Le légendaire Khalifa Mohamed Ben Allal dit« Sidi-Embarek».*

 Sur El Watan du 7 avril 2013 et sous la plume de  Monsieur M’Hamed H. parut un article intitulé « Chenoua se souvient du Chahid Ben Allel » et qui se voulait un compte-rendu d’une conférence donnée mardi 2 avril 2013 par Monsieur Ahmed Mebarek Ben Allel, « diplômé en sciences politiques de l’Université d’Alger en 1971 et actuel représentant de la Zaouïa de Sidi Ali Embarek de Koléa » dont était issu l’un des deux plus redoutables compagnons de l’Émir :  Mohamed Ben-Allal que les Français désignaient par « Sidi-Embarek » l’autre étant le célèbre Bouhmidi el Oualhaci qui, chargé de cadeaux, comme émissaire auprès du Sultan du Maroc fut empoisonné par Moulay Abderrahmane en septembre 1847. L’auteur de l’article parle de « Chahid inconnu du XIX ème siècle » pour dire ensuite que Mohamed Ben Allal « était tombé en martyr…dans la région de Sebdou ».

Notre réaction à ce compte rendu se veut un éclairage –tout relatif qu’il pût l’être- motivé par deux assertions figurant en caractères gras dans les deux dernières lignes du paragraphe précédent. Notre réponse s’articulera sur diverses sources qui seront citées soit par leur insertion dans le texte soit en fin d’article ou les deux à la fois. Signalons que nous avons lu à travers la presse écrite il y a quelques semaines le compte rendu d’un livre sur ce Khalifat écrit par un de ses descendants. N’ayant pas retenu le titre, il semble que ce soit  « La tête dans un sac de cuir », écrit conjointement par Monsieur Ahmed Mebarek Ben allel et Nicolas Chevassus, journaliste, docteur en biologie et historien tel qu’il apparaît dans l’article  du 7 avril ci-dessus cité.

Rappels historiques.

Le Khalifat Mohamed Ben Allal appartient à la prestigieuse famille de Ouled Sidi Ali Embarek qui serait originaire des environs de Mascara et installée depuis fort longtemps à Koléa.

Elle prit les armes contre la France avec les Flissa de Ben Zamoum et les Kabyles de Sidi Saadi juste après l’occupation d’Alger par les troupes de De Bourmont, soit 19 mois avant que le futur Émir ne participe à la première bataille contre les Français à Oran alors qu’il était soldat aux ordres de son père et 29 mois avant qu’il ne soit investi comme chef de guerre.

A la première organisation de son Etat naissant, il désigna Sidi Mohieddine Ben Allal comme Khalifa aux portes d’Alger et, à la mort de celui-ci, il désigna Mohamed Ben Allal à sa place. Homme d’une rare érudition, d’un sens élevé de la justice il fut un guerrier hors du commun.

Il subsiste une controverse sur les conditions de sa mort et le lieu où il succomba. C’est de ce thème que nous voulons traiter. Nous disposons d’un document très rare que nous nous ferons un honneur de  présenter à sa descendance. De plus nous sommes  tombé sur une de ses lettres que nous avons lue  des dizaines de fois. Plus que le contenu, c’est son style qui nous fascina et ce style nous a ” torturé” parce qu’il ressemblait à un autre que nous  n’arrivions pas à resituer. Finalement nous nous en sommes quand même sorti : ce style était étrangement identique à celui de Ahmed Al-Maqarri !!

La dernière bataille de Mohamed Ben Allal .

Cette bataille eut lieu en novembre 1843.  Voici, ci-après, le récit qu’en a fait le Général Tempoure (1) aux pages 635 et 636 :

« Je formai une colonne de marche, composée de huit cents hommes d’infanterie choisis parmi les plus valides et de trois cents chasseurs des 2ème et 4ème régiments, des spahis d’Oran et de trente cavaliers indigènes ; après plusieurs jours d’une marche excessivement pénible et incertaine, pendant laquelle il fallait à chaque instant s’arrêter pour retrouver la trace perdue, nous arrivâmes à l’entrée de la vallée de Malah. Tout à coup nous aperçûmes une forte fumée sortant d’un bois ; je ne doutai pas que l’ennemi fût là.

« Je formai ma cavalerie sur trois colonnes, forte chacune de deux escadrons, et derrière celle du centre je plaçai deux escadrons en réserve. Je donnai au colonel Tartas, du 4ème chasseurs, le commandement vde cette cavalerie ; derrière la réserve je plaçai trois cent cinquante hommes d’élite et un obusier de montagne, sous les ordres du colonel Roguet, du 41ème.  Je laissai deux cent cinquante hommes d’infanterie et deux obusiers à la garde de mon convoi, qui dut me suivre avec la plus grande vitesse possible, précédé à courte distance par le commandant Bose, du 13ème léger, à la tête de deux cents hommes d’élite.cavaliers rouges

« Ces dispositions prises, je me remis en marche, en profitant de tous les mouvements de terrain pour masquer mon approche. Nous continuâmes ainsi jusqu’à un quart de lieue d’une petite colline masquant le lieu d’où sortait la fumée, sans avoir aperçu un seul être vivant ; mais bientôt nous vîmes un cavalier sortir d’un taillis, tirer un coup de fusil, et s’enfuir à toute bride. Je fis alors prendre le grand trot, et, arrivés sur la colline, nous aperçumes (sic) l’ennemi à coup de fusil.

« Avant d’aller plus loin, je dois vous faire connaître ce qui s’était passé dans le camp arabe. En commençant sa marche vers l’ouest, et pendant la route, Sidi-Embarek n’avait point connaissance de ma sortie de Mascara ; il était si loin de croire qu’on fût à sa poursuite qu’il ne se regardait même pas de ce côté. Il n’avait de poste qu’à l’ouest, craignant quelque entreprise  de M. le général Bedeau. La sécurité la plus complète régnait encore dans le camp, lorsque l’Arabe dont j’ai parlé plus haut arriva à toute bride, jetant le cri d’alarme.

« Sidi – Embarek fit aussitôt prendre les armes ; il forma ses deux bataillons en colonne serrée, les drapeaux en tête, et les mit en marche au son du tambour. Ils étaient déjà arrivés au milieu d’une petite plaine qui les séparait d’une colline boisée et rocheuse qu’ils voulaient gagner ; mais, voyant qu’ils n’en avaient pas le temps, ils s’arrêtèrent et firent ferme. Il n’y avait pas un instant à perdre ; la cavalerie met le sabre à la main ; je lui avais prescrit de ne pas tirer un seul coup de fusil, et j’ordonnai la charge. Elle se fit dans un ordre admirable ; le colonel Tartas, dont l’élan, le sang froid et le brillant courage ne sauraient être exaltés, dépassait seul son  1er escadron, et entra le premier dans les bataillons ennemis à travers une vive fusillade, pendant que les deux colonnes tournantes les enveloppaient et leur enlevaient tout espoir de salut.

« En peu d’instants, tout fut culbuté ; mais c’était surtout vers la tête de la colonne que se précipitaient mes braves chasseurs et spahis ; le lieutenant-colonel Sentuary était sur ce point et les entraînait par son exemple : c’était là qu’étaient les drapeaux. Tous ceux qui étaient autour furent sabrés, et ces glorieux trophées tombèrent entre nos mains.

« Jusque là le succès était grand, mais ce n’était pas tout : il manquait  Sidi-Embarek, le conseiller d’Abd-el-Kader, son véritable homme de guerre. Etai-il parvenu à s’échapper ? Je commençais à le craindre, quand le capitaine des spahis Cassaignoles vint m’apprendre qu’il avait été tué sous ses yeux.

« Après avoir été témoin de la mort de ses porte-drapeaux, de l’horrible massacre qui venait d’avoir lieu, le kalifat, accompagné de quelques cavaliers, avait cherché à fuir ; mais, suivi de près par le capitaine Cassaignoles, qui l’avait distingué dans la mêlée à la richesse de ses vêtements, il avait été atteint au moment où il cherchait à gagner l’escarpement rocheux qui ferme la vallée à l’est.

« Là, perdant tout espoir de salut, il s’était déterminé à vendre chèrement sa vie : d’un coup de fusil, il avait tué le brigadier du 2ème chasseurs Labossaye ; d’un coup de pistolet il abattit le cheval du capitaine Cassaignoles, qui avait le sabre levé sur lui ; puis, d’un autre pistolet, il avait blessé légèrement le maréchal des logis des spahis Siquot, qui venait de lui asséner un coup de sabre sur la tête. Dégarni de son feu, il avait mis l’yatagan à la main ; ce fut alors que le brigadier Gérard termina cette lutte désespérée en le tuant d’un coup de fusil.

« Les résultats de ce brillant combat sont : quatre cents quatre fantassins et cavaliers réguliers, dont deux commandants de bataillon et dix-huit sciafs (capitaines) restés sur le carreau ; deux cent quatre-vingt prisonniers, dont treize sciafs ; trois drapeaux, celui du bataillon de Sidi-Embarek, celui du bataillon d’El-Berkani, et enfin celui de l’émir Abd-el-Kader ; six cents fusils, des sabres, des pistolets en grand nombre, cinquante chevaux harnachés et un grand nombre de bêtes de somme. »

Ce texte est repris fidèlement de notre source. Si nous devions le résumer, nous dirions ceci : le général Tempoure avait  à sa disposition 1 130 hommes et de l’artillerie qui tuèrent 424 soldats et firent 280 prisonniers. Le déroulement de la bataille est relaté d’une telle manière que tout lecteur arrive à la conclusion qu’elle n’a duré que quelques heures. Le style de la narration montre que la confrontation a été brodée par le général.

Dans son livre  تحفة الزائر في تاريخ الجزائر و الأمير عبد القادر  Mohamed, fils de l’Émir, écrit en page  436 (2) que le nombre de morts était de 400 et celui des prisonniers de 360 sauf qu’il ajoute que le combat a duré plusieurs jours et que ceux qui étaient autour du Khalifat Ben Allal n’étaient que des rescapés de la prise de la Smala qui devaient rejoindre le Maroc occidental et faire  jonction avec l’Émir. Il confirme que” Tempoure était sorti de Mascara pour pourchasser le Khalifat” qui a bien été tué près d’El Malah à quelque 14 kilomètres de Témouchent. Nous savons avec certitude que Mohamed Ben Allal, tout en convoyant une partie de la Smala, avait en tête de chercher Bedeau ce qui explique qu’il a baissé la garde du côté par lequel Tempoure est arrivé.

Si la confrontation avait été ce qu’a écrit le général français,  il aurait sûrement été désapprouvé par sa hiérarchie qui lui aurait reproché de ne pas avoir capturé Sidi-Embarek vivant car sachant parfaitement les liens particulièrement très forts qui le liaient à l’Émir la guerre aurait pu prendre une autre tournure. Si la bataille s’était déroulée comme il l’a narrée, il est certain qu’il aurait tout fait pour capturer celui qui était devenu un mythe vivant avec son compagnon Bouhmidi El Oualhaci.

Nous rappelons que nous sommes en 1843. Les traîtres Ahmed Ben Ferrat et Omar Al-Ayyadi indiquent la position de la Smala au colonel Youssouf qui convainquit le Duc d’Aumale de la prendre par traitrise l’Émir étant absent sur les traces de Lamoricière. Résultat : un carnage, 3000 prisonniers hommes et femmes et la grande bibliothèque de l’Émir « dispersée des monts de Médéa aux monts de Tlemcen ». Celui-ci dépense une énergie incroyable pour mettre les milliers de rescapés en lieu sûr se contentant de garder avec ses soldats ce qui sera connue par la Deïra.

En ce fatidique mois de novembre 1843, Mohamed Ben Allal avait participé aux combats qu’a menés l’Émir à Sidi Youcef contre les Hassasnas ainsi que d’autres tribus qui avaient rejoint l’ennemi et c’est là qu’ils se virent pour la dernière fois.

En apprenant sa mort l’Émir fut très affecté  et il rapporte dans son autobiographie, page 100 de l’édition en fac-similé (3) ceci : «..et notre frère le Moudjahid Mohamed Ben Allal tomba en martyr avec de nombreux compagnons et pourtant nous avons attiré son attention en lui demandant de prendre la route de Tametlas et Marhoum (à 70 km au sud de la wilaya de Sidi-Bel-Abbès) et  El Bayadh ». Le commandement du grand Chahid fut confié à son neveu Kaddour Ben Allal. Ironie du sort : Mohamed Ben Allal est tombé l’épée à la main quelque quinze jours  après Aïd El Fitr et Bouhmidi fut empoisonné par le Sultan Moulay Abderrahmane quelque quinze jours également mais après Aïd El-Adha.

Alors peut-on affirmer que ce légendaire compagnon de l’Émir est un Chahid inconnu ?

Dans un précédent article intitulé « Le trésor du Dey Husseïn », nous avions terminé notre propos en écrivant ceci : « Et pourquoi le quartier de la Capitale, Husseïn Dey, ne s’appellerait pas quartier Ben Allal, en l’honneur de ce légendaire compagnon de l’Emir qui combattit ceux à qui Husseïn Dey offrit le pays en leur dressant en prime un canevas sur ses populations ce dont ils ont bien tenu compte? »

Sources.

(1)    : L’Algérie ancienne et moderne. Par Léon Galibert. Editions Furne et Cie. Paris. 1844.

(2)    : تحفة الزائر في تاريخ الجزائر والأمير عبد القادر (la perle du chercheur sur l’Histoire de l’Algérie et de l’Émir Abd-El-Kader. Par Mohamed (fils de l’Émir). Dar El Yakadha el arabiyya. Beyrouth. 1384/1964.

(3)    : Autobiographie de l’Émir. Editée en fac-similé par la SNED. Préface du Professeur Abdelmadjid Meziane. Alger. 1403/ 1983. Cette autobiographie à été écrite à Pau (France) en 1848.

* Par  Mohamed Senni.

senni@bel-abbes.info