L’ex président Chirac qui ne détestait pas utiliser une langue pleine de verdeur avait coutume de dire que les ’emmerdes’ volaient en escadrilles.
A en juger par la consécration qui rejaillit sur Yasmina Khadra, les bonheurs aussi aiment se tenir compagnie!
Comme un bonheur n’arrive jamais seul, l’enfant du bled, consacré par
la République des Lettres et traduit dans de nombreuses langues, vient de faire coup double. Son nom apparaît désormais dans un prestigieux dictionnaire dans la rubrique des noms propres, et son dernier ouvrage “La Cousine K”
vient de sortir en Amérique du Nord.
Sorti des rangs avec le grade de commandant de l’ANP, l’écrivain se réincarne en être hybride mi-masculin mi-féminin pour composer la nature de l’Algérie restée Nedjma et femme chez Kateb, et choisit le nom de plume de Yasmina Khadra.
Plus d’un macho aurait objecté à ce choix, mais l’homme est têtu, aussi obstiné que son héros le commissaire Llob qui entend ne jamais transiger et demeurer intègre dans un pays qui se décompose, et qui comme le poisson pourrit par la tête.
C’est un françaoui, comme on dit chez nous qui m’a fait connaître la trilogie de Khadra et son héros le commissaire Llob, Don Quichotte algérien improbable qui arrive à s’opposer aux moulins de la rapine et de la corruption mus par des vents violents et mauvais.
Entre l’Algérie et Khadra, c’est une histoire d’amour chahutée et immanquablement des esprits chagrins s’évertueront à jeter la suspicion sur son passé de militaire en brouillant allègrement l’image de l’écrivain de fiction et celle de l’homme.
Ce sera l’Étranger et l’Exil qui lui donneront ses lettres de noblesse. Nul n’est prophète en son pays!
Et pourtant, dès ses premiers livres, le souci de comprendre l’histoire tragique qui s’attache à l’Algérie, ses blessures, ses errements, ses trahisons composent un matériau qui relève de la sociologie voire de l’anthropologie.
Il a fait œuvre d’auteur et de témoin, n’hésitant jamais à éclairer les heures sombres et d’insister sur la résilience des hommes et des femmes qui résistent par fidélité à des idéaux qui imperceptiblement s’effacent devant l’indicible.
Un ex-premier ministre algérien, dans un dernier sursaut d’honneur (ou de calcul ) aura la même révulsion que le commissaire Llob devant cette Mafia aux affaires qui entend incarner la High Society.
Dans son dernier ouvrage ” La Cousine K”, l’histoire tragique d’une famille est revisitée à travers les yeux d’un enfant qui souffre de la plus grande stigmatisation qui soit.
Son père, accusé d’être harki, est assassiné et le petit enfant qui ne comprend rien aux histoires des grands, se tourne vers ce cousin pour un peu de réconfort et d’amitié.
C’est tout le contraire qui l’attendra. L’exploration de l’âme humaine et de la violence accumulée , massive et muette, bombe à retardement dont on ne sait plus qui l’a programmée, constituent la force de ce livre qui va à l’essentiel. Il est facile de dire parfois la vérité. il est difficile de dire toute la vérité.
Remercions Yasmina Khadra d’être notre mémoire et celle des autres mémoires que l’on voudra occulter.
Dans un style lapidaire à la limite de l’épure, Khadra rend compte dans ce court récit de cette violence intra-générée qui traverse l’histoire du pays et qui dresse des murs entre les uns et les autres. Des murs de haine et d’hostilité que le passage du temps ne fait pas tomber à l’encontre des murs de Berlin et du rideau de fer.
Les ancêtres redoublent de férocité avait l’habitude de dire un écrivain algérien aujourd’hui disparu.
Khadra continue de creuser un sillon fertile et d’ensemencer les esprits de nombreux lecteurs qui font désormais une ronde universelle.
Yasmina ne s’appartient plus. Il n’appartient plus exclusivement à l’Algérie. Ulysse moderne, il est embarqué dans un voyage dont on ne sait les tours et les détours méandriques. La seule certitude est que la Muse, la femme aimée s’appelle Algérie et qu’elle attend le retour de ses enfants. De tous ses enfants.
La foule trahit le Peuple!