Aujourd’hui, Djillali Liabes aurait eu 68 ans, si des mains criminelles ne lui avaient lâchement ôté la vie, un beau matin ensoleillé de mars, dans la fleur de l’âge, à 44 ans.
Depuis ses études primaires et secondaires au Lycée Azza Abdelkader dans sa ville natale de Sidi Bel Abbès à ses études supérieures à l’université d’Alger lui ont permis d’obtenir une licence en philosophie et en sciences sociales, un doctorat 3ème cycle et un doctorat d’état en littérature et sciences humaines, tout a été dit – ou presque – sur celui dont la notoriété et la personnalité avaient fortement marqué de leurs empreintes la communauté scientifique et universitaire en Algérie, et bien au-delà , et qui continue d’être, dans nos cœurs et nos mémoires, une Fierté Belabbésienne.
Par delà ses positions philosophiques , doctrinales ou politiques que l’on peut partager ou pas, et au risque d’être redondant, tous ceux qui l’ont connu ou approché se souviendront de sa modestie, de son affabilité, de sa gentillesse, de sa grande disponibilité pour ses collègues et amis à la résorption de leurs doléances multiples et multiformes, de son humilité malgré sa grande culture et ses connaissances approfondies, et aussi de son impressionnante capacité de travail .
Ses nombreuses productions littéraires et ses volumineux travaux de recherche en sciences sociales et en économie appliquée tant au CREAD et à l’AARDES, sont autant de témoins d’une intelligence remarquable et d’un sens de l’analyse et de la synthèse hors du commun que j’ai pu vérifier au cours de quelques contacts que nous avions eu dans le cadre d’une recherche universitaire que je menais à cette époque .
Sa désignation en qualité de Ministre des Universités en 1991, de Ministre des universités et de la recherche scientifique en 1992 puis de ministre de l’éducation nationale par intérim de juin 1992 à octobre 1992 aura révélé en cette courte période toute la dimension du grand homme politique qu’il était en devenir…
Oui, tout a été dit -ou presque -sur cet homme si singulier, que ce soit sur son extraction d’une famille révolutionnaire et de résistants, sur son parcours universitaire et professionnel, et sur son dévouement au service de sa patrie .
Tout a été dit? Pas si sûr ! Peut- être encore une dernière chose à dire pour ma part, et qui me revient en mémoire dans cette évocation!
Nommé Directeur de l’Institut des Hautes Etudes Stratégiques Globales, et bien des années après nos dernières entrevues, c’est à cette période que j’avais eu à rencontrer pour la dernière fois dans son austère bureau à Birmandreis mon ancien camarade de classe et de lycée, et ce pour des raisons très personnelles cette fois-ci.
Cette circonstance particulière nous avaient permis, à l’occasion, d’évoquer les grands dossiers que Djillali projetait de mettre en œuvre pendant sa mission à la tête de cette haute institution de l’Etat . Entre autres activités, il envisageait de lancer une grosse étude sur le Sahara algérien.
Dans la discussion qui s’ensuivit, je me risquais à définir quelques contours de ce projet en évoquant les atouts , les potentialités et les perspectives de développement de nos immenses territoire sahariens.
Il écouta poliment et silencieusement mon argumentation, entre autres sur l’agriculture saharienne, l’hydraulique, les transports et le tourisme quant à leur essor et leur développement.
Après m’avoir poliment écouté pérorer sur le sujet, il m’interrompit assez fermement, en me disant d’un ton légèrement agacé, mais toujours de sa voix calme et posée :
«- NON, je parle du Sahara en tant qu’espace stratégique » ne cessa-t-il de me marteler plusieurs fois. « Non, je parle du Sahara, en terme d’espace d’enjeux multiformes, dans sa dimension d’espace stratégique structuré par des intérêts qui dépassent le cadre national !!! ». Tout était là. Tout était dit . Une vraie leçon de géopolitique, en condensé !
Ces remarques de dénégation interrompirent aussitôt cet échange du fait de l’obligation de réserve qu’il s’astreignait d’observer scrupuleusement, et qui était aussi la marque du véritable Homme d’Etat qu’il était devenu.
Et c’est avec plus de vingt ans de recul que je réalise combien, dans la tourmente de la « décennie noire » dans laquelle baignait la Nation , j’étais à des lieues de cerner les capacités d’anticipation de cet homme sur les grandes questions qui rattraperaient un jour notre pays par leur brûlante actualité!
Prémonition ? Peut-être. Préscience plus certainement, tant cet homme engagé pour l’ amour de sa patrie et si soucieux pour l’avenir de l’Algérie qu’il plaçait au-dessus toutes les considérations partisanes et catégorielles, avait l’extraordinaire capacité d’anticiper les graves questions et menaces qui se précisent d’ailleurs aujourd’hui autour de nous, plus exactement dans nos régions méridionales, et qui conditionnent gravement le devenir de notre continent.
Djillali n’eut pas l’occasion ni le loisir de se consacrer, personnellement, à cette épineuse et cruciale question pour le devenir de son cher pays. Trois jours après cette entrevue, il était assassiné par balles, au bas de son immeuble à la Cité Ben Omar de Kouba, alors qu’il s’apprêtait à se rendre à l’Institut.
Je ne peux penser à ces heures glacées sans éprouver une grande tristesse et une profonde consternation pour la disparition de l’ami et de l’homme exceptionnel que l’Algérie aura définitivement perdu, en cette fraîche et outrageusement radieuse matinée du 16 mars 1993.
Repose en paix cher Djillali.
On ne t’oubliera pas. Ces quelques mots en témoignent et seront toujours là pour raviver la flamme de ton souvenir.
Qu’Allah le Tout Puissant t’accorde Sa Miséricorde Eternelle dans son Vaste Paradis.
* Témoignage d’un lecteur (Omega) sous forme d’un commentaire laissé sous l’article intitulé: Faculté de médecine Taleb Mourad (UDL): Marche silencieuse de solidarité aux internes de Sétif