Mémoires de Chadli : Chadli à Boumediène : «Nous ne sommes pas prêts pour déclarer la guerre au Maroc»

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Chadli relate dans cette deuxième partie de ses mémoires, les événements ayant marqué l’Algérie, dont le putsch raté de Tahar Zbiri, la tentative de Hassan II d’occuper Tindouf ainsi que la célèbre citation de Ben Bella «les Marocains nous méprisent».

Les relations avec le Maroc avant 1979
J’ai été à la tête de la 2e Région militaire 15 ans durant, sans interruption. J’ai été conscient de la responsabilité quoi pèse énormément sur mes épaules, car cette région était plus sensible et stratégique, eu égard de ses effectifs, de la qualité des armes qu’elle disposait et d’être limitrophe du Royaume chérifien.
L’idée de voir éclater un conflit militaire entre l’Algérie et le Maroc, ne m’a à aucun quitté, en raison des relations souvent perturbées entre les deux États.
Mon souci, en tant que moudjahid et en tant que chef militaire, était de veiller à préserver l’intégrité territoriale du pays et la paix.
J’avais toujours soutenu l’idée de l’Unité maghrébine, car nous avions en plus de la religion et des traditions communes, plusieurs liens qui nous lient, avec les peuples marocain et tunisien qui nous ont remarquablement aidés lors de la guerre de Libération nationale.
Il y avait même des Marocains et Tunisiens qui avaient pris les armes pour lutter contre l’occupation française, et qui étaient tombés dans le champ de bataille pour que l’Algérie retrouve son indépendance et sa liberté confisquées.
Il est regrettable de constater que les États maghrébins, après avoir pu se libérer des jougs du colonialisme, certains responsables, motivés par des appétits expansionnistes, ont réduit à rien les liens qui liaient jadis les peuples de la région.
Le problème de délimitation des frontières entre le Maroc et l’Algérie date d’avant l’indépendance, où le roi Hassan II avait mis tant de pression sur le GPRA, pour l’empêcher d’organiser un référendum sur l’autodétermination de Tindouf, qu’il considérait comme un territoire marocain.
Hassan II, ne s’arrêtait pas à ce niveau, car il avait déployé ses forces tout au long de la frontière avec l’Algérie.
C’était un premier indice, de la tension qui montait d’un cran entre l’Algérie et le Maroc, au sujet des délimitations des frontières tant à la frontière ouest, qu’à l’est où le président tunisien, Bourguiba a de son côté, manifesté son appétit expansionniste.
En tant que chef de la 2e Région militaire, j’ai été toujours vigilant quant aux intensions de Hassan II, dont nos troupes étaient quasiment en état d’alerte.
La relation entre l’Algérie et le Maroc a été souvent perturbée, et il n’y avait guère de confiance partagée entre les deux pays.
D’ailleurs, la relation entre Boumediène et Hassan II était toujours tendue, au point où toute tentative de rapprochement entre les deux pays en matière de coopération a échoué.
Personne n’ignorait que le Maroc avait tenté d’occuper une partie du territoire national, juste après l’indépendance du pays qui s’était livré à une guerre féroce, qui a duré 7 longues années.
C’était une agression abominable. Le cri de Ben Bella « Hagrouna, hagrouna » (Ils nous ont méprisés, ils nous ont méprisés), était un indice clair de voir s’évaporer tous les espoirs d’un Maghreb uni.
Lorsque j’étais en visite officielle en Chine, j’ai appris l’incursion de l’armée marocaine le 15 octobre 1963 depuis Hassi-Beïda, où elle a installé des campements militaires.
J’ai tant tenté de convaincre les responsables chinois de nous laisser regagner le pays, mais en vain, car ils voulaient qu’on assiste jusqu’à la fin des festivités.
La guerre des Sables, s’était achevée, à notre retour de Chine, après l’intervention de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), les pressions de Djamel Abdanasser d’Égypte et de Fidel Castro de Cuba.
Je salue à cette occasion, la sagesse de Mohand Oulhadj qui a mobilisé ses troupes aux côtés des forces gouvernementales repoussant les troupes marocaines du territoire national à Tindouf, tout comme que je salue le courage du leader tiersmondiste, Mehdi Ben Barka qui a condamné les appétits impériaux du Royaume marocain, en considérant l’invasion marocaine, comme étant une trahison de la lutte des peuples maghrébins pour l’instauration de l’unité de la région.
Une position qui lui coûte cher, car il a été condamné par contumace à la peine de mort, avant d’être assassiné en octobre 1965.
Les enseignements que nous avions tiré nous les militaires de cette guerre, c’était bel et bel intention expansionniste affichée par de Hassan II, qui ne reconnaissait pas les frontières héritées de l’ère coloniale, tout comme le président du Parti de l’Istiqlal, Allal El Fassi qui a émis le rêve de voir naître « Le Grand Maroc, incluant de larges parties de l’ouest et du sud-ouest de l’Algérie de la Mauritanie en s’étendant jusqu’à le fleuve Sénégal ».
Au sujet des frontières avec la Maroc, nous en notre qualité de chefs militaires, avions manifesté à Houari Boumediène, notre refus absolu de faire de concessions au Maroc.
Boumediène n’a pas été content de la manière, dont la question des frontières avec la Tunisie a été résolue.
Il avait compris que certains politiciens, ont tenté de faire des concessions économiques en faveur du Maroc, en contrepartie de cesser ses intentions expansionnistes.
Ce qui s’est manifesté clairement, lors de la rencontre tenue à Saïda, en mai 1965, entre Ahmed Ben Bella et Hassan II, dont ce premier a refusé ma participation à cette rencontre, pour des raisons que j’ignore.
Le redressement révolutionnaire de juin 1965, n’a rien apporté aux relations entre les deux pays, restées toujours tendues, dont les deux parties restaient campées sur leur position vis-à-vis de la question des frontières.
En revanche, Hassan II avait insisté sur la dissolution de l’opposition marocaine, qui a fui son pays pour l’Algérie en 1963, pour pouvoir redonner un autre souffle aux relations bilatérales entre les deux pays, lui qui avait même accusé l’Algérie d’avoir soutenu l’opposant marocain, Mehdi Ben Barka.
La direction politique de cette opposition activait dans la capitale, tandis que son bras armé se trouvait dans deux centres de l’Ouest du pays, le premier à Sidi Bel-Abbès et le second à Mohammadia; autrement dit, sur le territoire de la Région que je commandais. Conscient de la nécessité d’apaiser le climat de guerre larvée qui régnait entre les deux pays, Boumediene, en prévision de la première visite qu’il devait effectuer au Maroc, prit attache avec moi pour connaître mon opinion sur l’opposition marocaine. Je lui ai dit, après lui avoir fait un état des lieux: «Je ne crois pas en une opposition qui active hors de son pays. Si les frères marocains veulent s’opposer au pouvoir en place, qu’ils le fassent chez eux». Puis, je l’ai informé que je détenais des informations qui indiquaient que les services secrets marocains avaient infiltré les rangs de cette opposition. Convaincu par mon point de vue, Boumediene me demanda d’agir dans l’intérêt suprême du pays…
…Durant la première visite de Boumediene au Maroc, j’étais la deuxième personnalité de la délégation dans l’ordre protocolaire, mais Hassan II modifia la liste et me classa au quatrième rang. Je sentis, durant les entretiens, que le roi était froid et distant avec moi et compris la raison de cette attitude.
Le soir, je refusai de prendre part au dîner qu’il avait donné en l’honneur de la délégation algérienne. J’avais dit à Mouloud Kassem: «Si jamais Boumediene te demande la raison de mon absence, dis-lui que je suis fatigué et que je ne pourrai pas assister à la cérémonie». Plus tard, Boumediene reprochera à Hassan II son comportement vis-à-vis de moi. Lors de ma deuxième visite au Maroc, je sentis le roi moins hostile à mon égard…
… Oufkir tâte le pouls

A la fin du défilé, le roi chargea le général Oufkir d’organiser des cérémonies en l’honneur de la délégation algérienne. Avant cela, l’officier supérieur marocain avait demandé à Chabou s’il n’était pas inconvenant d’aborder avec moi des sujets politiques. Pendant que nous visitions Casablanca, Oufkir s’enquérait de temps en temps de notre situation. Un jour, un groupe de jeunes officiers, au grade de commandant, s’approchèrent de moi. Après discussion, je compris qu’ils voulaient me faire passer un message. Ils finirent par me livrer le fond de leur pensée: «Essayez, en Algérie, d’empêcher Kadhafi de sceller une union entre la Libye et l’Égypte, en attendant que nous renversions la monarchie ici au Maroc et mettions en place un régime républicain. Après, nous construirons ensemble l’Union du Grand Maghreb Arabe». Je reconnais que leur audace me laissa pantois. Je me demandai, au fond de moi-même, si ces officiers étaient sérieux ou essayaient juste de jauger les intentions de l’Algérie. Je découvris le subterfuge lorsque je m’aperçus que le général Oufkir les appelait auprès de lui l’un après l’autre, visiblement pour qu’ils lui rendent compte de mes propos. L’ère était aux coups d’État en Afrique, en Asie et dans le Monde arabe, et le Maroc n’était pas à l’abri. Mes doutes se confirmèrent lors de notre déplacement à Marrakech. Je descendis à la Mamounia, un hôtel de haut standing très apprécié par l’ancien Premier ministre britannique Winston Churchill. J’avais pour habitude de me réveiller tôt le matin et de prendre mon petit déjeuner dans le hall de l’hôtel. Alors que j’étais seul, un jeune homme s’approcha de moi et me demanda la permission de s’asseoir à ma table. Il me parut bizarre. Après un moment d’hésitation, il me tint le même discours que les jeunes officiers de Casablanca.
J’éludai ses questions par des réponses évasives en prétendant ignorer tout du sujet. J’étais convaincu que c’était encore un élément du général Oufkir. De deux choses l’une: soit Oufkir voulait connaître ma position sur le roi et la monarchie en général, parce qu’il savait que j’étais à la tête de grandes unités de combat de l’armée algérienne stationnées sur les frontières avec le Maroc, soit il était sérieux et échafaudait un plan pour détrôner Hassan II.
De retour en Algérie, j’en informai Houari Boumediene. Il ne me répondit pas et se contenta de sourire, comme à son habitude. Boumediene était-il au courant de quelque chose? Franchement, je n’en ai aucune idée.
Je n’avais aucune relation avec le général Oufkir. Pourquoi alors avait-il tenté de me sonder sur cette question? Cette interrogation m’intrigue à ce jour…
…Nous débattîmes longuement de la question du Sahara Occidental lors d’une réunion du Conseil de la Révolution et examinâmes le sujet sous tous ses angles. Houari Boumediene insista pour connaître l’avis de chacun d’entre nous. Il posa le problème de la disposition de l’armée algérienne en cas de déclenchement des hostilités. Aucun membre du Conseil ne prit la parole. Il me demanda mon avis et je lui dis: «L’armée manque de moyens et d’organisation. Objectivement, nous ne serons pas en mesure de ravitailler nos unités loin de leurs bases en cas de guerre.» Je n’avais pas le droit de lui mentir dans des circonstances aussi graves. Ce qu’il avait entendu lors de la réunion ne lui a pas plu. Il réagit violemment: «Alors, cela veut dire que je n’ai pas d’hommes!» Quand je lui répétai que je ne lui avais dit que la stricte vérité et qu’il fallait que nous la prenions en considération, il me répondit, plus calme: «Je ne parlais pas de toi, Chadli!» Puis, il s’adressa à Abdelaziz Bouteflika: «Dans ce cas, prépare tes bataillons, Si Abdelaziz!» Il voulait dire que nous n’avions d’autre choix que de privilégier la solution diplomatique.
A notre sortie de la réunion, un membre du Conseil crut utile de me mettre en garde: «Pourquoi t’opposes-tu à lui? II t’en tiendra rigueur et se vengera de toi!» Et d’ajouter, médisant: «S’il était un homme, il jetterait son burnous et rentrerait chez lui sans plus attendre!»
Je lui répondis, assommé, surtout que cet énergumène se trouvait sous la protection de ce même burnous: «Je suis militaire comme lui et j’ai dit ce que je pensais en toute franchise. Cela dit, je suis tout à fait prêt à prendre ma retraite et redevenir un citoyen normal, [si c’est ce que tu veux dire]!» Boumediene préférait ma franchise à l’hypocrisie des courtisans et des flagorneurs…
Tentative de putsch de Zbiri
La tentative du putsch de Zbiri, en 1967, a creusé un important clivage au sein du Conseil de la Révolution, notamment après le retrait de Ali Mehsas, Bachir Boumaza et Ali Mendjeli. Aujourd’hui, je suis étonné des déclarations de Tahar Zbiri, qui tantôt disait: « N’était pas Chadli, je serais au pouvoir », tantôt : « Chadli serait positionné aux côtés du vainqueur ».
En vérité, je savais qu’il y ait un conflit entre Boumediène et l’état-major, mais je n’avais jamais imaginé qu’il y aurait même un recours à usage de la force pour s’emparer du pouvoir.
Les membres du Conseil de la Révolution accusaient Boumediène d’avoir géré les affaires du pays avec le groupe de Oujda et désigné d’anciens officiers de l’armée française dans des postes clés au ministère de la Défense.
La crise a pris d’autres démensions, après le refus de Zbiri d’assister aux célébrations du 12e anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale (1er novembre 1966), et ses déplacements répétitifs à l’EM et à Bordj El Bahri.
Boumediène aurait eu un œil craintif sur les déplacements de Zbiri. Par la suite, la crise s’était aggravée en dépit de l’implication de personnalités politiques et militaires, ayant tenté de trouver un terrain d’entente entre les parties conflictuelles, mais en vain.
J’ai senti la dangerosité de la situation, alors que nous étions réunis à Bouzeréah, chez Abderrahmane Bensalem, qui nous a invités à un déjeuner.
Nous étions cinq: Saïd Abid, Abderrahmane Bensalem, le colonel Abbas, Yahiaoui et moi. Nous avons pris ensemble le déjeuner, dans un climat fraternel, et avions discuté de plusieurs questions.
Ce jour là, j’ai dû prendre l’avion le soir pour me rendre à Oran, mais je n’ai jamais douté qu’il y ait une conspiration serait complotée à mon insu. Tout le monde s’est tu, et personne ne m’a parlé de ce qui venait d’être planifié entre eux les quatre. Ensuite, ils ont donné un signal à Saïd Abid de s’adresser à moi à leur nom.
Ce dernier, m’a dit: « Êtes-vous content de la situation du pays Si Chadli ? Êtes-vous content de ces problèmes?
Je lui ai répondu: « Quels problèmes ? »
Il m’a répondu: « Les problèmes auxquels est confronté le pays ».
Je lui ai dit: « Chaque pays a ses problèmes. Il est vrai que nous avons beaucoup de problèmes, mais ils peuvent être résolus. »
Il m’a encore dit: « Nous avons à plusieurs reprises tenté de résoudre ces problèmes, mais en vain. »
J’ai vite compris que Saïd Abid fasse allusion à Boumediène et le groupe de Oujda, lesquels selon lui s’étaient emparés de la prise de décision, que le Conseil de la Révolution n’était plus efficace, après sa désertion de ses anciens membres, que Boumediène s’emparait quasiment de tout l’état-major et avoir accordé de pleines prérogatives aux officiers déserteurs de l’armée française.
C’est là, que je me suis également rendu compte qu’un mal allait se produire. Lorsque Saïd Abid, nous a dit: « Il nous appartient de prendre une décision décisive », j’ai tout compris que ce groupe allait comploter un coup d’État contre Boumediène.
Je leur ai dit: « Je vous parle franchement, que je m’opposerais à tous ceux qui feraient usage de force pour s’emparer du pouvoir. Je connaissais Tahar Zbiri en 1956, avant même de connaître Boumediène. Je veux que vous sachiez bien, pour ne pas dire que Chadli nous a trahis. Ma position est claire: Je serais contre tous ceux qui recouraient à la force pour déstabiliser le pays ».
Ils ont beau essayé de me convaincre d’adopter leur idée, mais en vain.
En sortant de la demeure de Bensalem, j’avais un pressentiment que la situation du pays est sérieusement inquiétante, d’où il fallait agir avec sagesse et avec sang-froid afin d’éviter au pays de plonger dans une guerre civile sans nom.
Je suis vite parti chez Tahar Zbiri, à El Biar et lui dit avoir appris du groupe leurs intentions. Je lui ai ensuite parlé de ma position à ce sujet, et lui ai dis qu’il existe encore le Conseil de la Révolution, où les problèmes et les différends devraient être réglés.
« Il y a des institutions. Je ne suis pas prêt à faire habituer à l’armée de faire des coups d’ État, comme ce fut le cas en l’Orient, en Afrique et Asie », lui-ai-répondu-je.
En revanche, Tahar Zbiri n’a pas commenté mon attitude, mais j’ai senti qu’il était déterminé d’exécuter son plan qu’avait planifié auparavant.
Ayant ressenti une certaine inquiétude, en sortant du domicile de Zbiri, je me suis dirigé vers la présidence de la République pour rencontrer Boumediène. Je lui ai dit: « je suis venu pour vous saluer, et vous souhaiter bon courage dans votre mission. Je dois partir aujourd’hui à Oran, et que votre position sera la mienne». Je ne lui rien dit de plus, et ne lui ai pas parlé de ce qui s’est déroulé chez Bensalem.
Boumediène n’a rien dit en revanche. Du coup, j’ai compris qu’il a appris des services secrets ce qui avait été préparé contre lui.
Echourouk Online,Moussa. K

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