Le Chahid ADDA-BOUDJELAL Hadj.

Quand la réalité détrône mythe et  fiction.

Depuis bientôt dix années, le stade ADDA-BOUDJELAL, a été détourné dans l’indifférence générale, de sa vocation  première qui était celle d’un lieu  devant procurer à nos concitoyens les plaisirs et les joies comme seul le sport peut en donner. Et, en effet,  nous y avons connu de grands moments à travers des rencontres sportives gravées à jamais dans le souvenir des Bel-Abbésiens et qui étaient suivies par toutes les franges composant la société de la ville. En 1970, des familles entières assistaient aux diverses rencontres. Hélas ! L’inculture, la  fausse nécessité, l’improvisation, la fuite en avant, la méconnaissance, la faiblesse d’esprit érigée en mérite, l’incompétence sacralisée, l’inversion de l’échelle des valeurs, l’incurie, l’ineptie et l’omnipotence  de ceux qui étaient sensés  gérer la chose publique et même historique dans l’intérêt des citoyens sans exclusive, ont fini par dévier cette coquette infrastructure de sa destination originelle pour la ravaler au rang de capharnaüm et de fourre-tout : meetings  politiques, expositions-vente qui relèvent davantage du dépotoir organisé  où de sordides intérêts  se font et se défont, défigurant la cité et collant à ses habitants, totalement ignorés mais non moins innocents, une étiquette dont ils seraient  bien contents de s’en passer. Mais la chose la plus inadmissible est l’usage d’une partie de cette infrastructure où  l’Administration  instruit les dossiers liés au retrait des permis  de conduire. Et tout un chacun sait que les concernés qui  s’y rendent ne le font  pas de gaieté de cœur, tout coupables qu’ils puissent être ou ne pas être,  amenant même certains d’entre eux à proférer les pires anathèmes contre ce lieu qu’ils désignent machinalement par le nom qu’il  porte. Et c’est là où le bât blesse.

Cette structure porte le nom  du Chahid ADDA-BOUDJEL Al Hadj, militant dévoué corps et âme à la cause nationale. Il est né à Boujebha  le  lundi 12 mai 1919. Il commença par fréquenter l’école coranique tenue, dans son lieu de naissance précité, par son grand-père maternel puis l’école publique  ce qui  le mènera  à poursuivre des études secondaires à  l’Ecole Publique Secondaire qui deviendra le Collège Leclerc (actuel Lycée El-Haouès) qu’il quittera à l’âge de 17/18 ans pour se marier une année après. Appelé au service militaire, il fut affecté à Casablanca où, envoyant exprès un camion dans les décors, il fut démobilisé : une punition qu’il a dû bien savourer. En 1932, il fit partie des Scouts avec les frères Saïd et Miloud Ouhibi ainsi que Drider Abdelkader. A 16 ans il est dans les rangs du PPA et, un peu plus tard milite au sein de l’UDMA de Ferhat Abbès tout en adhérant à l’Association des Oulama Algériens. Au déclenchement de la guerre, il passe dans l’organisation clandestine du FLN tout en étant, de 1954 à 1956, trésorier de l’USMBA. Il poursuivit ses activités clandestines jusqu’au  mardi 29 juillet 1958, jour où il rejoint le Maquis. Il tombe au Champ d’Honneur  le mercredi 5 novembre 1958 à Aïn Bent Soltane dans l’actuelle Daïra de Télagh suite à un bombardement de l’aviation française au cours d’un accrochage.  Il avait  alors 39 ans et, parce qu’un lien de sang le rattache au père fondateur de l’Etat algérien, je commencerai par relever cette coïncidence : c’est à cet âge-là que l’Emir Abd-El-Kader quittait définitivement l’Algérie au soir du samedi 25 Décembre 1847 pour Toulon. Notre Chahid  fut enterré à l’endroit où il fit don de sa vie à sa Patrie. Nul ne connaît sa tombe. Nous avons appris par ceux qui l’avaient approché qu’il ne transigeait jamais  sur les principes au point où il dérangeait beaucoup.

Je vais exceptionnellement et volontairement  faire une entorse aux règles qui président généralement à l’élaboration d’un parcours comme celui du Chahid que nous évoquons en ne faisant pas une recherche fouillée sur son itinéraire  mais plutôt sur ces circonstances lointaines qui, constituant de grands et vrais repères dans ce pays, font que des hommes de cette trempe émergent et émergeront toujours, en regrettant que la considération qui doit honorer leurs mémoires ne soit affichée, de temps en temps, que pour en faire une honteuse récupération et donner bonne conscience à ceux qui l’organisent par marionnettistes interposés , davantage pour un besoin de statistiques, que pour toute autre noble raison.

2/ Son Ascendance.

Le moins que l’on puisse dire d’elle, c’est qu’elle est faite d’une triple noblesse : celle du sang, celle de la science et celle des armes. En effet, Les Boudjelal, sont des Chorfas idrissides, descendants d’Idriss II (mort en août 828 – Joumada II 213) et notamment de son fils Aïssa qui est également l’aïeul du grand mystique Sidi Abdelaziz Debbagh, fondateur de la Tariqa Khadiriyya, qui donnera naissance à la  Mirghanyya (1208-1793) dans la péninsule arabique et à la Sanoussyya (1250-1835) de Yellel (Algérie). Les Boudjelal  sont plus connus sous les noms d’El Machrafiyyine, Arhabiyyine (عرهبيين), El Afifiyyine et Yaagoubiyyine. Venus de Figuig, ils se sont installés d’abord à Boussemghoun, alors pôle spirituel, dans le Sud Algérien. Leur premier aïeul qui foula l’Algérie fut Youssef,  Ben Aïssa, Ben Salah, Ben Hassan, Ben Abi Kacem, Ben El Arbi (Arhab), Ben Mohamed Ben Yaacoub que neuf générations ascendantes, toutes connues, séparent d’Idriss II. Youssef que nous venons de citer s’installa à Ghriss en tant que Cadi pour le compte des Bani Ziane. C’est sa descendance qui héritera de l’appellation de Machrafiyyine ou Macharif. Un de ses enfants, émigrera à Tunis et donnera la grande famille des Ben Achour dont Mohamed Tahar Ben Achour  fut le dernier recteur de l’Université de la Zitouna. Sa signature est apposée sur les diplômes de nombreux algériens et notamment celui de notre ami Hadj Ahmed Benkabou. Citer toute la descendance de ce Cadi est quasiment impossible : nombreuses ramifications et dimensions hors de pair de ses membres en sont les principaux obstacles. Nous nous limiterons à ceux qui ont aiguisé la curiosité des Historiens et des généalogistes. Nous informons  les lecteurs que dans les commentaires faits par le Docteur Y. Bouaziz en marge du livre, écrit par Benaouda El M’Zari, ayant pour titre «طلــوع سعد السـعود » (Chroniques d’Oran, d’Alger, d’Espagne etc.) et notamment en pages 99,100 et 101 du 1er tome, l’ascendance qu’il donne est différente de celle avancée ci-dessus. Yahya Bouaziz s’est basé sur le livre de Abderrahmane Ben Abdellah Ben Ahmed Et-Toujani ayant pour titre : « عقد الجمان النفيس في ذكر الأعيان من شرفاء غريس » écrit  au 17ème siècle où l’auteur annonce tous les Chorafa de Ghriss sur lesquels il n’a pu aligner que…33 pages ! et où sont  décelées  de nombreuses inexactitudes. L’ascendance que nous avons citée  figure dans le livre «  الدر النثير فيمن اشتهر وصح نسبه من شرفاء الوادغير » (La perle disséminée de ceux qui se sont rendus célèbres par leurs  appartenances prouvées aux Chorafa Ouadaghir) écrit en 1847 par Mohamed Ben Mohamed Ben Hassan El-Makhloufi où un travail d’excellente facture a été accompli, revu par notre ami et spécialiste généalogiste Larbi El- Hilali El Figuigui.

3/Al Macharif.

Selon Tayeb Ben Mokhtar El Ghrissi, mort en 1320/1902,  auteur de :القول الأعم في بيان أنساب قبائل الحشم,« La suprématie, selon notre connaissance, ne quitta pas la maison du Cheïkh El Machrafi et de ses enfants. Ils jouissaient d’une haute considération auprès des Turcs. Ils avaient l’administration de la jurisprudence au temps des Ottomans et au temps de notre cousin l’Emir. De cette famille on peut citer :

3/1. Cheïkh Abdelkader Ben Abdellah Ben Ahmed Boudjelal al Machrifi El Ghrissi.

L’Emir le cite en pages 11 et 15  de son autobiographie. Jacques Berque en parle dans son incontournable livre « L’Intérieur du Maghreb ». « Il était surnommé « Cheïkh de la Communauté  et Imam d’Er-Rachidia ». Il est né et a grandi dans le village d’El-Keurt, dans les environs immédiats de Mascara, étudia dans la région chez les Maîtres de son époque. Il enseigna pendant un certain temps dans l’institut de Mostefa Ben Mokhtar à El Gueïtna. Parmi ses plus prestigieux élèves : Le Cheïkh Abou Ras (mort à 90 ans en  avril 1823) et le Cheïkh Mohieddine, père de l’Emir. Il créa Sa propre école  et un institut scientifique à El –Keurt qui rivalisèrent avec ceux d’El Gueïtna. » Son école fut créée sous forme de ribat, qui pouvait avoir deux formes : soit une forteresse bien enclavée et inexpugnable, soit une école itinérante. Elle n’avait que deux activités : dispenser aux élèves un enseignement de très haut niveau dans la plus grande observance de la Sunna et  les préparer  au Jihad. Pourquoi un Ribat (pluriel Roubout) ? Pour plusieurs raisons. 1/ S’éloigner des confréries soumises aux autorités du moment. 2/ Eviter toute compromission avec le Beylik. 3/ Respecter scrupuleusement les textes sacrés en veillant à l’infiltration des ingérences  et surtout des innovations blâmables. 4/ Jouir d’une liberté quasi-totale de mouvements. Sans faire de jeu de mots, cette école fit école non seulement dans les environs de Mascara mais également à Mazouna et dans quelques autres points du pays.

« Il participa personnellement à la résistance aux Chrétiens (Espagnols) d’Oran et sa reprise en l’an 1119 (19/01/1708). » Son élève, Cheïkh Abou  Ras, signale que son maître était présent lors de la reprise d’Oran par les Espagnols en 1732 : « Mon Maître et professeur le Cheïkh Sidi Abdelkader-ben –Abdellah-el- Mocherrifi (…), assista à cette affaire. Cet homme, pendant sa vie, mena constamment une vie exceptionnelle et fut le dernier de ceux qui, dans leur ferme croyance à une volonté motrice et directrice, se consacrent à la recherche des vérités dogmatiques. »

3/1.1 Son legs.

Outre une prestigieuse descendance qui marqua son époque de manière indélébile, il forma les plus grands maîtres qui allaient reprendre le flambeau après lui. Parmi ses écrits qui doivent sûrement faire partie du patrimoine de quelque descendant, il nous laissa un célèbre pamphlet (écrit en Rajeb 1178 –du 25/12/1764 au 3/1/1765)  contre des tribus des Bani Hilal et berbères, au service des Espagnols, qui étendirent leur domination à l’intérieur du pays par leur entremise. Ce texte avait pour titre :

بهجة الناظر في أخبار الداخلين تحت ولاية الإسبانيين من الأعراب كبني عامر  » (Agrément de celui qui s’intéresse aux chroniques de ceux qui se son soumis, parmi les « Arabes », aux Espagnols, tels que les Béni Amer.) Ces tribus sont celles de Krichtel, tribu zénète de la branche des Maghraouas, les Béni Amer, les Chafa’ de la plaine de M’lata, Les Hmiyane, les Ghomra, tribu berbère qui s’est mêlée aux Hmiyane, les Guiza,  les Ouled Abdellah Et-Tali, les Ouled Ali et les Ounazera ces quatre dernières étant toutes des fractions des Béni Amer. Ce pamphlet a été rédigé avec une rigueur rarissime. L’auteur a pris la précaution d’extirper, de chaque tribu,  ceux de ses membres qui n’étaient pas concernés par le pamphlet et nous donne une remarquable compilation de quelque 85 généalogies des seuls Béni Amer. Aucun auteur n’a pu faire mieux  sur ce sujet : que ce soit Ibn Khaldoun, Ibn Hazm ou Ibn El-Athir pour ne citer que ceux-là. Le pamphlet comprend également un poème d’une sommité de Sijilmassa condamnant les tribus incriminées, Sidi Abdelkader terminant son écrit par le point de vue religieux sur de tels comportements. Le Cheïkh rendit l’âme dans son village le jeudi  19 Ramadhan 1192 (2 octobre 1778).

3/2.Le grand Cadi Et-Tahar, fils du précédent, qui fut jurisconsulte à l’époque ottomane et à qui l’on attribue un certain nombre d’ouvrages.

3/3. Le fils du précédent, Ahmed Ben Et-Tahar El Machrifi qui fut, avec  deux autres descendants de Sidi Abdelkader, membres du Majliss Ech-Choura institué par l’Emir et qui comptait onze membres, tous cousins, proches ou éloignés, entre eux.

3/4. Mohamed Ben Abdellah Sekkat Al Machrifi. Il était petit-fils de Sidi Abdelkader. Imam, spécialiste en Fiqh et Hadith, il fut Cadi au temps des Turcs, signataire de la Moubaya’a faite à l’Emir et membre du Majliss Ech Choura. Dans son « Histoire Culturelle de l’Algérie », Tome 2, page 272, Editions SNED-1981, notre ami, le Docteur Aboul Kassem Saad Allah nous informe que, lors de la deuxième et dernière reprise d’Oran en Moharrem 1205/ 1791, c’est sous les ordres de Sidi Mohamed Boudjelal que se mirent tous les « Roubout » et notamment ceux de Tahar Ben Haoua, Mohamed ben Ali Chérif El-Mazouni (dit Boutaleb), âgé alors de 80 ans, avec ses deux fils-dont l’un, Henni, fut tué au combat- et Mohamed Mostefa Ben Zerfa. Sidi Mohamed Boudjelal fut chargé par l’Emir, le 19 Dhoul Hijja 1252 -27/3/1837, d’une mission diplomatique auprès du Sultan Moulay Abderrahmane du Maroc et avoir le point de vue du Faqih Muphti de Fès, Abdeslam Medchiche Tsouli sur un certain nombre de questions inhérentes aux préoccupations de l’Emir et de son entreprise. « En juin/juillet de la même année il rendit compte de sa mission à l’Emir qui se trouvait alors au Sud-est de Miliana et plus précisément dans la citadelle de Taza près de Boghar. »

4. Conclusions.

Nous aurions pu  citer d’autres noms, d’autres faits sur cette noble famille mais nous nous limiterons à conseiller ceux qui se sentent concernés par le sujet de parcourir le livre écrit en 1905 par Mohamed, fils aîné de l’Emir, sous le titre de «  تحفة الزائر » pages 316 à 330 de l’édition de Dar El Yaqaza Al- Arabiyya. Beyrouth. 2ème édition. 1384 / 1964.

« Le dernier de cette Nation ne vaudra que par ce qu’a valu son premier » disait notre Prophète (ç). Aussi estimons-nous que le Chahid ADDA-BOUDJELAL Hadj était « génétiquement » préparé par ce que son ascendance a semé. Digne fils d’une brillante lignée, méritant d’elle, il mérite, à maints égards aussi, de sa Patrie. Pour cela nous interpellons, avec toute notre énergie, les autorités de la ville et  tous ceux qui s’identifient, avec sincérité, sagesse et haute élévation d’esprit, aux repères légués par ceux qui ont porté au firmament, dans un désintéressement total et au prix de sacrifices suprêmes, le nom de cette chère Patrie,  pour la délocalisation des services installés dans le stade qui porte le nom de ce Martyr, et y opérer un « retoilettage » de cette structure, la livrer aux joies de cette jeunesse qui ne demande que le minimum pour la mettre à l’abri de la rue qui la guette et peut la happer à tout moment. N’oublions pas tous ceux qui ne sont plus parmi nous et qui se trouvaient avec ferveur sur ce site qu’ils étaient venus inaugurer. Quant au Chahid, où qu’il puisse se trouver, pour peu que ce « rêve » que d’aucuns jugeront un peu fou, ou à tout le moins prétentieux, se réalise, il aura une raison de plus pour reposer en paix lui qui, sûrement, ignorait son propre sacrifice.

P.S. La photo d’identité que nous avons reproduite est l’aboutissement d’une histoire qui donne la chair de poule et qui, à elle seule, témoigne de la solidarité humaine dans son acception la plus parfaite. Nous promettons à nos aimables lecteurs de leur en parler à la première occasion.