« Il suffit de dire le vrai d’une manière étrange, pour que l’étrange finisse par sembler vrai à son tour. » (GOETHE in « Les affinités électives », 1809. Editions10/18. 1963) |
3.1.2 L’APPORT DES SOULAYMANIYINE.
Les Soulaymaniyine apportèrent une très grande contribution au développement du Maghreb central où on leur attribue, selon les sources quatorze à vingt un « royaumes ». Le recoupement des écrits à leur sujet entre les principaux historiens nous donne le tableau généalogique (et nous le souhaitons perfectible) ci-après :
Remarques : Dans ce tableau qui est, dans les notes que nous avons utilisées, plus étoffé qu’il n’apparaît, reconstitué sur une très longue période, nous n’avons fait ressortir que les descendants de Mohamed Ben Soulaïmane qui ont eu à exercer le pouvoir : 4 à Tlemcen, 4 à Rechgoun, 3 à Tahert, 7 à Ténès et 3 à Jouraoua, cette dernière ville ayant existé sur l’Oued Kiss, apparemment non loin de l’actuelle Merset ben M’Hidi et des sources la situent près de Melilla. Cette ville fut détruite par Ziri ben Ménad et sa population transportée pour occuper la citadelle d’El Achir dans les environs de Ksar El Boukhari. Ibrahim (17) bâtit Ténès et /ou Miliana. Hamza (21), bâtit Souk Hamza, l’actuelle Bouira. Parmi les noms que nous n’avons pas cités se trouvent des membres de cette prestigieuse famille qui se sont installés en Andalousie. Et si, aujourd’hui, après douze siècles environ, on arrive encore à en parler c’est parce que, contrairement à ce qu’a avancé l’auteur, chroniqueurs et historiens ne les ont pas passés sous silence.
Que nous ne gagnerons pas à suivre, dans l’esprit et dans la lettre le vieil adage qui dit : « A chacun son métier, les vaches ne seront que mieux gardées. »
SOURCES :
1. L’Indépendance confisquée.
2. De R. Mortier cité par Jacques Lemaire dans « Dire l’Histoire ». Collection« La Laïcité, la Pensée et les Hommes ». Edition de l’Université de Bruxelles.1987.
3. Jamharat Ansab El Arab. Ibn Hazm. Dar Al Maârif (Le Caire). 4ème édition.Edition critique par Abdessalam Mohamed Haroun.
4. Histoire des Nations et des Rois (Chroniques) de Tabari, 6 volumes. Dar Sader,Beyrouth. 2ème édition, 2005.
5. Kitab el-Istiqça, Ahmed ben Khaled En-Naciri
– Version arabe : 9 volumes, Edition de Dar Elkitab, Casablanca, 1954.
– Version en français : 2 volumes traduits par A. Graule pour les Idrissides et par G.S. Colin pour les Almoravides. Librairie Paul Geuthner, Paris,1925.
6. Histoire des Berbères (Kitab El Ibar), Ibn Khaldoun, 4 volumes, textes enFrançais traduit par le Baron de Slane, Librairie orientaliste Paul Geuthner S.A (Paris), 1978.
7. La Nation des Idrissides, Rois de Tlemcen, Fès et Cordoue. Ismaïl Al Arabi, Edition Dar Al Gharb El Islami, Beyrouth, 1983, dont l’introduction est signée ar l’auteur lui-même, le 6 mars 1983 à Alger.
8. Coran. Sourate El Djinn. Verset 17.
3.2 ELEMENTS DE LA GENESE DE LA VISION STRATEGIQUE DE L’UNIVERSALISME DANS L’ŒUVRE SPIRITUELLE DE L’EMIR ABD-EL-KADER.(Par Mohamed BAGHLI).
Les 23, 24 et 25 novembre 2004 a été organisé, à Oran, sous l’égide de la Fondation Emir Abd-El-Kader, un colloque international ayant pour thème « l’Emir Abd-El-Kader : source d’authenticité, précurseur de modernité » où, selon le programme distribué, quinze conférences étaient prévues.
Le premier jour six conférenciers se sont succédé. Une intervention portant sur le titre « Engouement de l’Emir Abd-El-Kader pour Sidi Boumédienne » fut lue, en arabe exclusivement, par un conférencier qui répondait au nom de Monsieur Baghli annoncé comme étant de Tlemcen. A l’époque où nous rédigions le présent document, nous ne pouvions dire s’il s’agissait de celui dont nous venons de parler antérieurement ou d’un simple homonyme. Le recueil des conférences lues au cours de ce colloque ne nous est parvenu que le 4 juillet 2008, soit presque quatre années après, alors que les organisateurs avaient exigé des intervenants de leur adresser leurs textes quelques jours avant le début du colloque. Nous fûmes ahuri et outré de constater, dans le recueil des conférences, que Monsieur Baghli avait adressé un texte complètement différent du contenu de sa conférence et de surcroît en arabe. La Fondation n’y a vu que du feu malgré l’odieuse imposture. Et là se pose La question de sa crédibilité face à son silence sur des comportements abjects de certains intervenants. Nous n’avions suivi que les six conférences du premier jour et leurs contenus nous ont acculé à décider de ne pas assister aux assises du colloque les deux jours suivants. Nous avons lu « le texte de la conférence-fantôme » de Monsieur Baghli et, bien qu’ayant disposé de près de quatre années pour peaufiner un bon texte « de rachat », la catastrophe fut plus grande que le jour de la conférence.
Le recueil des interventions du colloque se présente en deux volumes de format 14/20 l’un de 171 pages et l’autre de 90 pages.
3.2.1. Examen du contenu du vrai-faux texte de Monsieur Baghli.
Celui-ci se divise en deux parties : une en français, (et l’auteur n’a pas utilisé cette langue dans son intervention) d’un peu plus de trois pages comprenant au total 106 lignes. Aucune information sur « la vision stratégique de l’universalisme dans l’œuvre spirituelle de l’Emir Abd-El-Kader » ne transparaît. Le contenu de sa conférence, n’effleurant à aucun moment ce qui est annoncé dans le titre, devient ainsi totalement hors sujet. Par contre 31 lignes seront consacrées à Tlemcen, 9 à une citation qui serait de l’Emir et 23 sur des informations largement connues du grand public. Ces chiffres veulent dire tout simplement ceci : si le reste de « l’intervention » avait été totalement réservé au titre annoncé-ce qui ne l’est pas- il n’en aurait pas occupé plus de 40%. Est-ce une manière de se servir de l’Emir pour la finalité de l’intention? Tout indique que oui. Quant au texte en arabe il consiste, à travers quatre pages, en une reprise intégrale du Mawquif (halte) 371 où l’Emir cite un vers du Saint Sidi Boumédiène. Pas un seul mot de commentaire ! Les annotations, en bas de page, de l’auteur sont au nombre de quatre en ce qui concerne ce texte. La première rajoute six vers – que tous ceux qui sont versés sur le sujet connaissent – à celui de Sidi Boumédiène cité par l’Emir, les trois autres donnant les noms des sourates desquelles l’Emir a puisé des versets. Il existe à Sidi-Bel-Abbès un jeune et sympathique laitier qui aurait réussi une merveille que ce dont nous a gratifié Monsieur Baghli! Donc rien de novateur dans ce que l’on peut considérer comme annotations explicatives et enrichissantes du texte. La fin du Mawquif- qui n’est même pas analysé – est suivie d’un encadré dans lequel on lit un extrait du Mawquif 231 sans aucune explication sur sa présence. Quant à l’approche spirituelle de ce qu’a voulu dire l’Emir : c’est le silence total ! Notons que le vers de Sidi Boumédiène cité par l’Emir n’est pas le seul puisque, sans faire de recherches spéciales sur le sujet, nous sommes déjà tombé sur un autre vers du Saint cité, lui, au Mawquif 319.
L’auteur écrit tout au début du troisième paragraphe : « l’Emir avait été un des derniers disciples du Cheikh Sidi Mohammed ben Youssef Es-Senouçi (de Tlemcen). On peut être disciple d’un grand maître de deux manières : avoir été directement son élève ou épouser intégralement ses idées bien après sa mort. L’auteur ne nous dit pas où est classé l’Emir dans ces deux hypothèses. Ceci semble lui importer peu car le plus important à ses yeux était de faire passer la pilule qui consiste à placer l’Emir comme un des derniers disciples de Sidi Essanoussi, (732 /1428 – 895 / 1490) qui, soit dit pour la précision, a été, entre autres, le maître de Sidi Abdelkader Ben Khadda, personnage d’un rayonnement exceptionnel et grand’père de la septième génération ascendante de l’Emir. Nul n’est en mesure de soutenir, à quelque titre que ce soit, que l’Emir est l’un des derniers disciples du Cheïkh Essanoussi. De nos jours ils sont des dizaines de milliers et l’œuvre de Sidi Essanoussi qui les «rassemble » tous est « Oum El Barahine », un authentique bréviaire sur les dogmes de l’Unicité divine. Ce qui ressort du texte lu, c’est – hélas ! encore une fois – cette obsession de mettre en valeur Tlemcen vaille que vaille. Ainsi Sidi Boumédiène qu’Ibn Arabi reconnaît comme « Cheïkh Echouyoukh » (le Maître des Maîtres) est présenté comme étant « le maître commun » du Cheïkh El Akbar et de L’Emir Abd-El-Kader. Le premier nommé a bien rencontré, en 1194, Sidi Boumédiène à Bougie sur sa route pour l’Orient. Or les Saints cités dans les Maouaquif pour les besoins des commentaires, et ils sont nombreux, peuvent prétendre, par l’entremise d’auteurs qui leur sont géographiquement proches, à cette même filiation d’école. Ainsi on retrouverait toute une légion de maîtres communs à Ibn Arabi et l’Emir ! Quelque solide que puisse être le fil d’Ariane, il ne nous permettrait pas de nous en sortir. Jamais pareille allusion, pour des maîtres qui en avaient les atouts n’a eu d’antécédent dans le très riche patrimoine de la mystique musulmane qui a, de nos jours, très largement débordé le monde musulman. Un exemple : Ibn Arabi ayant composé un poème dit « Etta-iyya », c’est-à-dire un poème dont la rime se termine par la lettre « t », a demandé à Ibn El Faridh l’égyptien d’en faire un commentaire. Ce dernier répond au Cheïkh Al Akbar : « Le commentaire que vous voulez de moi se trouve dans votre livre El Foutouhate ». Seule une haute prise de conscience sur les limites de sa propre dimension spirituelle ajoutée à une reconnaissance implicite de la suprématie du Cheïkh El Akbar dictaient à Ibn El Faridh sa réponse. Personne n’a pour autant écrit que l’égyptien était le « Maître » du Cheïkh El Akbar. Un autre exemple : Ibn Arabi a composé un livre sur tous les mystiques d’Andalousie et un autre exclusivement consacré à Dhou Noun Al Misri. Aucune autorité spirituelle à travers les siècles ne s’est permis de décréter que les mystiques étudiés par Ibn Arabi étaient ses maîtres communs surtout avec le sens que lui donne le conférencier. Pour soutenir ce que ce dernier a avancé, il faut au préalable connaître parfaitement l’œuvre d’Ibn Arabi, celle de l’Emir n’en étant qu’une forme d’exégèse particulière et indispensable ou un prolongement avec certaines spécificités. Mais avant d’aller plus loin nous rappelons à nos aimables lecteurs intéressés par connaître la biographie de Sidi Boumediène qu’ils pourront se reporter à notre article « D’Ibn Arabi à l’Emir Abd-El-Kader : Quand l’aisance nuit à la connaissance » paru sur BAI le 3 Juillet 2011. Après son voyage en Orient, le futur Saint Patron de Tlemcen retourna au Maghreb et décida de s’installer définitivement à Bejaia où il passa pratiquement tout le restant de sa vie. Sa dévotion lui valut une célébrité foudroyante et fit affluer vers lui des gens venus des contrées les plus lointaines. On estime qu’il a formé un très grand nombre d’élèves dont plus de 1000 accédèrent à la célébrité. La qualité de son enseignement, la manière dont il le dispensait et le nombre impressionnant de ses adeptes déplurent aux Foukaha. Ils en référèrent au Sultan qui le convoqua à Marrakech où il décida de s’y rendre, nullement inquiet du sort qu’il savait l’attendre. Arrivé près d’El Eubbad, dans les environs immédiats de Tlemcen, il rendit l’âme en l’an 561 / 1198 et devint le Saint Patron de la ville sans y avoir jamais habité.
Ainsi, si le titre de la conférence peut coller au thème du colloque, le contenu lui va exactement à contresens et même trop loin. Nous profitons de cette occasion pour attirer l’attention de certains qui pensent « maîtriser » l’oeuvre d’Ibn Arabi ou celle de l’Emir que le thème majeur qui les lie est Wahdat El Wujûd (l’Unicité de l’Etre) et, l’aborder, nécessite impérativement de connaître le concept de Wahdat Ech – Chouhoud (وحدة الشهود) prônée, avant Ibn Arabi par Abou Hamid El Ghazzali (450 / 1057 – 555 / 1111) entre autres, Fusûs el Hikam (les lobes de la sagesse) du Cheïkh al Akbar en recourant aux grands commentateurs de ce livre qui souleva des tempêtes après la parution de « Fadhihatoul Moulhidine wa Nasihatoul Mouahhidine » (La honte des athées et le conseil des monothéistes فضيحة الملحدين ونصيحة الموحدين) de Alaa Eddine El Boukhari, « Charh el Maqasid » de Saâdeddine Taftazani (1312 – 1390) maître du précédent, d’ « El Wujûd el Haqq de Abdelghani En – Naboulsi (1050 / 1641 – 1143 / 1731) et « Kitab el Maouaquif » ( le livre des Haltes) de l’Emir auxquels il faut obligatoirement adjoindre une vue globale sur la philosophie de l’andalou Ibn Sab’in (612 / 1216 – 669 / 1270) et les virulentes attaques du grand polémiste hanbalite Ibn Taïmiyya même si leur impact reste très limité. Ces auteurs et leurs multiples œuvres doivent être parfaitement connus en plus d’une totale maîtrise du Coran, de ses exégèses les plus autorisées, du Hadith et du fiqh pour parler ensuite de l’approche qu’a faite l’Emir du livre-clé du sujet (Fusûs el Hikam), écrit en plus, par son Maître spirituel auprès duquel, à sa demande, il fut enterré.
Nous allons tenter d’apporter quelques éléments qui, nous l’espérons, éclaireront sur la difficulté, voire l’impossibilité, qu’il y a, aujourd’hui, à saisir le « style » Ibn Arabi et particulièrement celui des « Fusûs ».
L’Algérien El Makarri (mort en 1631) rapporte, dans une biographie consacrée au mystique andalou que, lorsqu’il prit connaissance des « Fusûs », le Cheïkh el Islam, l’Imam Afif Eddine al–Yafi’ le Yéménite (mort en 768 / 1376), adepte de la Kadiryya et de la Chadhilyya, recommanda que l’on s’abstienne de lire ce livre. Sans être catégorique, il semble que ce soit également lui qui adressa une lettre à tous les grands maîtres théologiens, de l’Indus au Portugal, pour leur demander de s’abstenir de le lire car ils comprendraient exactement le contraire de ce qu’a voulu dire Ibn Arabi.
Le seul vrai mystique que nous avons eu la chance de connaître, qui connaissait par cœur « la Rissala d’El Kouchaïri », « les Fusûs » ainsi que tous les grands maîtres soufis sunnites nous raconta, en 1991, ce qui suit :
« Me trouvant un jour à Oran, je me rendis chez le Fqih Si Tayeb El M’hadji (co-fondateur de l’Association des Ulémas Algériens qui a consacré 63 années de sa vie à l’enseignement) pour lui rendre visite. En arrivant à son école, je le trouvai en train de dispenser un cours à une assistance tellement nombreuse que je dus m’asseoir au pas de la porte. Quant il finit, il se leva et brandit à ses élèves un livre en disant : « Que celui qui le souhaite prenne ce livre ; je l’ai lu mais je n’y ai rien compris. » Je m’approchai du Cheïkh pour l’embrasser et, en allant vers lui, je croisai l’élève qui avait obtenu le livre. Je lui ai demandé de me le montrer : c’était « Fusûs el Hikam » et, bien que l’ayant lu et relu, je voulais en avoir un dans ma bibliothèque ».
Quant aux orientalistes très versés sur la mystique, nous renvoyons le lecteur à notre article du 3 Juillet précité paru sur BAI.
Avec ce qui précède, nous remarquons que, pour un livre écrit en arabe, par un auteur arabe, les commentaires qui en ont été faits l’ont été davantage dans les langues turque et persane. N’y a–t-il pas des notes en marge sur le commentaire d’El Kaïsari écrites par l’Ayatollah Khomeiny lui-même ? Tous les célèbres mystiques perses tels que Farid Eddine El Attar (545 ou 550 / 1150 ou 1155 – 627 / 1230) portent l’empreinte du Cheïkh El Akbar. La réaction de l’Imam Al – Yafi’ et le récit de celle du Fqih Tayeb El M’Hadji prouvent, si besoin est, que le livre en question, le plus important de tous ceux écrits par le grand mystique andalou, doit être abordé avec un mélange homogène, équilibré et hautement dosé en connaissances ésotérique et exotérique et, à de très rares exceptions, ceux qui veulent s’attaquer à Wahdat al Wujûd, aujourd’hui, gagneraient à méditer cela. Mais la mise de côté de tout sentiment d’infatuation avec un minimum de modestie et d’humilité sont, au préalable, nécessaires.
Et il y eut deux algériens : l’Emir Abd – El – Kader et un autre qui fut de toutes les rencontres internationales sur Ibn Arabi : le regretté professeur Abdelmadjid Méziane que nous avons eu le bonheur et la chance d’approcher : avec ses énormes connaissances, son exceptionnelle manière de communiquer, toujours teintée d’un zeste d’humour, il vous fait vivre toutes les époques dont vous voulez vous informer comme si vous y étiez. Nous lui devons personnellement d’appréciables éclairages sur El Halladj, de judicieux conseils pour lire Ibn Arabi et une multitude de réponses à des questions sur le Hadith, sur l’Emir, sur l’Histoire de Mazouna, Tlemcen, Fès et tant et tant d’autres. Nous nous rappelons qu’un jour, ayant eu des difficultés à suivre le cheminement du style d’un auteur français récemment disparu, Bruno Etienne, dans son livre tendancieux « l’Islamisme radical », nous l’avons questionné sur la démarche de cet auteur. Sa réponse a tenu en un seul mot et tout s’était miraculeusement éclairé. Comment rendre justice à cet esprit universel d’avoir, en tant que Président de la Fédération FLN du Maroc, convaincu le Révérend Père Chenu, dans une rencontre secrète à Genève, que l’Eglise française avait une opportunité unique de rattraper les erreurs commises par des hommes de culte qui avaient, en leur temps, béni les colonisations, en apportant son soutien aux hommes qui se battaient pour la libération de leur pays après avoir, certes malgré eux, libéré le sien et replanter les bases du vrai dialogue des religions entrepris avant lui par l’Emir ; d’avoir, en tant que Ministre de la Culture au début des années quatre-vingts, inondé le pays de livres où tous les courants de pensée étaient représentés à travers des ouvrages de haute qualité et pris l’initiative d’éditer en fac- similé « Kitab El Maouaquif » ainsi que ce qu’il a lui-même titré d’ « Autobiographie de l’Emir » ? Sans l’introduction du Professeur Méziane à cette autobiographie, elle serait assez difficile à lire. Pourquoi ? Ce livre est une réponse à une demande adressée par des Evêques à l’Emir entre le 20 et 23 avril 1848 (15 Joumada II 1264) alors qu’il était détenu à Toulon. L’Emir leur a répondu dans « leur arabe ». Magnanimité, modestie et humilité obligent ! Le Professeur Méziane a apporté un incontournable éclairage et a même expliqué le sens de certains « mots » usités par l’Emir rendant le manuscrit accessible au plus grand nombre. Pour clore, momentanément, la discussion sur cet homme exceptionnel, nous nous limiterons à rappeler que quelques jours seulement après son investiture ministérielle, nous lui avons demandé : « Si on exigeait de chaque ministre un slogan pour son département quel serait le vôtre ? » Il nous répondit : « Dé – folkloriser la culture ». Réponse qui mêle la vraie connaissance à la rare excellence !
Tout ce que nous venons d’écrire sur la difficulté qu’il y a présentement à approcher l’œuvre d’Ibn Arabi et particulièrement ses « Fusûs » c’est pour répondre au conférencier sur son intervention du 23 novembre 2004 qu’il basa sur « les Maouaquif » de l’Emir. Dans sa conférence il parle du manuscrit en trois volumes de ce livre « édité en offset par feu Mr. Abdelmadjid Meziane » ce que nous venons juste d’avancer. Il nous informe également de la lecture des Mawaqifs, chaque vendredi, depuis une dizaine d’années « dans la pure tradition de l’âge d’or des écoles de Tlemcen ». Or Kitab El Maouaquif compte 372 haltes pendant que celui (manuscrit) de la Bibliothèque Nationale s’arrête à la halte 368 ! Cette différence ne pouvait pas trouver meilleure opportunité d’être portée à la connaissance du grand public de « spécialistes » comme celui qui assistait au colloque organisé. Aucune allusion à cet écart. Faire une étude de Kitab El Maouaquif dans la pure tradition de l’âge d’or des écoles de Tlemcen où les lecteurs ne remarquent pas ce détail après une lecture « s’étalant sur une décennie », relève soit d’une prétention démesurée soit d’une vue étriquée. Il suffit de lire « El Boustane » d’Ibn Mériem pour avoir une idée partielle de ce que fut l’âge d’or des écoles de Tlemcen. Les livres qui en parlent sont légion. Un minimum d’humilité aurait évité de faire ce comparatif inutile car il porte atteinte à ces génies qui ont apporté une contribution au patrimoine universel comme il est quasiment impossible, aujourd’hui, d’y prétendre. Aussi, nous torturer avec les sous – entendus d’une telle conférence (fantôme de surcroît) n’est ni sage, ni intelligent ni généreux. Et là nous reconnaissons ce style que nous avons relevé dans le texte consacré à Sidi Soulaïmane Ben Abdellah El Kamil.
Sidi Boumediène est cité une seule fois dans les Fusûs et plus précisément au Fass 14 (5). Or, dans El Maouaquif, l’Emir reprend l’essentiel de la pensée de son Maître, principalement des Fusûs, et, accessoirement des « Foutouhate ».
Mais qui dit Sidi Boumédiène ou Sidi Essanoussi dit Tlemcen et là réapparaît, avec un grand Saint et un grand Maître, le style utilisé par l’auteur en parlant d’Idriss. Coïncidence ? Jamais ! Imposture ? Peut-être. Mais se servir de l’Emir et de son Maître, en piétinant leurs œuvres, pour ancrer cette fixation qui relève de la hantise où l’on subodore l’ignorance aveugle, doit inciter nos amis de la Fondation à plus de vigilance surtout que nous avons relevé des inexactitudes dans d’autres textes contenus dans les recueils qu’ils ont eu l’amabilité de nous transmettre et qu’il serait inutile de commenter.
Que faut-il en conclure ? Une mauvaise lecture d’el Maouaquif ? Non. Une maladroite récupération ? Sûr. Une méconnaissance de la langue bien que nous ayons signalé plus haut, à travers deux exemples on ne peut plus édifiants, que sa parfaite maîtrise était une condition nécessaire et non suffisante pour une garantie de la compréhension ? Peut-être ! Un nivellement par le bas ? Que l’orateur était convaincu que l’auditoire n’était composé que de complaisants et d’imbéciles ? Inqualifiable ! De plus cette intervention était, contrairement au programme annoncé, la deuxième de la matinée qui a vu défiler trois conférenciers. Les organisateurs avaient prévu que les questions ayant trait aux six conférences devaient être posées à l’issue de la dernière. Entre-temps, certains de ceux qui étaient intervenus étaient déjà partis !
Comme nous le disait le grand professeur Abdelmadjid Méziane (de Tlemcen), il est temps de dé folkloriser la culture ! Un dernier mot : L’Emir a façonné ce pays en le servant corps et âme dans un désintéressement comme il n’en connaîtra jamais après lui. Un minimum de devoir nous commande de respecter et servir, non seulement son souvenir, mais également celui de tous les enfants qui ont tout sacrifié pour ce Pays.
SOURCES
1. Ibn Arabi, sa vie, son œuvre. Miguel Asin Palacios. Traduction de l’espagnol à l’arabe de Abdurrahmane Badaoui. Librairie anglo égyptienne. 1965.
2. Fusûs Al Hikam. Commentaire de Aboul Alaa Afifi. Edition Dar Elkitab alAraby. Beyrouth. 2ème édition 1400/1980. (La traduction en caractères gras est de l’auteur du présent article).
3. Encyclopédie du Soufisme. Par Abdelmoun’im El Hanafi. Edition Medbouly.Le Caire. 2004
4. Kitab El Mawaquif par l’Emir. Edition Dar El Yakaza El Arabiyya. 3 tomes. Damas. 1967.