C’est avec une vive émotion que j’ai pris connaissance dans le « Quotidien d’Oran » de la démolition de la mystique École indigène de Sidi Bel-Abbès, baptisée depuis Ecole Ibn Sina, rue des Bans.
Je fus littéralement assailli par une myriade de souvenirs jubilatoires, fleurant bon l’enfance insouciante, franchement heureuse, mais studieuse et respectueuse de nos maîtres.
Meliani, au corps massif que nous avions surnommé Goliath, tenant invariablement sa cravache aux lanières finement tressées dans sa main, pendant les récréations, afin de dissuader les élèves turbulents d’être bruyants et tapageurs.– Ouhibi, comme un héros au long cou, pondéré et souriant. Il sera dans l’Algérie indépendante le maire le plus incorruptible et le plus intègre qu’ait connu l’APC de Sidi Bel-Abbès depuis juillet 62. Sekkal, à la petite taille, avec sa mimique quasi comique, mais vif dans ses gestes et ses propos. – Gadi, atypique avec sa gandoura et son turban pour marquer son arabité patente. Benhamza, aux gestes mesurés, au verbe teinté d’humour comme un lord anglais. Tout ce peloton d’enseignants chevronnés sera une inestimable bouffée d’oxygène pour l’école naissante de l’Algérie indépendante.

Après avoir décroché le CEP à l’école Turgo, avec mention, pour avoir correctement psalmodié la « Marseillaise » à l’oral, voilà que je me trouve à l’Ecole Indigène en 1950, dans la classe préparatoire au concours d’entrée à la Médersa de Tlemcen « Lycée franco-muslman »

Cet établissement était généralement réservé aux fils de Caïd, de Bachagha et autres cadis et notables bien en vue. Pour y avoir accès, la bataille était rude.

Notre classe se trouvait en retrait au 1er étage, juste au dessus de la loge de la concierge, la fébrile et sympathique « Khalti Rkia » son fils Mékamene, sera sous-officier de l’ALN dès le déclenchement de la révolution.

Notre instituteur Benhammou, le juif communiste, à la stature imposante, nous prodiguait un enseignement de qualité et nous affectionnait comme ses propres enfants.

Étantadjoint au maire, il offrit sur le budget de la mairie un trousseau complet pour les 6 candidats admis au concours d’entrée à la Médersa en internat. Ainsi, les six enfants de prolétaires n’auront pas à rougir devant le faste vestimentaire de leurs camarades fils de potentats.

Le maire de l’époque, Justrabo, communiste et populaire, fut, avec le Dr Hassani après l’indépendance, le maire le plus prestigieux, le plus productif, le plus positif de l’histoire de la municipalité belabbessienne. L’apprentissage de l’arabe, quasiment disqualifiée dans les écoles revenait à un jeune mouderess du Constantinois, tiré à quatre épingles, rouquin comme un Irlandais, toujours frais et sentant la lavande et que sa collègue, la jeune juive Corchia dévorait des yeux.

Au concours d’entrée à la Médersa de Tlemcen, nous fûmes six à être retenus sur 28 candidats présentés par l’Ecole Indigène.

Belasri Boumediene, Zegaoui Zouaoui, Ziri Slimane, Le Marocain Tsouli Ould Si, Boukhadimi Sid-Ahmed et votre serviteur.

Les trois premiers n’achevèrent pas leurs études secondaires et rejoindront le maquis après la grève générale de 1956, dans la foulée de leur prédécesseurs et condisciples Boudghèn Lotfi et Senouci Houcine, quelques dizaines d’autres suivront cette petite marée. Mais pour le plus grand nombre, dont moi-même, c’est le syndrome de Hassan Terro qui a le plus, prévalu.

L’Ecole Indigène, dirigée avec compétence et doigté par l’énergique Corse, Mr Serio, au tablier gris, était attrayante avec son style mauresque, une petite merveille architecturale, ses salles bien aérées et bien chauffées l’hiver. L’hygiène et la propreté étaient de rigueur grâce à l’intransigeante « Khalti Rkia». Et la cantine fournissait des repas consistants.

Si, aujourd’hui des irresponsables ont jugé bon de démolir ses murs, son souvenir restera vivace et tenace en chaque élève l’ayant fréquentée.

Dans le même sillon et à une faible distance, qu’en sera-t-il demain de l’école ex-Général Marceau qui date du 19ème siècle, et qui porte le nom de mon père le Chahid Bousselham Abdelkader ?

par Bousselham M: Correspondance Particulière pour le Quotidien d’Oran du 18.11.2013