LES POLLINISATEURS DE NOS ESPRITS

Certains hommes ont pour vocation, ou pour passion, ou pour métier de polliniser nos esprits. Ils volent de livre en livre, y puisent ce qu’il y’a de meilleurs en idées, en mots, en sagesses, en expériences et en rêves chez les meilleurs esprits, pour les poser dans les nôtres afin de les féconder et les rendre moins sauvages, plus doctes et plus policés.

Les spécialistes disent que si les abeilles disparaissaient, quatre vingt pour cent des espèces végétales disparaîtront dans leur sillage, car elles dépendent pour leur survie, leur production et leur évolution, de la pollinisation que permettent les battements d’ailes de ces petites insectes aimés de Dieu, source et symbole de tous les biens. C’est dire que sans ces petites bestioles le monde tel que nous le connaissons disparaît, ou du moins sombre dans les famines et les maladies.

Ils en va ainsi de nos maîtres et nos enseignants à qui nous devons ce que nous savons et ce que nous sommes, et pour qui nous resteront redevables à jamais de nous avoir initié aux chiffres et aux lettres dans notre prime jeunesse puis, plus tard, aux pensées et aux idées. Certains étaient meilleurs que d’autres, mais tous méritent égal respect et dévotion. Je pense et je penserai toujours avec une profonde nostalgie à mon maître Mohamed Mahieddine, qui a accompagné ma vie d’élève au collège puis au lycée et qui, pour moi, reste le modèle parfait de son métier. Que Dieu lui prête longue et paisible vie.

Mais il arrive un temps fatidique où le cordon ombilical se coupe avec le maître et où l’élève vole de ses propres ailes. Et, de fleur, il devient lui-même abeille. Suffisamment chargé de nectar, capable de le transformer en miel. Certains, rares, réussissent à merveille dans cette transformation de nectar et de sécrétion du miel spirituel et deviennent de grands producteurs de rêves, de connaissances et d’idées (c’est nos abeilles receveuses). D’autres deviennent eux-mêmes maîtres et enseignants (c’est nos abeilles butineuses qui poursuivent et pérennisent les vols magiques de fleur en fleur). Butineuses ou receveuses, ils sont tous nécessaires à la survie et au progrès intellectuel et scientifique de leur nation comme le sont les abeilles à la survie, à la production et à l’évolution des espèces végétales.

Reste enfin cet espace bleu ou nous surfons aisément et qui est un monde à part. Un monde où le virtuel domine. Qui charrie du mauvais, c’est vrai, mais aussi du merveilleux. Qui accentue l’imbécilité des imbéciles et rend plus intelligents ceux qui aspirent à l’être. Qui permet ce que le monde réel est incapable de permettre: des relations, des échanges, des discussions et des collaborations à une échelle planétaire jamais vus. Qui rend accessible des connaissances qu’aucune bibliothèque au monde ne peut offrir. C’est un jardin d’Éden où poussent à profusion des millions d’espèces végétales et où volent des milliers d’espèces d’abeilles. C’est une école sans frontières ou enseignent des maîtres de toutes les nationalités, venus des temps modernes ou ressuscités des temps les plus reculés. C’est surtout une occasion pour chacun d’entre nous, si le cœur lui en dit et l’esprit le lui permet, d’être à son tour, autant que faire se peut, une abeille qui vole de fleur en fleur pour polliniser et/ou produire du miel.

Nb. L’idée de pollinisation des esprits est venue de la discussion avec un ami qui se reconnaîtra.