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L’Algérie, l’Émir Abdelkader, et le droit humanitaire International.

ByRedaction

Juin 15, 2019

L’Algérie, l’émir Abdelkader, et le droit humanitaire International.
Dr.Driss REFFAS.

« Quand on voit des personnes sans lumière s’imaginer que le principe de l’Islam est la dureté, la rigueur, l’extravagance et la barbarie, c’est l’occasion de répéter ces mots : la patience est une belle chose et c’est en Dieu qu’il faut chercher refuge ». Émir Abdelkader.

Le Maréchal Soult avait déclaré : « Il n’y a présentement dans le monde que
trois hommes auxquels on puisse légitimement accorder la qualification de « grands » et, tous trois appartiennent à l’Islam. Ce sont Abdelkader, Mahamet Ali et Chamyl ». L’emir Abdelkader El Djazaïri a été une personnalité brillante tant sur le plan militaire que dans le domaine de l’humanitaire, ce qui laissa Bugeaud, l’illustre maréchal si infatué de sa personne, la loyauté de qualifier Abdelkader « d’homme de génie » du haut de la tribune de la Chambre des députés.Oui, cet illustre homme très
attaché à sa religion , symbole de la tolérance, du respect de l’autrui et du
rapprochement entre les religions du livre, prônait le dialogue de l’humanitaire entrant que militaire et homme d’état. L’origine du droit international humanitaire est souvent lié au code Lieber, loi martiale instauré lors de la guerre de sécession, connu sous le nom de « Instructions for the Government of Armies of the United States in the Field ». Acte signé par le président Lincoln le 24 avril 1863, qui codifie l’attitude à adopter de la part des forces armées de l’Union pendant la Guerre de Sécession ou
guerre civile. Le Lieber Code, définit la loi martiale, la juridiction militaire, le traitement des espions et des traîtres ainsi que des prisonniers de la guerre civile des Etats- Unis d’Amérique.

La loi martiale est l’immédiate et directe de l’occupation ou de la conquête. Le territoire occupé par l’ennemi est soumis à la loi martiale de l’armée d’invasion ou d’occupation. La loi martiale instaurée lors de la guerre civile des Etats-Unis d’Amérique a aboutit aux pires des exactions à l’encontre des populations civiles et des prisonniers. Il fallait sauver les Etats-Unis d’Amérique à n’importe quel prix.

Pouvait-elle être prise comme modèle pour la rédaction des conventions de Genève ?

Dire, que bien avant le code Lieber, et pour sauvegarder la vie des prisonniers des champs de bataille, l’Emir Abdelkader qui défendait son pays contre l’occupant ( et qui avait toute la latitude d’instaurer la loi martiale avec ses représailles), avait en pleine résistance promulgué en 1837 un décret sur la détention du prisonnier de guerre, et le fit adopter en 1843 au cours d’une réunion officielle :
1) Tout Français capturé au combat sera considéré comme prisonnier de guerre et sera traité en conséquence jusqu’à ce qu’une occasion s’offre pour son échange contre un prisonnier algérien.
2) Interdiction absolue de tuer un prisonnier désarmé.

3) Tout Arabe qui amènera un soldat français captif sain et sauf aura une
récompense de 8 douros.
4) Tout Arabe ayant un Français en sa possession est tenu de le bien traiter. Dans le cas où le prisonnier aura à se plaindre de mauvais traitements, la récompense prévue pour l’avoir fait prisonnier sera supprimée , et une sanction suivra.

Le comportement chevaleresque, la grandeur morale et l’humanité de l’Emir sont reconnus par ses ennemis. Il institua un règlement humanitaire pour ses prisonniers, dont sa mère s’en occupa avec une très grande sollicitude. Ainsi, lorsqu’en 1841 Mgr Dupuch, évêque d’Alger lui envoya une lettre demandant la libération de l’intendant Massot, ce dernier retrouva sa liberté dignement en lui restituant son fusil, des habits
neufs, de la nourriture et une lettre de l’Emir au Représentant de l’église, dans laquelle il écrit : « En tant que serviteur de Dieu et qu’ami des hommes, vous auriez dû me demander non la liberté d’un seul, mais de tous les Chrétiens faits prisonniers ». Et d’ajouter en invoquant le Nouveau Testament :« Faites aux Autres, ce que vous voudriez qu’on fit à vous-même » que l’évêque serait « deux fois digne de sa mission, s’il procurait un pareil bienfait à un nombre correspondant de musulmans languissant dans les geôles françaises ». La même année eut lieu à Sidi Khelifa , un échange de prisonniers entre les deux armées. Cette opération ne fût malheureusement pas renouvelée. La magnanimité de l’Emir a semé le doute au sein des officiers de l’Armée Française, allons jusqu’à éviter la procédure des échanges des prisonniers. Un des officiers supérieur,le colonel de Géry a confié à Monseigneur Dupuch : « Nous sommes obligés de cacher(la magnanimité de l’Emir), autant que nous le pouvons, ces choses à
nos soldats, car s’ils le soupçonnaient, jamais ils ne combattraient avec autant d’acharnement ». Effectivement, le Roi Philippe ne donna aucune suite aux nouvelles propositions de L’Emir Abdelkader. Animé toujours d’une grande foi, et prônant le dialogue inter- religieux, l’Emir sollicita par la suite l’évêque d’Alger la désignation d’un aumônier : « Envoyez un prêtre dans mon camp. Il ne manquera de rien. Je veillerai à ce qu’il soit honoré et respecté comme il convient à celui qui est revêtu de la noble dignité d’homme de dieu et de représentant de son Evêque. Il priera chaque jour avec les prisonniers, il les réconfortera, il correspondra avec leurs familles. Il pourra ainsi leur procurer le moyen de recevoir de l’argent, des vêtements, des livres, en un mot tout ce dont ils peuvent avoir le désir ou le besoin, pour adoucir les rigueurs de leur captivité ».Afin de nourrir correctement les prisonniers, l’Emir était souvent obligé de libérer unilatéralement certains d’entres eux. Geste qui a incita le général de Saint-Arnaud d’adresser à sa famille la lettre dans laquelle il précisa : «Abdelkader nous a renvoyés tous nos prisonniers sans conditions d’échange. Il leur a dit : « Je n’ai pas de quoi vous nourrir ; je ne vais pas vous tuer, je vous renvoie ». En détention, le trompette Escoffier a eu l’honneur et le privilège de voir l’Emir Abdelkader lui accroché en cérémonie officielle, la croix de la légion d’honneur , décernée par le Roi Philippe pour avoir sauvé son supérieur dans la bataille de Sidi
Brahim. En ce temps là, la convention de Genève n’était pas encore née.Dans ce sens, et au cours de son discours tenu lors du colloque consacré aux hauts faits de l’Emir Abdelkader en lien avec le droit international humanitaire le 28 mai 2013 à Alger, monsieur Peter Maurer(1), président du comité international de la croix rouge précisa : « La codification du droit international humanitaire moderne – également appelé « droit de la guerre » ou « droit des conflits armés » – remonte à la première convention de Genève en 1864. Bien des années auparavant, l’Émir Abdelkader avait déjà établi un droit pour les personnes privées de liberté. En pleine lutte contre la conquête coloniale française, l’Émir a exigé qu’un traitement humain soit réservé aux prisonniers. Toute transgression était sévèrement punie. »
Précurseur du droit humanitaire en tant que militaire et chef d’état, l’Emir Abdelkader le fut aussi dans sa terre d’exil en Syrie. Il sauva en 1860, 13.000 Chrétiens de Damas d’une mort certaine aux mains de fanatiques. L’Emir et les siens firent face, au péril de leur vie, à une foule déchaînée. Ils refusèrent de leur céder les Chrétiens d’Orient réunis sous leur protection. Les consuls de France, d’Amérique, de Russie et de Grèce eurent également la vie sauve grâce au courage et à l’autorité morale dont jouissait l’Emir. Nombreux, sont les hommes politiques, militaires et religieux ( l’Imam Chamyl et l’évêque d’Alger) qui lui exprimèrent leur reconnaissance. L’Emir
répondit qu’il ne méritait point d’éloges pour cela « n’ayant fait que son devoir ». Il n’avait agi de la sorte, précise-t-il « que par fidélité à la foi musulmane et pour respecter les droits de l’humanité ». « La valeur de la contribution de l’Emir réside non tant dans son originalité par rapport à la pensée contemporaine que dans le rappel du fait qu’il fut le précurseur oublié de cette dernière. La vie et l’œuvre de cet homme emblématique sont d’autant plus pertinents que ses prises de position n’ont pas été conçues pour les besoins de la cause qui est présentement la nôtre. Elles l’anticipent pourtant, en évoquant des thèmes qui sont d’une actualité brûlante. L’intérêt enfin et surtout de la contribution de l’Émir, musulman d’une
piété irréprochable, est qu’elle fait apparaître l’Islam sous son vrai jour, pétri qu’il est de tolérance, de fraternité, d’amour et d’humanité », déclaration de son petit fils Idriss El Djazairi mettant en exergue l’attachement fidèle de l’Emir aux principes fondamentaux de l’islam.
C’est à travers l’Emir Abdelkader que l’occident a mesuré l’humanisme de l’islam. A ce sujet, et lors de l’un de ses discours en faveur de l’Emir Abelkader, Monsieur Jacob Kellenberger(2), président du comité international de la croix rouge(juin 1998- août 2012) déclara : « Je vous épargnerai la liste de tous les articles des conventions de Genève qui traitent du sujet, mais vous pouvez me faire confiance que le même esprit les anime. L’Emir a donné à l’avance et sans le savoir une description fidèle de ce qui constitue aujourd’hui encore le travail quotidien des délégués du C.I.C.R : apporter réconfort aux détenus et s’assurer que leurs droits soient respectés, rassurer leurs familles ». cet aveu, doit être obligatoirement suivie d’une médaille de l’humanitaire à l’effigie de l’émir Abdelkader.En consultant les quatre conventions de Genève, on sent planer l’esprit
du décret de 1843, des évènements de 1860 et des différents actes humanitaires de l’Emir Abdelkader en faveur des prisonniers. Par sa pensée, comme par son action, l’Emir a démontré à juste titre l’universalité des valeurs sur lesquelles repose le droit international humanitaire. Je laisse la conclusion à une partie du discours du Président du CICR monsieur P.Mauer qui évoque la place prépondérante de l’Algérie dans la naissance du droit humanitaire internationale : « Le Comité international de la Croix-Rouge – dont le 150ème anniversaire de sa naissance coïncide avec la 130ème commémoration de la disparition de l’Émir Abdelkader et le 50ème
anniversaire de l’indépendance de votre pays – a une histoire et des liens
intimes avec l’Algérie.Ces liens remontent à 1853, année de l’installation
d’Henry Dunant(3), fondateur de la Croix-Rouge et précurseur du droit
international humanitaire moderne, dans la région de Sétif. Ce sont ses affaires en Algérie qui le conduisent sur le champ de bataille de Solferino, en 1859, pour rencontrer l’Empereur Napoléon III. Or, c’est justement l’immensité de la souffrance humaine des milliers de malades et blessés de Solferino, dont Henry Dunant a été témoin, qui lui inspire les idéaux qui donneront naissance au Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.Ainsi, sans l’Algérie, le Comité international de la Croix-Rouge et tout le Mouvement de la Croix- Rouge et du Croissant-Rouge n’auraient peut-être jamais vu le jour.Même s’ils ne se sont jamais rencontrés, l’Émir Abdelkader et Henry Dunant partageaient une conviction commune. Cette conviction, si elle n’était pas absolument inédite, n’en revêtait pas moins un caractère novateur pour l’époque: tout individu hors de combat – qu’il soit malade, blessé ou prisonnier ou autrement incapable de se défendre – doit être traité avec humanité et sans la moindre discrimination.
Cette conviction constitue l’un des principes directeurs du droit international humanitaire moderne, à savoir la distinction en temps de conflit armé entre « combattant » et « non combattant ». Elle s’oppose à la logique meurtrière de la guerre, en limite les horreurs et désamorce ainsi la haine entre les forces en présence, au nom d’une logique: la fraternité humaine. »

Sources bibliographiques :

(1) Peter Maurer, né en 1956 à Thoune (Suisse), est un historien et spécialiste du droit international humanitaire. Depuis 2012, il est président du Comité international de la Croix-Rouge. Le 3 novembre 2014, il a été nommé au conseil de fondation 1 du World Economic Forum, à l’origine d’une controverse au sein du CICR. Secrétaire d’État aux Département fédéral des Affaires étrangères à Berne de janvier 2010 à juillet 2012, il a été choisi par cooptation comme président du Comité international de la Croix-
Rouge (CICR) en octobre 2011 et a succédé à Jakob Kellenberger le premier
juillet 2012.
(2)J.Kollenberger : né le 19 octobre 1944 à Heiden dans le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures, est un diplomate suisse. De 2000 à 2012, il préside le Comité international de la Croix-Rouge. Depuis, il est à la tête de Swisspeace, fondation suisse pour la paix.

(3) Henri Dunant : Suisse, il est né le 8 mai 1828 à Genève .Décédé le
30 octobre 1910 à Heiden, est un homme d’affaires humaniste suisse, considéré comme le fondateur du mouvement de la Croix-Rouge internationale.il est naturalisé français en avril 1859. En 1856, il fonde une société coloniale et, après avoir obtenu une concession de terres en Algérie, met en place deux ans plus tard la Société financière et industrielle des moulins de Mons-Djémila à Saint-Arnaud (actuelle El Eulma) après avoir constaté que la population de Sétif était obligée de fabriquer sa farine elle-même. Néanmoins, l’autorisation de l’exploitation d’une chute d’eau pour faire fonctionner le premier moulin moderne construit n’arrive pas car les
législations sur les cours d’eau et les terres ne sont pas claires et les autorités coloniales compétentes ne se montrent guère coopératives. En 1859, Dunant prend également la nationalité française à Culoz afin de faciliter l’accès aux concessions agricoles de la puissance coloniale pour faire pousser du blé. Une année plus tard, il décide de s’adresser directement à l’empereur Napoléon III alors que celui-ci s’est arrêté avec son armée en Lombardie. Pendant un voyage d’affaires en juin 1859, il
se trouve à proximité de la ville italienne de Solférino et découvre les dégâts humains de la bataille qui s’y déroula. À partir de cette expérience, il écrit un livre intitulé Un souvenir de Solférino qu’il publie en 1862. Une année plus tard, il participe à Genève à la fondation du Comité international de secours aux militaires blessés, désigné dès 1876 sous le nom de Comité international de la Croix-Rouge.
La première convention de Genève est ratifiée en 1864 et se réfère largement à ses propositions. Il obtient avec Frédéric Passy le premier prix Nobel de la paix en 1901.

drissreffas.com

-Code Lieber- C.I.C.R (Genève).
-Le traité de la Tafna 1837.
-Message de s.Em.le Cardinal Paul POUPARD(Président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux du Vatican).
-Eric « Younes » Geoffroy : « L’emir, modèle contemporain de l’homme universel ».
-Lettre du président du CICR-mai 2013.
-Driss El Djazairi : « L’Emir Abdelkader, Précurseur du Droit humanitaire et Chantre du Dialogue inter-religieux ».