ON NE BADINE PAS AVEC L’HISTOIRE.

(1ère Partie)

« Il suffit de dire le vrai d’une manière étrange, pour que l’étrange finisse par sembler vrai à son tour. » (GOETHE in « Les affinités électives », 1809. Editions10/18. 1963)

1. PREAMBULE.

Depuis plusieurs années, et plus particulièrement au cours de ces dernières, nous assistons à un large éventail de «modes » multiformes qui s’installent dans nos mœurs n’épargnant aucune des couches de la société algérienne. Rien d’anormal nous rétorquera-t-on car ce phénomène touche toutes les sociétés sauf qu’il s’incruste aisément et s’ancre profondément dans celle qui se détache de ses valeurs et de ses repères, faisant siennes toutes ces « nouveautés » qui viennent d’ailleurs, singées de surcroît avec zèle et soins méticuleux. Ceux qui s’en prévalent, de manière ostentatoire dans la plupart des cas, ne pensent pas un seul instant au double danger qui les guette : la perversion et / ou la néantisation pure et simple de leur personnalité originelle et la perte, par aliénation, de leur liberté car, comme le disait si bien Alain : « Il y a péril pour toute l’existence intérieure si l’on commence à admirer par imitation ». Parmi ces modes, très nombreuses, nous nous limiterons à citer : celle liée au soufisme où l’Etat lui-même s’est fort impliqué. Un des thèmes les plus prisés dans ce domaine est celui de l’Unicité de l’Etre (Wahdat el Wujûd وحدة الوجود) qui a, par le passé, fait couler plus de sang que d’encre, prônée, entre autres, par Ibn Arabi – le Cheïkh Al Akbar, Maître spirituel de l’Emir – (17 Ramadan 560/ 28 Juillet 1165 à Murcie – 28 Rabi II 638/ 16 Novembre 1240 à Damas), que nous avons abordée sur BAI (Voir notre texte : D’Ibn Arabi à L’Emir Abd-El-Kader du 3 juillet 2011) – celle des arbres généalogiques (surtout des Chorfas) pour lesquels certains dépensent des sommes colossales pour se voir citer dans quelque ouvrage où l’immodestie, la médiocrité, le doute, la platitude, le ridicule et surtout l’arnaque, cohabitent dans un accommodant ménage pendant que des apprentis généalogistes (نسابون) (Nassaboun) se sucrent sans vergogne sur le dos et la crédulité de ceux qui expriment cette demande de plus en plus croissante et de plus en plus alarmante et sans jamais se départir du ridicule. Le glissement des valeurs vers le futile en est le moteur essentiel.

Enfin, il y a la mode de l’Histoire qui, elle, ne nous vient pas d’ailleurs mais bien de chez nous et sur laquelle nous allons nous pencher particulièrement, la situation devenant préoccupante. Son émergence a été rendue possible par le vide total qui a sévi en la matière et par l’outrageante production de bas aloi indécemment et maladroitement orchestrée ou tolérée par la pensée unique. Le revers de cette médaille est que certains écrits, signés par des écrivailleurs ou des plumitifs, le plus souvent thuriféraires, traduisent, entre autres, un bien curieux besoin de réhabilitation avec ce qui ne pourra jamais l’être qui hante les esprits de ceux qui s’affichent en historiens ; ceci pour dire que beaucoup de nos compatriotes assument mal leur Histoire ou ne l’acceptent que lorsqu’elle nous vient d’ailleurs, après être passée par moult prismes déformants. Ils ne s’assument pas tels qu’ils sont mais tels qu’il a été décidé, sans leur avis, qu’ils soient. Toujours est-il que, si certains y trouvent leur compte, ils disposent là d’un moyen, enrobé d’innocence pudibonde savamment dosée, pour régler des comptes pour lesquels l’Histoire a déjà tranché, faisant que leurs téméraires et vaines remises en cause qu’il nous est cycliquement donné de croiser ne sont qu’un coup d’épée dans l’eau. Cependant, des velléités surgissent çà et là, pour des motifs divers et en dépit d’un handicap de taille : l’indisponibilité des archives et surtout des moyens permettant d’aller vers elles. Aussi se contentent-ils de ce dont ils peuvent disposer mais qui reste en deçà par rapport aux nécessités qu’exigent leurs capacités et leur volonté.

L’Histoire nous intéresse spécialement aujourd’hui puisqu’en se conjuguant à tous les modes et à tous les temps, elle nous est imposée dans notre quotidien avec une appétence insatiable, de manière inquiétante, grotesque et rarement attractive. Tout le monde s’y met, surtout les détenteurs de demi-savoirs autrement plus dangereux qu’une ignorance avérée devenus hélas ! majoritaires par la déliquescence de l’école algérienne à tous ses paliers. Que faut-il donc faire pour contrer l’irréparable et nous en sortir ? Nous reconnaissons que cette question, avant d’être posée, reste subordonnée à la connaissance de celui (responsables attitrés, Institutions spécialisées…) qui aura – quand ? Nous ne pouvons y répondre- la dure et non moins noble mission de s’attaquer à l’endiguement de ce phénomène. L’état de pourrissement avancé auquel on fait aujourd’hui face nous interpelle tous : l’absence totale du rôle moteur de l’Université en dépit de quelques bonnes intentions qui finissent par rejoindre le lot des velléités, la complaisance, le silence complice ou voulu, les dérobades et surtout les fuites en avant ne sont plus permis. Il y va tout simplement de l’un des facteurs de stabilité de notre société et, partant, de notre Identité. En disant ce qui précède nous sommes loin de dramatiser mais le danger est bien là. Malgré tout, nous gardons un fol espoir de voir les choses rentrer dans l’ordre car, il a été prouvé que l’Histoire finit toujours par rattraper acteurs et narrateurs quand ils la bafouillent, la maquillent, la tronquent, en usent, en abusent ou l’ignorent et, comme disait le regretté Ferhat Abbas (24 août 1899 / 24 décembre 1985) : « ceux qui trichent avec l’Histoire seront balayés par elle ».(1)

2. TENTATIVES DE DÉFINITION.

Afin d’interpeller, sans grande illusion d’y parvenir, certaines consciences, nous croyons utile d’essayer de définir ce que l’on entend communément par le concept d’Histoire. Celle-ci vise un but et opère par des moyens.

Le but consiste à avoir une image réelle, aussi fine que possible, du passé qui explique valablement le présent et peut anticiper sur l’avenir. Faisant partie intégrante de la culture, elle permet « la prise en compte de notre héritage spirituel…réclame en compensation une démarche active de l’intelligence et ne se construit solidement que par suite d’une longue décantation ». (2). De ce point de vue, l’Histoire est un phare éclatant qui nous indique les chemins à suivre, les limites qu’il ne faut pas dépasser et constitue un formidable vade-mecum d’où nous pouvons puiser le maximum de solutions pour éviter les embûches qui, le plus souvent, lorsque l’on outrepasse les balises qui les délimitent, se paient comptant et très cher.

Les moyens avec lesquels s’opère toute recherche historique s’appuient sur des approches critiques extrêmement rigoureuses, une connaissance finement aiguisée de la méthodologie de traitement des sujets abordés et une intégrité quasi absolue de l’historien. Un seul de ces éléments manque et l’édifice érigé s’écroule inéluctablement quelles que soient les gesticulations orchestrées, souvent par mimétisme, qui tenteront de le maintenir debout.

Pour étayer notre propos, nous reprenons ci-après quelques écrits que nous avons eu à consulter au cours des récentes dernières années. Toutefois, il est opportun de signaler que les lignes qui précèdent et celles qui vont suivre ne sont pas de la main d’un historien, mais tout simplement celles d’un homme écœuré par certaines lectures accidentelles et qui court le risque d’être chargé pour s’être mêlé de ce qui ne le regarde pas. Dire la vérité ou nous limiter simplement à la rappeler, et c’est là la moindre de nos ambitions, a de fortes chances de ne pas être du goût de tout le monde. Si tel devait être le cas nous aurions, à notre manière, prouvé que « si une feuille bouge c’est qu’il y a du vent». Or seuls le respect de la déontologie et la quête de vérité (heureusement largement partagés) nous intéressent et nous excitent. Quant aux élucubrations dites « intellectuelles » qui surexcitent certains, et sans être thaumaturge ou verser dans une pseudo- prophétie, nous pouvons d’orès et déjà avancer qu’elles n’auront jamais de conséquences…historiques.
Il nous faut préciser que nous n’avons rien contre les auteurs des textes retenus que nous ne connaissons que vaguement pour certains d’entre eux. S’ils s’adonnent à cette gymnastique « intellectuelle » où en général ils démontrent piètrement ce qu’ils doivent ignorer et ignorent tout ce qu’il faut savoir c’est, on le perçoit nettement à travers leurs écrits, d’une part pour assouvir des desseins inavoués ( rentrer, pour la majorité d’entre eux, dans les bonnes grâces de ceux qui sont dans l’air du temps –ce temps qui ne peut « durer que l’espace d’un soupir », tout au plus un moment, lui–même vite évanescent – s’imbiber à l’envi d’un narcissisme sans limite, étaler un nombrilisme facétieux, se complaire du regard admiratif des sots…) quitte à ce que la réputation à laquelle ils aspirent éperdument en y mettant toutes leurs énergies, surtout sonnantes et trébuchantes, se fasse par reptation et, d’autre part, parce que l’ambiance générale, dans laquelle nous évoluons tous, a fait qu’on a amené le citoyen à respecter les « situations bien assises » sans se demander sur quoi au juste elles sont assises. La réponse que nous comptons leur apporter sera, dans l’écrasante majorité des cas si ce n’est dans la totalité, celles des historiens eux-mêmes et espérons qu’ils feront preuve d’humilité pour accepter les verdicts des plus intègres parmi eux ce qui n’est pas acquis d’avance. Avant d’aborder les textes retenus nous tenons à préciser que seuls les écarts révoltants dont certains auteurs ont fait preuve nous ont incité à ne pas nous limiter à la seule confrontation des idées ce que nous avons naïvement souhaité, ceci d’autant plus qu’il nous a été donné de constater que, faute d’argumentaire pointu, ils la réfutent avec un entêtement tenace. Sur ce point précis, nous avons vécu une expérience cauchemardesque avec l’un d’eux.

…à suivre : dimanche 23 Octobre 2011.