L’ÉCHOPPE ET LE CONTENEUR

Rien ne symbolise autant l’effacement de l’ancien monde et l’irruption du nouveau que la disparition des échoppes et l’avènement du conteneur.

Le conteneur,cube de métal impersonnel et totem de la mondialisation, que des navires plus haut que des immeubles dégorgent à flux tendu dans les ports et estuaires, a eu raison des siècles , de la ténacité des artisans, du génie des créateurs et de la légende des caravanes.

Jadis, dans l’ombre des ruelles des souks d’Istambul,d’Ispahan, d’Alger,de Samarcande, de Fès ou de Tlemcen,où le soleil complice faisait un détour, pour ne pas les transformer en étuves,les dinandiers martelaient,les bijoutiers se livraient à de mystérieuses alchimies avec les métaux, les brodeurs de babouches et de caftans brodaient et les marchands de tapis réceptionnaient l’ouvrage achevé, acheminé depuis de lointaines contrées et qui avait usé
les yeux des femmes de villages entiers.

L’échoppe minuscule était un royaume convoité se transmettant de père en fils, et nul, jamais, ne se plaignait de son sort à Allah le Puissant et Miséricordieux.

Le conteneur a changé l’âme du monde.Il a tué le brûlant désir d’aller dans les pays où sont nés les tapis persans,les épices odorantes, les effluves des parfums,les babouches brodées d’argent ou d’or, et les bijoux dont l’éclat rivalisait avec le soleil.

Le badaud insouciant, ne pourra plus dire en pensant à telle échoppe, j’irais demain.Les pauvres échoppes ne seront plus honorées par les visites d’acheteurs qui voyaient en chaque achat une œuvre d’art, un sacrifice financier, un accomplissement. L’ombre des ruelles des souks consentait parfois a voir se déverser des gerbes de soleil à travers les échancrures du ciel,mais le conteneur manquait d’espace et a imposé un cauchemar climatisé,
appelé surface commerciale ou ‘Mall’ dans lequel un marbre mortuaire et des boutiques à la laideur standard, accueillent le client mondialisé qui s’habille tout pareil, mange tout pareil et rêve tout pareil. Le Mall est surtout friand de parkings pour accueillir l’acheteur mondialisé , prompt à tester la profondeur des coffres des voitures
pour y entasser les produits qui viennent de pays asiatiques devenus ateliers du monde.

Une eau sucrée planétaire, dont la recette est un secret entreposé dans un coffre-fort d’Atlanta fait le bonheur des médecins qui traitent le diabète et les multinationales ne manquent pas d’adorateurs qui feront les conteneurs de demain. Marques déposées et contrefaçon ont tué les échoppes et la poésie des lieux qui l’abritaient.

AL-HANIF