SOS MOUL DOUMA : La mort après la mort.

Préambule :

Il y a quelques jours un article a été publié par BAI sur l’état lamentable de nos cimetières. Il y a environ quatre années, mon jeune cousin Brahim ZEDDOUR a abordé le même sujet concernant le vieux cimetière d’Oran : Moul Douma. Comme si une malédiction poursuit ce pays à travers toute son étendue, tous les problèmes qui touchent une ville se trouvent de manière identique partout. J’ai plaisir à vous livrer cet article dans sa mouture originelle.

Mohamed Senni.

 SOS cimetière Moul Douma.

La mort après la mort.

Par Brahim ZEDDOUR.

« Prétendre se faufiler sans dommage entre cette horreur et cette férocité est une imposture »

Gabriel Matzneff

 

En ce premier jour de l’Aïd el Fitr, la traditionnelle visite au cimetière Moul Douma a vite tourné au cauchemar. Ce fut un voyage au bout de l’insoutenable, au point où cette journée, rompant avec toute forme de raison, a paru de trop. Le cimetière, loin d’être un havre de paix et symbole de la solidarité inter générations, est devenu l’incarnation du mal.

Drôles de mœurs dans une drôle de société où Oran se trouve outragée, blessée dans ses parties les plus intimes, jusqu’aux sépultures de ses morts. C’est dire que dans nos connaissances, dans nos aptitudes et même dans nos attitudes, nous n’avons jamais été préparés à affronter pareille situation. Mais qu’est-ce qui pourrait bien expliquer le fait que les vivants se défoulent sur les morts ? Pareille déviation n’a peut-être jamais été remarquée ni dans les cultes païens, ni dans les pathologies de groupe, ni dans les pratiques initiatiques des sociétés secrètes, ni dans les troubles majeurs des comportements sociaux.

Comment donc analyser cette situation extrême où la société se déshumanise, affirme son non-être, abolit tout ce qui pourrait donner un sens à son existence ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

Et d’abord le spectacle. Au cimetière Moul Douma, toutes les tombes sont détruites, remuées, saccagées. Ces profanations sont faites d’une manière anarchique et sans méthode, mais avec une telle violence qu’on a beaucoup de peine à croire que c’est l’œuvre d’êtres humains. Le soir, des bandes y organisent des orgies. En témoignent les traces des feux de camp, les tessons de bouteilles de boissons alcoolisées, les restes des repas et différents emballages, des litières, des chiffons, des oripeaux, des haillons. Pendant la journée, les enfants des riverains transforment le cimetière en aire de jeux. C’est pour eux une sorte d’initiation au cérémonial nocturne et, en attendant d’être en âge d’y participer, ils reprennent la sinistre entreprise de profanation là où leurs aînés l’avaient laissée la veille. C’est ainsi que le travail ne s’interrompt jamais, nuit et jour les bandes se succèdent aux bandes. Une partie du cimetière a été transformée en décharge d’ordures ménagères. Des locaux administratifs ne subsistent que les murs lézardés et l’administration communale a rappelé les derniers fonctionnaires qui assuraient la gestion et le gardiennage du cimetière, livrant ainsi les lieux aux mutants du jour et de la nuit.

Et puis un sentiment de révolte quand on songe à tous ces défunts, à tant de prestigieux personnages qui ne reposent plus en paix. A force d’y songer, on est soudain envahi par l’idée que cette ville maudite sera emportée par un cataclysme, d’abord à cause de ceux qui ont osé aller si loin dans l’irréparable, dans l’inacceptable, mais à cause aussi de tous les autres et si nombreux, complices passifs, coupables par leur silence, ceux qui se complaisent dans le non-dire et dans le non-agir.

Incroyable mais vrai. Ce qui saute de prime abord aux yeux, c’est qu’à Oran, les vivants en veulent sérieusement aux morts, peut-être pour les avoir abandonnés dans un monde où la vie ne vaut vraiment pas la peine d’être vécue. Alors ne cherchez plus la planète des singes. Elle se trouve à Oran. Avec ses zombies et ses mutants, hirsutes, vociférant, salissant, incultes, prédateurs. Une planète où il y a moins de singes et plus d’ânes et leurs corollaires les âniers.

Cette prolifération d’ânes n’est-elle pas le signe de la massification de la misère matérielle et morale ? Au point où des voix s’élèvent ça et là pour suggérer de remplacer par des ânes les statues des deux lions qui ornent l’entrée de l’Hôtel de Ville. Finie donc Oran les deux lions. Désormais c’est Oran les deux baudets. Oran les ânes. Oran les âniers. Oran les âneries. Oran la malédiction.

Ce qui est évident, c’est que la sous-administration de la ville est la première responsable de cette situation, en ce sens que son incapacité à gérer les transitions sociales a eu des conséquences désastreuses sur les comportements humains. En érigeant le laisser-aller et le laisser-faire en système de gestion, la sous-administration a laissé se développer la pauvreté de masse, la pauvreté à grande échelle qui plonge d’une manière profonde et complexe de larges couches sociales dans la misère.

Cette pauvreté de masse est de nature à rendre une société humaine pratiquement indéveloppable ; elle constitue une source de violences et de perpétuels conflits sociaux. Nous sommes donc en présence d’un vrai  désastre humain, où l’homme, réduit à un stade infra humain, se voit contraint de lier sa survie à la pratique d’une économie de la débrouille, dont les mécanismes maintiennent la société dans un état durable de précarité et de vulnérabilité. Nous sommes alors en plein effondrement économique et social, de régression et de dégénérescence.

Ainsi va donc Oran et son rapport avec son vieux cimetière. Une plaie dans la plaie. C’est là où l’histoire, rattrapée par le destin devient tragédie. L’histoire des multiples tentatives de dépersonnalisation qui va à la rencontre du destin cruel de déshumanisation.

Aux lecteurs avisés, une précision s’impose. Cet article n’est pas une lamentation sur notre sort ni une tentative de sensibilisation des pouvoirs publics sur le désastre de Moul Douma. C’est le moment de mettre le holà et que nous ne devons plus tolérer que nos morts subissent une deuxième et atroce mort. Puissions-nous vaincre notre médiocrité et cesser de feindre les morts-vivants pour ne pas affronter de tels périls. Si par le passé plusieurs générations d’Oranais sont parvenus à rendre vaines toutes les tentatives de dépersonnalisation de leur ville, il nous importe aujourd’hui de nous dresser contre toutes ces formes de cannibalisme et de vampirisme pour faire échouer cette démoniaque entreprise de déshumanisation.

Sachons donc assurer à nos morts la paix qu’ils sont en droit d’exiger de nous, car nous aurons à en répondre. Un noyau dur s’est déjà constitué en vue de fonder une association qui se propose de mobiliser tous les moyens utiles à la restauration et à l’entretien du vieux cimetière d’Oran. Les membres du noyau dur aviseront en temps utile des modalités de la tenue de l’assemblée constitutive de l’association projetée. C’est une occasion de rappeler que la liberté, ce n’est pas forcément cette tendance à se laisser aller ; pour ce qui nous concerne, c’est d’abord et peut-être surtout cette volonté de résister à la tentation du mal. Puissent les bonnes volontés répondre à ce cri d’alarme.

One thought on “SOS MOUL DOUMA : La mort après la mort.

  1. Wahran, Wahran Rohti Khsara……….!!!!!

    Effectivement, comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là …….? Un Cri du cœur qui va droit aux cœurs vivants……. !!!!
    Peut-on savoir si l’association a pu faire quelque chose pour sauver « Nos Morts »…..?????
    Est ce que les choses se sont améliorées pour ce cimetière, depuis le temps…….???? Avant, on s’inquiétait pour les vivants maintenant même nos morts sont en danger de mort….!!!!! Vraiment c’est un Fiasco Monumental…!!! Sommes nous vraiment conscients……??? J’ai peur qu’un tremblement de terre de magnitude 8 sur l’échelle de Richter ne vienne tout dévaster…..à des centaines de kilomètres à la ronde……Remarque peut être que c’est la meilleure solution à tous les mots/maux……!!!!!

    “In Lem Testahi If3el Ma Chi’ta”

    Mr Senni c’est quoi Moul Douma……??? Serait-ce en référence au Palmier Doum……? Merci à vous et à votre jeune cousin…!

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