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Le présent : Une valse à trois temps. Est-il divinité ?

Bycourrier

Fév 8, 2019

Le présent : Une valse à trois temps. Est-il divinité ?
Par Driss Reffas- Chirurgien Dentiste-Ecrivain-Libre chercheur en histoire.

« Le temps est-il une chose ? Est-ce une idée ? Est-ce un concept ?
Est- ce plutôt un a priori de notre sensibilité, pour parler comme
Kant ? N’est-ce qu’un mot ? N’existe-t-il que dans l’âme, comme le
pensait saint Augustin ? Est-il un pur produit de la conscience,
comme le croyait Husserl ? … Qu’est-ce l’espace ? Qu’est-ce
l’énergie ? »
. E. KLEIN.(1)

Selon Kant(2), le temps n’est ni une intuition (une perception), ni un concept, mais plutôt la forme même de toutes nos intuitions : cela seul explique que le temps soit partout (tout ce que nous percevons est dans le temps) et cependant nulle part (nous ne percevons jamais le temps comme tel).

Pour Bergson(3), Ni le passé, ni l’avenir ne sont : seul l’instant présent existe réellement, et le temps n’est que la succession de ces instants ponctuels de l’avenir vers le passé. Quand nous essayons de comprendre le temps, nous le détruisons en en faisant une pure ponctualité privée d’être.

La notion du temps est définie chez l’être humain en trois segments au
delà d’une fixation dans la durée : Le passé, le présent et l’avenir, et ce dès que nous flirtons avec l’existence, c’est à dire au premier cri de naissance. Ce qui est important à souligner comme hypothèse dans notre modeste dissertation est le fait que le temps est divinité. Il ne s’arrête pas, il produit. La notion de production n’est pas cadrée dans le développement périodique de l’être humain, mais dans celle de la transformation de la nature dans toutes ses dimensions à travers les ères. Là, le caractère divin du temps ne peut être discuté. Il avance avec une indéfinie mesure, contrairement à celui qui avance avec l’être humain dans de multiples conceptions d’ordre théorique ( physique, mathématique où philosophique), désireuses d’un temps unique : Le temps d’une vie dans son passé, présent et avenir qui veut dire dans le langage du « temps » humain :Je vis, donc j’existe. L’existentialisme est lié à l’action de l’homme dans un espace réduit du temps formulé dans trois intervalles conjugués par : j’étais, je suis, je continue vers la fin. Philosophie radicale de l’existentialisme. Une vérité dans le temps divin. Le présent chez l’être humain est le temps d’une vie, car il est constitué par le passé et s’imbrique dans l’avenir pour constituer une durée, un âge. Je vis dans le présent de mon âge, car l’avenir est devenu passé pour constituer le présent. Ce n’est qu’un arrêt d’une fine particule du temps dans la philosophie de l’existentialisme. L’âge est la limite de l’indéfini espace du temps chez l’homme. Il est un chiffre arithmétique vérifiable dans un intervalle. L’exactitude fait défaut. Dans cet ordre, pour Pythagore le temps est entendu comme rythme, comme mesure, comme arithmétique, il est le chiffre du monde et de l’âme. Cette analyse implique la notion de rythme construit sur la mesure et le chiffre, tel un métronome de musique qui aide l’orchestre à respecter les différents temps dans la mesure et le rythme. Une appréciation d’une logique mathématique qui demeure subjective du fait que la variance ne peut être statique.

Dans « Les Confessions », St Augustin définit la notion du temps en s’éloignant de l’abstrait et prend comme assise analytique l’existence en mouvement, la créature, notamment l’être humain. A la différence de dieu l’éternel, l’homme est éphémère, et subit une longueur dans le temps. L’éternité et l’éphémérité, deux équations arithmétiques qui se définissent respectivement dans l’infini et l’absolu. Toujours est-il que l’absolu est variable. Dans l’absolu du temps, l’infini est filigrane. Le passé, le présent et l’avenir, trois segments du temps chez l’être humain. Or dans le présent, le passé et l’avenir sont inclus par de simples mouvements irréversibles : Je suis venu à neuf heures, je travaille pour terminer à douze heures. Tout est inclus dans le présent. Un perpétuel mouvement non statique. Ainsi, le présent est à la fois mémoire et anticipation.
Nous vieillissons dans le présent du temps éternel, donc nous vieillissons dans un espace arithmétique inclus dans l’infini. Nous vieillissons dans le présent pour mourir dans le présent. Le temps est le présent éternel dans le complexe « subjectivité – objectivité ». Je vis le temps au présent (un être temporel), parce que la mort est un mouvement du présent vers l’éternité.

Hassan El Basri, savant musulman ayant vécu sous la califate de Omar Ibn
Khatab(642-728) fidèle compagnon du prophète Mohammed(qssl) a résumé la notion du temps par : «Ce bas monde est constitué de trois jours : hier, demain et aujourd’hui. Quant à hier il est déjà parti en emportant avec lui les actes qui y ont été faits, en ce qui concerne demain il se peut que la mort nous empêche de l’atteindre, seul aujourd’hui nous concerne. Il est donc de notre devoir de nous y appliquer en faisant autant de bonnes œuvres que possible. »

La philosophie de la valeur du temps en islam est circonscrite dans la vie du
croyant à travers son âge. On ne peut apprécier son âge qu’à travers nos actes au quotidien, à l’instant, dans le présent et qui deviennent « passé » dans nos mémoires. L’âge est une valeur arithmétique qui subit un ajout à chaque instant(seconde, minute, heure, jour, année) dans la marche perpétuel du présent en englobant « l’avenir ».En islam, les actes (bons ou mauvais) sont calculés dans l’âge (le temps) au présent. Sourate-17- « El Asr » :« Par al-asr (le temps) ! L’homme est certes, en perdition, sauf ceux qui croient et accomplissent les bonnes œuvres, s’enjoignent mutuellement la vérité et s’enjoignent mutuellement l’endurance ».Cheikh Abdelfatah Abû Ghuddah(1917-1997) est un célèbre savant musulman du 20e siècle, spécialisé dans les sciences du hadîth et la jurisprudence islamique dans sa conférence intitulée : « La valeur du temps dans le noble coran » , il cite : « L’Imâm Fakhruddîn Ar-Râzî, que Dieu lui fasse miséricorde, dit dans l’exégèse de Sourate (Al-Asr) de façon synthétique : « Dieu, Exalté et Glorifié Soit-Il, a juré par le Temps à cause des choses surprenantes qu’il recèle en termes d’aisance et de difficulté, bonne santé et maladie, richesse et pauvreté, et aussi parce que rien n’est aussi précieux et cher que l’âge. Si tu perds mille ans dans des choses futiles, puis tu te repens et le bonheur s’établit pour toi pendant le dernier instant de ta vie, alors tu seras dans le Paradis éternellement. Tu sauras alors que la chose la plus précieuse c’est ta vie à cet instant de bonheur. Le temps fait partie des bienfaits fondamentaux. C’est pour cela que Dieu en a fait un serment solennel et a attiré l’attention sur le fait que la nuit et le jour constituent une opportunité que l’homme perd ! Tu sauras également que le temps est plus noble que le lieu ; c’est pour cela que Dieu a juré par le temps.
En effet, le temps est un bienfait parfait sans le moindre défaut, mais celui qui est dans la perte, celui qui est entaché de défauts, c’est l’être humain. »

Ainsi, on aborde le temps spirituel qui ne diffère nullement du temps
philosophique de Kant, Bergson, St Augustin et autres, seulement l’espace n’est pas quantifié dans des mouvements, il est statique dans un laps de temps « éternel ». Il efface le mouvement du passé pour s’éterniser dans la
perception de l’avenir dans le moment qui est le présent. C’est le temps
« Soufi » qui fait sien de la parole (hadith) du prophète(qssl) :« n’insultez pas le siècle, car Dieu est le siècle. » Dans l’une des publications de Bruno
Dassa(3)dans le site ‘Oumma’ on peut lire : « Pour utiliser une image, si l’eau de la connaissance est une, les fleurs auxquelles elle donne naissance sont diverses et variées, en fonction notamment du sol qui la reçoit. De la même manière, les soufis disent que la vérité est une, mais que les paroles sont multiples. C’est en ce sens qu’on a pu les désigner sous le nom de « fils de l’instant », sachant que dans la langue arabe, c’est le même terme (waqt) qui désigne à la fois le temps, l’époque, et l’instant qui passe. »

L’instant ou espace ‘Présent’ soufi est une introduction furtive dans le monde éternel. Dans tout instant le divin est présent, c’est l’être humain qui n’arrive pas à apprécier la divinité dans le présent (El Wakt).Le temps est la présence divine à l’instant dans la vie de l’homme qui vit au présent. En s‘immergeant dans l’instant, le soufi rejoint l’éternel. En conséquence Titus Burckhardt(4) dans son étendue recherche sur le soufisme a résumé l’instant soufi par : « Si le souvenir peut évoquer le passé dans le présent, c’est que le présent contient virtuellement toute l’extension du temps. Et c’est cela que réalise l’invocation soufie (dhikr) : au lieu de se reporter horizontalement au passé, elle s’adresse verticalement aux essences qui régissent le passé comme l’avenir ».

Je termine mon exposé en évoquant l’espace de la fin de l’âge, qui veut dire
« la mort au temps présent », l’espace aux trois mouvements. La lucidité
terminale ou le « présent fugace », terme inventé par le biologiste Michael
Nahm(5), ou terme de « rahet el mout » utilisé par le commun des mortels. Un intervalle du temps présent qui se dilue dans le temps éternel pour l’être, c’est- à-dire le présent divin irréversible vécu dans un espace présent humain. A cet instant précis du présent dans le monde humain, l’humain décrit furtivement le présent divin éternel. L’instant présent lucide de l’être humain avant son départ chez l’éternel décrit furtivement le présent divin. Souvent, le malade pris dans un coma profond pendant longtemps, se réveille à la surprise de son entourage pour demander à voir ses siens(son passé) avec un langage clair et net, demande à manger et à boire si comme le mal a disparu, mettant à l’aise son environnement croyant à la guérison(son présent), pour ensuite fermer les yeux et sombrer dans le sommeil éternel : Un présent éternel vécu dans un temps présent humain. La divinité est présente dans les deux temps présents.
Sauf que dans les deux temps la notion de rapprochement de la divinité est
différente. Le temps est synonyme de divinité. Le présent humain subjectif et le présent divin éternel.

Le débat demeure ouvert dans la sérénité intellectuelle.

Driss Reffas– Chirurgien Dentiste-Ecrivain-Libre chercheur en histoire.