Difficile de parler valeur du disque sans se perdre dans un océan d’argus plus ou moins fumeux. Quel est le 45 tours le plus précieux du monde ? Il y a le prix d’achat bien sûr, les enchères invraisemblables que l’on peut suivre sur ebay et dans les bourses spécialisées, mais surtout cette traque souterraine de l’objet rare, voire mythique, à laquelle se livrent des centaines d’admirateurs souvent spécialisés dans un domaine particulier, sur une période ou rendu monomaniaques par l’envie de traquer l’anomalie, l’exception, la rareté qui fait s’affoler le compteur et le sentimentalisme.
L’amour des singles, des simples et des 45 tours est un amour de la musique autant qu’un amour de l’amour, l’une des multiples voies qu’emprunte le collectionneur, cette créature étrange, pour parvenir à la jouissance. Petit échantillon des 45 tours parmi les plus chers du monde.
Elvis – “That’s All Right” (Mama) (1954)
158 000 euros
On aurait pu prendre n’importe quel disque d’Elvis tiré de sa période Sun Records. Il y a sur le créneau d’assez jolies cotes mais qui ne tutoient pas toutes l’extravagance. That’s All Right mama est évidemment d’une importance particulière parce qu’elle est la première de toutes. Venue d’une improvisation du King en fin de session, elle porte la marque de son génie. Paradoxalement, le 45 tours le plus cher du monde est sans doute un mythe : l’un ou plusieurs des flexis que Presley avaient enregistré avant tout ça (le rock, la vie, le beurre de cacahuètes) et qu’il offrait à sa maman Gladys pour son anniversaire ou juste pour lui faire plaisir. Celui qui mettra un jour la main sur ces enregistrements qui constituent la plus grande légende urbaine du monde des collectionneurs pourra arrêter de travailler et entretenir sa famille sur 10 générations. En attendant, Elvis, oui, en 45 tours Sun, ce sont de belles pièces, solaires comme leur nom…
The Quarrymen – “That’ll be the day” (1958)
144 000 euros
Au début de l’histoire, il y avait les Quarrymen, les BlackJacks et Johnny and the Moondogs, des groupes à la durée de vie variable et qui rassemblaient de jeunes musiciens de Liverpool, promis pour certains à une brillante carrière. Puis il y eut un nouveau nom (Silver Beetles) et un nom de légende : les Beatles qui rendit les disques de leurs précédentes incarnations aussi précieux pour comprendre l’histoire de la pop anglaise que des pierres de rosette. Lennon, Mc Cartney et puis Harrison, mais pas que…. Parmi les raretés de cette époque des débuts, on trouve un premier single (jamais gravé par les Beatles) dont la version dite « acetate » s’est échangée dernièrement aux alentours de 180 000 dollars et qui est constituée de deux titres : le premier est une reprise de Buddy Holly, le second une composition originale de Mc Cartney et Harrison intitulée « In Spite Of All The Danger ». Le morceau est démarqué d’Elvis et ne casse pas trois pattes à un canard, mais suffit par sa rareté à faire décoller les enchères à un niveau invraisemblable. Sur la planète 45 tours, les Beatles font partie des groupes qui peuvent faire éclater la barre des 100 000 dollars/livres/euros.
Frank Wilson – “Do I Love You (Indeed I Do)” (1965)
31 000 euros
Longtemps considéré comme le Saint Graal des amateurs de 45 tours, ce morceau de Frank Wilson est de très loin l’enregistrement le plus recherché de l’ère Motown et de la Northern Soul. De ce disque rare, car jamais mis sur le marché, il resterait 2 copies identifiées dont l’une a été mise en vente assez récemment par un disquaire de Leeds et s’est soldée par une affaire supérieure à 25 000 livres. Musicalement, le morceau n’est pas mal, même si l’histoire veut que le fondateur de la Motown ait suggéré à Wilson d’écrire plutôt que de chanter après l’avoir écouté. Berry Gordy commanda dans la foulée l’envoi au pilon des exemplaires pressés… à l’exception de quelques uns.
Timothy Mc Nealy -“Funky Movement n°2″/”sagittarius Black” (1972)
16 000 euros
La soul, on l’a déjà dit avec Wilson, est le genre où le vinyle a le plus de valeur, car sa conservation, sa diffusion, son modèle a été le plus directement associé à l’essor de la musique. C’est exactement ce qui fait la valeur de ce 45 tours de légende publié initialement chez Shawn Records et qui est ressorti ensuite chez les légendaires Soul Fire. Les exemplaires dits « sagittarius black » auraient été diffusés initialement à 500 exemplaires par le label texan. Les deux titres qui composent ce 45 tours sont remarquables et sont considérées comme des jalons importants dans l’histoire des musiques funk, à la fois parce qu’elles sonnent bien et parce qu’elles ont servi à définir une esthétique, la Truth and Soul touch, qui s’imposa ensuite comme un modèle d’élégance pour l’ensemble du mouvement. Avec ses trois batteurs ( !) et une galette qui s’échange à plus de 20 000 dollars, le Funky Movement est l’un des plus chers du monde.
Beatles “Love Me Do/ PS I Love You” demo single 1962 avec faute d’orthographe 15 000 dollars
12 00 euros
Pour être un single cher, il vaut mieux être un single des Beatles ou approchant. Ce Love Me do embarque une jolie faute d’orthographe et atteint de ce fait les 15 000 dollars. « Love Me Do » est la première chanson publiée par le groupe et qui voit donc apparaître la future et prestigieuse double signature « Lennon/Mc Cartney ». Sauf qu’un assistant mal inspiré a mal orthographié le nom du beau Paul offrant sur un plateau aux collectionneurs habituels une chance de s’échauffer. C’est évidemment une chanson décisive pour l’histoire du groupe puisqu’elle attira l’attention de Georges Martin et leur ouvrit la voie du succès sur le marché anglais. On connaît la suite.
Denise and Company (1966) – “Boy What”ll you do then”
9 600 euros
Avec Denise ou Denise & Company, et cette chanson « Boy what’ll you do then » on tient le plus cher disque… de femmes de l’histoire. Groupe réputé à l’époque issu de la plus tard célèbre scène garage de ce milieu des années 60, le groupe de Denise Kaufman, qui fonderait par la suite, l’un peu plus connu The Ace of Cups, sert ici un titre impeccable et tendu. Mais si le disque s’est vendu si cher il y a peu (12 000 dollars), c’est peut-être à cause d’un homme. Le « boy » dont il est question ici n’est autre que le fondateur du magazine Rolling Stone, un certain Jann Wenner, et petit ami de la chanteuse. Sorti sur le label Wee Record d’Oakland, le disque n’existerait plus qu’en 3 ou 4 exemplaires. Folie, vous avez dit folie ?
Beatles “sandwich” édition – « From me To You” (1964)
10 000 euros
L’édition dite « sandwich » de ce single des Beatles tout sauf mémorable est probablement le disque édité en France le plus cher de l’histoire. On peut l’évaluer à un petit 10 000 euros, ce qui n’est pas mal du tout. Le morceau, déjà sorti en single en France, passa assez inaperçu et il ne serait venu à personne l’idée que ce disque pourrait avoir une quelconque valeur par la suite. La Beatlesmania avait pourtant démarré quelques années auparavant en Angleterre mais il en fallait plus pour intéresser la France. L’édition sandwich, lancée fin 1964, pour surfer sur la mode Beatles par la maison Odéon visait… un public français qu’on entendait séduire avec une nouvelle pochette couleur locale. Lennon refusa le béret pour la casquette mais les trois autres se plièrent au jeu ridicule de l’époque. Malheureusement ce fut un flop intégral et cette seconde sortie du faiblard « From Me To You » ne déchaîna pas les foudres : les journalistes boudèrent la chose (la chanson était connue depuis 2 ans, soit une éternité à l’époque) et le public aussi.
L’affaire ne se révéla juteuse que 10 ans plus tard quand l’édition sandwich s’imposa comme l’une des plus recherchées du marché français et international.
Abba – “Voulez-vous” (mega rare colombian mix 1979)
10 000 euros
Vous aimez Abba ? Si oui, vous connaissez peut-être l’histoire assez remarquable de ce morceau « Voulez vous », sorti à l’époque (1979), dans une multitude de versions, avec des pochettes rouges, vertes, bleues et des dizaines de pressages différents. L’édition la plus rare parmi toutes celles qui ont été lancées à l’époque est sans conteste un tirage colombien, dit marbré, qui n’a d’exceptionnel que sa rareté et dont la cote atteint régulièrement les 10 000 euros. Le morceau a lui-même été réédité en 1992. Avec le colombian mix, on touche ici à l’indicible valeur qui fait l’attachement pour les collectionneurs : l’exotisme, la folie douce, le souvenir d’un temps où le vinyle était à la fois un objet de collection mais tout simplement aussi un objet ultra populaire.
Elton John – “Mamma Cant Buy You Love” (1979)
8 000 euros
Rien d’exceptionnel a priori dans ce single d’Elton John de la grande époque. A l’issue des Thom Bell Sessions, John signe son retour en grâce sur le marché américain avec cette chanson écrite par LeRoy Bell et Casey James et décroche une « position » dans le top 10 US, sa première depuis 3 ans. Parmi les nombreux disques écoulés, une série détonne car le titre original a été mal orthographié, vite retirée du marché : la « mama » de John a pris un « m » en trop, ce qui donne lieu depuis à une chasse au trésor vicié parmi les amateurs du chanteur britannique. On retrouvera cela plus tard chez d’autres artistes mais l’erreur, la difformité ou l’anomalie sont comme souvent des éléments déterminants pour établir la valeur d’un bien. Avec le « m » surnuméraire d’Elton John, le 45 tours passe de 0,01 centimes d’euros à plus de 8 000 euros les bons jours.
Sex Pistols – “God Save the Queen” (1977)
8 000 euros
Les amateurs des Pistols vous le diront, il y a God Save The Queen et God Save The Queen. Le 45 tours resté dans les annales musicales et culturelles pour… son contenu est aussi devenu à sa façon un évènement sur la planète collectionneurs. Si le disque sorti pour le jubilé de la reine en 1977 a bien atteint le n°2 des charts britanniques quelques mois plus tard, il faut savoir que les Pistols avaient sorti, avant de signer chez Virgin, quelques copies de la chanson sous le label A&M. Ce sont ces éditions dites « pionnières » qui font le bonheur des collectionneurs et qu’on considère aujourd’hui comme les disques les plus précieux jamais édités au Royaume Uni. Retirés du marché par la suite, les 300 exemplaires du premier « tirage » A&M (avec « No Feelings » en face B) sont parfois glissés dans une enveloppe marron. Ils s’échangent actuellement autour de 8 000 à 14 000 livres l’unité, selon l’état de conservation. Si c’est pas punk ça…