politique. Bref, cela nous fait oublier la genèse et les conséquences possibles…
Les Pays qui ne sont pas astreints à cette contrainte douloureuse prennent le temps d’analyser, de manipuler et de planifier à long terme.
C’est notamment le cas des officines américaines relayées par leur presse qui font apparaitre une relation à double dimensions dans ce qui se produit actuellement au Moyen Orient de manière particulière et dans le monde arabo-musulman de manière générale.
La première dimension est introduite notamment par David BROOKS chroniqueur du New York Times, qui pense que notre perception du conflit israélo-palestinien est totalement faussée par le fait que nous sommes restés à une vision des années 1970.
«Elle est fondée sur la supposition que le conflit israélo-palestinien est un combat mené par les deux camps l’un contre l’autre. Elle est fondée sur la supposition que l’horreur peut se terminer seulement si des négociateurs habiles peuvent parvenir à une «percée» et à un chemin menant à un accord sur la coexistence de deux États. Mais nous ne sommes pas en 1979…
Ce qui s’est passé, bien sûr, c’est que le Moyen-Orient est entré dans ce que Richard Haass du Council on Foreign Relations a appelé une nouvelle guerre de 30 ans – une série de conflits et de guerres menées par procuration qui peuvent durer des décennies et totalement transformer, les identités, les cartes et les contours politiques de la région».
La guerre de trente ans a déchiré l’Europe de 1618 à 1648. Elle a été marquée par l’affrontement entre protestantisme et catholicisme et entre féodalité et absolutisme.
«C’est une région détruite par les affrontements religieux entre différentes fois. Le conflit est aussi entre extrémistes et modérés alimenté par les gouvernants voulant défendre leurs intérêts et accroître leur influence. Les conflits sont entre États et à l’intérieur des États, les guerres civiles et les guerres par procuration deviennent impossibles à distinguer. Les gouvernements souvent abandonnent le contrôle à des milices qui opèrent à travers plusieurs frontières. Les pertes en vie sont dévastatrices et des millions sont sans-abris».
Ce texte de Richard Haass pourrait être une description du Moyen-Orient actuellement. En fait c’est celui de l’Europe dans la première moitié du 17ème siècle. La similitude est de taille!
L’affrontement entre chiites et sunnites, en Irak, en Syrie, au Liban atteint un niveau sans précédent. Celui entre les régimes arabes autoritaires et islamistes est également d’une ampleur jamais vue. Près de 200 000 syriens ont été tués dans une guerre civile atroce, alors que la Libye est déjà dans le chaos.
L’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie, l’Égypte vivent un affrontement intense interne au monde sunnite. L’affrontement entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour l’hégémonie régionale et dans une course à l’armement va crescendo.
Le pouvoir autoritaire et les islamistes ont mené depuis trois ans une bataille acharnée et meurtrière pour le contrôle de l’Égypte. Après le printemps arabe, les Islamistes (les Frères Musulmans) ont pour un temps pris le dessus, mais quand l’armée a repris le pouvoir la répression a été sanglante et 95% des tunnels entre Gaza, dirigée par le Hamas issu des Frères Musulmans égyptiens, et l’Égypte ont été fermés. Une décision qui a mis le Hamas dans une situation impossible et a conduit à la guerre avec Israël.
Pour Richard Brooks, «La décision égyptienne était volontairement économiquement dévastatrice pour le Hamas qui retirait 40% de ses revenus des taxes sur les biens qui passaient dans ces tunnels. Un économiste a évalué les pertes à 460 millions de dollars par an, un cinquième du Pib de Gaza. Le Hamas avait donc besoin de mettre fin au blocus, mais il ne pouvait attaquer l’Égypte et a donc attaqué Israël. Si le Hamas peut en sortir comme le combattant héroïque dans un défi à mort contre l’État hébreu, si les télévisions mettent en exergue le nombre impressionnant de civils palestiniens tués, alors l’outrage public sera tel qu’il contraindra l’Égypte à lever le blocus. Moussa Abou Marzouk, chef-adjoint de l’aile politique du Hamas, a donné les clés en rejetant une offre de cessez-le-feu il y a quelques jours en posant cette question : «que sont 200 martyrs en comparaison de faire lever le siège?».
Cette guerre est aussi un affrontement par procuration. La Turquie et le Qatar soutiennent le Hamas et espèrent ainsi marquer des points contre leurs rivaux égyptien et saoudien qui souhaitent eux une défaite du camp islamiste. Le conflit israélo-palestinien est devenu un autre élément non pas d’un choc des civilisations, mais d’un combat au sein même de la civilisation arabo-musulmane sur son avenir.

Dans le Monde Arabe en 2011, le changement est entamé après qu’un vendeur de fruits Tunisien de Sidi-Boussaid, humilié par une policière, s’est immolé par le feu en signe de protestation. En quelques jours, le pays était en feu.
En Europe du XVIIe siècle, un soulèvement religieux local par des Bohèmes protestants contre les catholiques Habsbourg de l’empereur Ferdinand II,  a déclenché l’embrasement de l’Europe de cette époque.

Le résultat a été la guerre de Trente Ans, l’épisode le plus violent et destructeur de l’histoire européenne jusqu’aux deux guerres mondiales du XXe siècle.

Les similitudes entre les événements de 1618-1648 en Europe et ceux de 2011-2014 dans le Moyen-Orient sont nombreuses et donnent à réfléchir. Trois ans et demi après le début des «printemps arabes», il existe une réelle possibilité que nous assistons à la première phase d’une lutte prolongée, coûteuse et meurtrière.

La configuration du monde arabe contemporain est plutôt anachronique de par les écarts croissants relevés. Des pays comme l’Irak, la Libye et la Syrie, qui ont du mal à éviter le piège terrible de devenir des États voués à la disparition pure et simple et côtoient à l’extrême opposé des pays qui vont de succès en succès. Aidés par les revenus du pétrole, des pays comme les Émirats arabes unis vont de l’avant avec des programmes multi-facettes de diversifier leurs moteurs de croissance, à renforcer davantage leur capital humain et physique, et mis de côté encore de plus importante des ressources financières pour les générations futures.

En cherchant à réaliser leur potentiel inexploité, des pays comme l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, doivent surmonter de nombreux défis ; auxquels s’ajoute l’Égypte, un pays dont l’expérience met en évidence ce qui est en jeu pour la région.
Beaucoup dépendra de savoir si des pays comme l’Égypte et l’Algérie, embrassant des réformes durables économiques, financières, institutionnelles, politiques et sociales – et si elles le font dans le contexte des progrès vers une plus grande démocratisation, la justice sociale et le respect des droits de l’homme; leurs populations étant parmi les plus importantes de la région; pour prétendre jouer un rôle important dans l’ancrage de la stabilité régionale. Et ils sont des passerelles vers l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Le chemin que ce groupe de pays empruntera finalement, influencera les perspectives pour la région dans son ensemble.
Reste l’énigme de l’Iran: Au-delà de sa profondeur historique et culturelle, ce qui lui donne une certaine autorité au Moyen-Orient, l’Iran est l’un des rares gouvernements de la région capable de répondre aux évolutions géopolitiques. Ses énormes réserves de pétrole dénotent de son rôle essentiel dans l’équation énergétique mondiale particulièrement complexe, en ce qui concerne l’Europe qui travaille à réduire sa dépendance sur les importations énergétiques russes.
Karl Marx a écrit que l’histoire se répète, mais quand nous regardons autour de nous, on ne peut pas s’empêcher de se demander si la seconde dimension, la tragédie de la guerre mondiale ne sera pas reconduite. “La première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce.” Nous sommes au centenaire du début de la Première Guerre mondiale, et nous nous trouvons entourés par une cascade la violence caractérisée par les mêmes duplicité et cynisme qui ont conduit le monde à la catastrophe en 1914.

La Première Guerre mondiale a commencé avec un état d’esprit basé sur la croyance et la certitude que les moyens militaires pouvaient résoudre les problèmes sociaux urgents et politiques en Europe centrale. Un siècle plus tôt, le théoricien militaire allemand Carl Von Clausewitz avait écrit que la guerre est “une continuation de la politique menée avec d’autres moyens.”

La Première Guerre mondiale a mis fin à quatre régimes impériaux: la dynastie prussienne (Hohenzollern), la Dynastie Russe (Romanov), la dynastie turque (ottomane) et la dynastie austro-hongrois (Habsbourg). Non seulement la guerre a causé des millions de morts, mais a provoqué la faillite de l’État, le protectionnisme, et l’effondrement financier qui a ouvert la voie pour la montée d’Hitler, la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide.

Nous ne sommes pas encore remis aujourd’hui. Le territoire qui était autrefois un État multiethnique et multi-religieux, l’Empire ottoman est de nouveau la proie à des conflits et de guerre, qui s’étendent de la Libye jusqu’en Palestine, la Syrie et l’Irak. La région des Balkans reste maussade et politiquement divisée, avec la Bosnie-Herzégovine incapable d’instituer un gouvernement central efficace et la Serbie profondément secouée par les bombardements de l’OTAN 1999 et l’indépendance du Kosovo controversée en 2008, sur son opposition amère.

L’ancien Empire russe est de plus en plus dans la tourmente dans une sorte de réaction tardive à l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, marquée par le problème Ukrainien et les menaces persistantes en Géorgie, la Moldavie, et ailleurs. En Asie de l’Est, les tensions entre la Chine et le Japon sont un danger croissant.

La stratégie de base des USA a consisté à envoyer des troupes, drones, ou des bombardiers à n’importe quel endroit qui menacerait l’accès de l’Amérique au pétrole; à héberger les fondamentalistes islamiques, ou autrement créer des problèmes – disons, la piraterie au large de la côte de la Somalie – pour les intérêts américains. Par conséquent, les troupes américaines, les armées de la CIA, les missiles de drones, sont engagés dans la lutte contre toute une région qui s’étend du Sahel en Afrique de l’Ouest passant par la Libye, la Somalie, le Yémen, la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, et au-delà.

Il existe trois grandes différences entre maintenant et le monde de 1914. Il y eut d’abord deux guerres désastreuses, une Grande Dépression, et une guerre froide qui devaient apprendre à l’Homme une ou deux choses au sujet de la stupidité et l’inutilité de la violence collective organisée. Deuxièmement, la prochaine guerre mondiale, en cette ère nucléaire, serait presque certainement une apocalypse.

La troisième différence majeure est que, aujourd’hui, avec les « merveilleuses » technologies, l’Homme a toutes les chances de résoudre les problèmes sous-jacents de la pauvreté, la faim, l’environnement qui créent tant de poudrières dangereuses.

Aujourd’hui, la situation arabe est, à sa base, une crise de la notion de l’État arabe
En fait, les pays arabes sont en train d’imploser précisément en raison de leur incapacité à concilier une diversité
Les révolutions du printemps arabe ne sont pas seulement le désir de la nouvelle génération arabe pour la démocratie, qui reste encore en grande partie lettre morte; elles sont maintenant principalement issues de la frustration qui couvait depuis longtemps des minorités qui ont été négligées dans l’ère postcoloniale et réprimées par les autocrates qui cherchent à imposer l’unité sur les sociétés multiethniques. (Kurdes en Irak, Syrie, Turquie ;  Coptes en Égypte, Berbères, Touaregs et Mozabites au Maghreb et au Sahel….)

Si l’Europe a dû endurer des siècles de guerres religieuses et deux guerres mondiales successives pour régler ses différends ethniques et nationales, comment les États-Unis pouvaient-ils s’attendre à être en mesure d’exporter la démocratie et le respect des minorités au Moyen-Orient sur les ailes de F-16? Il est révélateur que les deux transitions démocratiques les plus réussies dans le monde arabe au cours des dernières années – la Tunisie et du Kurdistan – ont eu lieu avec un minimum d’ingérence de l’Occident.

L’avenir du Moyen-Orient arabe est dans les mains de ses peuples – et l’histoire ne permet pas de raccourcis. Comme toutes les autres civilisations de l’histoire, les Arabes doivent s’engager dans un long processus visant à surmonter leurs défis structurels – un processus qui est susceptible de se prolonger pendant une bonne partie du vingt-et-unième siècle.

Moralité: les enfants et les femmes de Ghaza continueront encore à payer la facture imposée par les «mécréants politiques » qu’ils soient Musulmans, Chrétiens ou Juifs. La trêve annoncée ne sera qu’éphémère. Alors, verser des larmes de crocodiles ne servirait pas à grande chose, à mon sens.

djillali@bel-abbes.info