Selon Chenoufi Brahim, archéologue, les anciennes bâtisses de la ville de Sidi Bel Abbes constituent un patrimoine historique, architectural et artistique indéniable. Construits entre le début du XIXe et le milieu du XXe siècle, ces châteaux témoignent de la création et de l’évolution de cette ville. « Celle-ci fut bâtie sur un site qui n’a jamais constitué un no man’s land, car les témoins matériels identifiés trouvés sur le site et dans la région proche attestent de la présence de l’Homme depuis la préhistoire à nos jours en passant par les royaumes berbères dont celui des Masseyssiles et dont la capitale fut Siga, le royaume d’Altava (Ouled el Mimoun) du roi Masuna aux Ve et VIe siècles. » a-t-il rappelé. Au Médiéval, selon M Chenoufi Brahim , ce vaste territoire était le théâtre de chevauchées, d’installation de campements et de haltes des tribus berbères et arabes dont celle de la puissante tribu arabe hilalienne des Beni Amer et ses branches qui peupla ces vastes plaines, limitées à l’est par Sig dans la wilaya de Mascara, et à l’ouest par Tlemcen. Dans cette région, a souligné notre interlocuteur, le géographe el Idrissi signale au XIIe siècle une petite ville sur le flanc ouest de Tessala et qui aurait prospéré aux XIIIe – XVIe siècles. « Elle constituait un important relais pour les voyageurs et pèlerins. Elle enfanta des savants, cités dans Le Bostan d’Ibn Meriem. » Chenoufi Brahim, conservateur du patrimoine culturel, qui a relevé des traces d’occupation médiévale sur ce site lors d’une mission début de l’an 2000 a affirmé que « les Français dans certains de leurs rapports reconnaissent avoir identifié sur le site et sur les rives de la Mekerra les vestiges de canalisations antérieures à la présence coloniale française. Le mausolée de Sidi Bel Abbès y est érigé depuis l’époque ottomane et son histoire et sa légende sont connues. Cet illustre érudit de l’école de Tlemcen fut vénéré et respecté des Ouled Brahim, des Amarnas et des Hazedj, factions des Beni Amer. La création d’un centre de population par les Français, a-t-il enchaîné, s’inscrit dans un contexte historique en rapport avec des évènements en Algérie. « En effet, c’est pour faire face aux révoltes et à la résistance des tribus de cette région et en particulier celle menée par l’Emir Abdelkader que l’armée coloniale entreprit, pour le contrecarrer, la création de ponts d’appui et de ravitaillement appelés « postes-magasins » nécessaires sur la limite du Tell et des Hauts Plateaux pour venir en aide aux colonnes française. C’est ce qui a donné par ailleurs le nom de « Biscuit-ville » à ce noyau urbain dans un premier temps. ». Soulignant la valeur historique, M Chenoufi a affirmé que la ville de Sidi Bel-Abbès et les bâtiments hérités de la colonisation se trouvent sur le sol d’Algérie et donc directement liés à la colonisation de notre pays et à son histoire. S’agissant de la valeur architecturale, la ville et ses constructions aussi bien militaires que civiles a été bâtie grâce à l’exploitation de la forêt de pins d’Alep qui arrivait aux portes de la ville et qui devint le grand entrepôt. S’ajoute la roche locale avec l’utilisation de la pierre de tuf nécessaire pour la construction et qui se trouvait en abondance. « Les belles bâtisses qui sertissent la ville ont été conçues avec goût et un savoir-faire consommé à des phases de l’urbanisation de la ville d’alors, ce qui confère à ces œuvres des valeurs architecturales et artistiques exceptionnelles. Différents styles et courants artistiques du XIXe et du XXe siècle y sont représentés » Lors de notre entretien, Chenoufi Brahim a expliqué que le centre- ville de Sidi Bel Abbès offre des spécimens de ces styles qui ne laissent pas indifférent et qui constituent de véritables curiosités historiques et architecturales pour le touriste et une fierté pour les citoyens de la ville.
Valeur pédagogique et esthétique Ces chefs d’œuvre constituent des éléments qui stimulent la créativité des entreprises. Cela est visible dans des villas et autres réalisations conçues après le recouvrement de l’indépendance. Ils inspirent les recherches universitaires. De même les artistes trouvent en ces bâtiments une mine de motifs et d’ornements pour leur création. « Ces châteaux et châtelets offrent une esthétique à la ville et lui confèrent une harmonie d’ensemble qui donne à Sidi Bel Abbes sa réputation de « P’tit Paris », expression lancée par Napoléon III admiratif lors de sa visite dans cette ville. ». Or, ces beaux édifices sont dans un état de délabrement avancé pour certains faute de mauvaise utilisation ou d’utilisation inappropriée, d’absence d’entretien et de négligences graves entraînant menace d’effondrement. « Notre diagnostic a ciblé chaque château que compte cette belle ville au visage européen » a-t-il dit tout en mettant l’accent sur le château Clos Bastide ou Clos Jérôme ou encore Djenane Bastide. Figure aussi dans cet échantillonnages de bâtiments anciens le siège du parti FLN, ce très bel édifice dégradé ou encore ce château occupé par la Fondation Taïbi Larbi. De nombreux châteaux nécessitent une attention particulière selon l’archéologue Chenoufi, dont également le Château Perrin construit par Antony Perrin en 1880, aujourd’hui en ruine.
Des mesures d’urgence s’imposent « Engager des mesures conservatoires de protection et d’intervention en vue d’arrêter le processus de dégradation de ces biens communautaires, engager des études suivies de travaux d’urgence de réfection, de restauration et de mise en valeur , sont plus qu’indispensables pour préserver ce legs » a estimé l’archéologue. Pour le moyen terme et au titre de la loi 98 /04 du 15 juin 1998, art 2, ces bâtiments relèvent d’une phase importante de l’histoire de l’Algérie. De ce fait, a-t-il insisté, ceux-ci doivent être considérés comme monuments historiques eu égard aux valeurs historiques, architecturales, esthétiques, et d’évocation, qu’ils renferment, mais ne jouissent jusqu’à présent d’aucune protection légale qu’offre la juridiction algérienne. Compte-tenu des menaces qui les guettent, il y a lieu de prendre les mesures à l’effet de leur sauvegarde et leur conservation. Il s’agit d’un inventaire exhaustif et le classement au titre des monuments historiques, car il s’agit d’un patrimoine culturel de la Nation.
M. M./ Horizons