Le 02 mars 1937 à Mercier Lacombe (Sfisef) : Un soulèvement ouvrier nationaliste.
Après les différentes révoltes et résistances, qui ont secoué l’Algérie durant le 19é siècle, juste après le débarquement de l’armée française à sidi Feredj, le début du 20é siècle, phase ou la colonisation était à sa courbe ascendante ,s’est développée une action d’ordre politique au sein de la masse ouvrière industrielle, qui a permis aux algériens d’intégrer le mouvement syndical d’obédience communiste, surtout dans la métropole. Effectivement l’émigration a joué un rôle prépondérant dans le réveil du sentiment nationaliste. Pour caricaturer l’importance de cette période dans l’engagement politique de l’émigration Mahfoud Keddache précise : « On ne peut pas, ne pas souligner la perspicacité et la maturité politique des cadres de l’émigration algérienne, qui ont su donner à cette époque et mieux que les intellectuels, une définition aussi large et aussi précise du concept de l’indépendance….. ». Depuis son assemblée du 20 juin 1926, l’Etoile Nord Africaine, dont les membres fondateurs, issus des éléments de l’émigration algérienne, adhérents au Parti Communiste Français dont ils avaient le soutien et celui de la IIIème internationale communiste, son programme politique qui était axé sur l’indépendance de l’Algérie, obligea le gouvernement du Font Populaire à dissoudre l’organisation en 1936.En Algérie, l’Etoile était connue depuis longtemps, quoique peu implantée sur le territoire national. Son journal El-Ouma, pénétrait en fait jusque dans les centres les plus reculés. Les services de sécurité ont été étonnés de constater à travers des exemplaires saisis, l’abonnement de conseillers municipaux et caïds . Même les fonctionnaires recevaient le journal sous enveloppe. Des militants avaient constitué dans la clandestinité des cellules étoilistes-communistes. Ni le nom de Messali, ni le programme de l’Etoile n’étaient donc inconnus en Algérie, surtout dans la mouvance communiste Algérienne issue du parti communiste Algérien reconnu à travers son congrès constitutif du 16 et 17 octobre 1936. Quoique n’étant pas bien infiltrée dans le milieu ouvrier, l’ENA a gagné beaucoup de sympathisants au sein du Parti Communiste Algérien. Ces derniers, au début de l’année 1937 ont pris part aux réunions clandestines du Parti du Peuple Algérien. Contrairement à l’ENA, ce dernier voulait avoir une assise en Algérie colonisée. La clandestinité permettait un attachement palpable des ouvriers agricoles aux principes fondamentaux du parti, entre autre, la revendication salariale par rapport aux ouvriers Européens. Il faut avouer que le PPA, malgré ses origines citadines au début, s’est partiellement distingué dans les dures luttes qu’ont connues les campagnes de l’Oranie. Les nationalistes ont pu s’imposer à partir d’août 1936, surtout au début de l’année 1937, comme la première force politique en rejetant d’emblée le projet Blum-Viollette. Le dynamisme de ces hommes enthousiasma la population indigène pour discréditer un système colonial sclérosé. En évoquant le projet Blum-Violette, il judicieux de rapporter une exclamation d’un nationaliste : « Le projet Blum-Viollette, on s’en fout ! Nous n’avons accepté de le soutenir un certain moment, que pour répondre aux colons qui s’y opposaient. »(1) En parallèle, un instituteur francophile profondément assimilateur, doutant sur la position équivoque des nationalistes, il publia sur son journal « la Voix indigène » : « Si on mettait toutes les revendications des indigènes dans une enveloppe et qu’on essaie d’en fixer le sens général par une formule, on serait presque obligé d’inscrire cette chose terrible : Français, allez vous-en ! »(2)
La première manifestation ouvrière qui a ébranlé l’administration française sur le plan politique national et internationale, s’est déroulée le 02 mars 1937 à Mercier Lacombe(Sfisef). C’est en Oranie que le mouvement revendicatif a atteint le plus de vigueur. Cet essor du syndicalisme imprégné du sentiment nationaliste a atteint sa maturité à partir de l’année 1936. En effet, plusieurs mouvements de protestation se sont produits au cours des années 1936 et 1937, une situation qui obligea le gouverneur général d’Algérie a lancé un appel au calme accompagné de mesures répressives à l’encontre des syndicats.
L’encadrement clandestin du mouvement ouvrier dont la majorité n’ont pas connu les bancs de l’école, était présent sur les lieux de travail, et en dehors au niveau des lieux populaires (cafés, bains maures, clubs sportifs, marchés journaliers ou hebdomadaire, mariages etc…). L’instruction en français et en arabe coranique permettait aux jeunes militants communistes, souvent syndicalistes, d’infiltrer aisément le mouvement ouvrier agricole. Généralement, ils exerçaient une activité professionnelle qui leur ouvrait le contact direct et discret.
Arbouz Abdelkader(3), Boukhoulda Djilali et Mokadem Mohamed, arabo-musulmans et militants communistes, à leur tête le premier nommé, le syndicaliste distingué ont réussi à faire sortir plus de deux milles ouvriers agricoles pour occuper la rue toute la journée du 02 mars 1937.C’était un mardi, jour du marché hebdomadaire indigène. L’écrivain public, le restaurateur des petites poches et le tailleur du tissu abordable, leurs espaces professionnels facilement accessibles, étaient pour beaucoup dans la sensibilisation ouvrière et de surcroit agricole.
Le lundi 1er mars, c’est-à-dire la veille de la manifestation, 300 ouvriers agricoles environ ont parcouru pacifiquement les artères de la cité. Le cortège a abouti devant le siège de la Mairie. Les manifestants ont exigé la présence du maire. Ce dernier, devant une situation inattendue, escorté par des gendarmes, a parlementé avec les ouvriers qui se sont dispersés calmement à la fin de l’entretien. Il leur a promis de sensibiliser les colons propriétaires des fermes et des vignobles pour une augmentation des salaires. Les organisateurs, pour brouiller l’information reçue par l’administration concernant la manifestation du 2 mars, ont provoqué un scénario la veille.
Malheureusement, le mardi 2 mars, journée du marché hebdomadaire arabe, à 7 heures du matin, les grévistes ont dressé des barrages sur les axes donnant accès à la cité. Seuls les paysans et les ouvriers agricoles venant des localités avoisinantes ont été autorisés à rejoindre le lieu du rassemblement, c’est-à-dire la grande place du marché. Selon la presse écrite de l’époque (Échos d’Oran et Oran Républicain), entre 3 000 et 10 000 indigènes se sont joints aux ouvriers agricoles de la région. L’autorité coloniale fit appel à l’armée d’occupation.
La situation s’aggrava d’heure en heure. Les grévistes commençaient à occuper les rues du village et les commerçants fermaient leurs boutiques. Alerté, le sous-préfet arriva de Sidi Bel Abbès, suivi de plusieurs autocars dans lesquels ont pris place les éléments du Ier Régiment étranger. Une violente échauffourée éclata entre les manifestants et la troupe militaire. Devant l’agressivité de cette dernière, les ouvriers répondaient par des jets de cailloux que les écoliers ramenaient dans leur cartable. On a compté plus de 10 légionnaires légèrement blessés. En début d’après-midi, deux autobus de la Garde mobile d’Oran font éruption dans le village. À leur tour, ils sont accueillis par une pluie de cailloux. En force combinée, les légionnaires et la Garde mobile chargèrent les manifestants. Ces derniers se dispersèrent pour rejoindre la grande place du marché. Craignant le pire, l’autorité coloniale a mis en place une cellule de crise présidée par le maire du village, monsieur Auguste Payri.
Les caïds de Saïda, Mascara et Mercier Lacombe sont dépêchés auprès des grévistes afin de trouver un terrain d’entente. Après une longue discussion, les émissaires ont proposé au maire une réunion avec les représentants des grévistes, particulièrement Abdelkader Arbouz, Mohamed Mokadem et Djilali Boukhoulda. Le maire convoqua d’urgence une séance de travail regroupant les représentants des grévistes et ceux des propriétaires des domaines agricoles en présence du sous-préfet. La principale revendication a été acceptée, à savoir l’alignement des salaires entre les ouvriers indigènes et européens. Une fois la réunion terminée et le résultat annoncé, les manifestants s’éparpillèrent lentement. En fin de journée, le maire déclara à la presse présente sur les lieux : « Si nous ne voulons pas perdre l’Algérie, il faut, coûte que coûte, arrêter le plus rapidement possible le travail sournois d’une bande de meneurs qui, en ce moment, sème la discorde parmi toute la population indigène de notre belle colonie… ». (Echos d’Oran du 03 mars 1937)
Effectivement, les trois représentants indigènes furent arrêtés et exilés. L’arbre de fer a été témoin de cette importante action, symbole de la lutte des classes pour les syndicalistes nationalistes algériens. Un long parcours qui a abouti à la guerre de libération nationale. Le prolétariat agricole et la paysannerie ont versé un lourd tribut. Ils ont fourni le gros des troupes des combattants de l’armée de libération nationale et ont subi le choc de l’affrontement sanglant avec l’armée d’occupation. La grande manifestation des ouvriers agricoles de Mercier Lacombe a marqué l’éveil de la conscience des masses populaires à l’égard du colonialisme.
Bibliographie :
-K.Bouguessa : « Aux sources du nationalisme Algérien »
-R.Gallissot : « Syndicalisme Ouvrier et question nationale en Algérie »
M.Keddache : « Histoire du nationalisme Algérien »
– L’ENA, et le mouvement national Algérien (actes du colloque tenu au centre culturel de Paris.)
-Echos d’Oran et Oran Républicain- 03 et 04 mars 1937
(1)-(2) :J.Fromage :L’Algérie vivra-t-elle ? Ou le projet Blum-Violette au temps du Front Populaire
(3) : Le 16 janvier 1938, il est élu secrétaire général du syndicat des ouvriers agricoles et du bâtiment de Mercier Lacombe(Sfisef). Sa détermination syndicale, lui coûtera deux années de résidence surveillée à Bossuet(Dhaya). En 1943, il est élu secrétaire général de l’Union locale CGT. Présenté par le Parti Communiste Algérien aux élections municipales du 29 juillet 1945, il est élu adjoint au maire. Candidats aux élections à la constituante, il expose à la radio, le 13 octobre 1945, le programme du PCA. En 1946, il est élu délégué régional du PCA, et membre du bureau de l’Union régionale des syndicats des ouvriers agricoles de l’Oranie. Au IVè congrès de l’union régionale CGT de Sidi Bel Abbès, le 16 février 1947, il est élu membre du bureau chargé des ouvriers agricoles. Au IIIé congrès de l’Union des syndicats d’Oranie, le 23 novembre 1947, il est élu membre du bureau exécutif.
Bonjour Driss.
Paradoxalement que cela puis paraitre ces grandes grèves ont été annoncés par le « BAREH » ! A Sfisef 1937 en deux période 02/03/1937 et 05/07 /1937- en plus celui de Sarno en 1949 et Descartes 1951…) Les ouvriers agricoles « Algériens » en Oranie (Puisque que les ouvriers Marocains émigrés acceptaient les bas salaires !!! ), que le mouvement de grèves s’intensifia sous l’égide de la CGT réunifiée et qui a permit justement aux militants nationaux communistes à l’algérianisation des structures de base de la CGT. Il faudrait aussi ajouter à votre liste (en plus des Arbouz,Boukhalda et Mokadem (lequel son âge était seulement de 27 ans)) les militants locaux suivants :Boutaleb Fekih (40 ans),Boulaarej Abdsalem,Mesbahi Bouziane (29 ans), Adou Mehaji(25 ans) ,Selak Belkacem (20 ans) et bien évidement le grand père de OULED BOUL et bcp d’autres.
Selon un authentique Bel-Abbésiens : ABID (Ahmed) dans sa thèse « Mouvement de grèves en Oranie 1930-1951».Doc de 3°cycle -Paris-1985- sous la direction de René Gallissot. C’est dans ces années de grèves qu’une fois fini la reconquête du terroir commença alors tambour bâtant la rurbanisation historique (pourtant phénomène sociodémographique nouveau) des villes comme Oran et SIDI BELABBES ! Le phénomène va passer à la vitesse supérieure après l’indépendance. D’ailleurs les Algériens ont gagné la bataille démographique « décisive » bien avant celle des autres batailles rangées!!! Ainsi ce qu’on appelle aujourd’hui une guerre de gang de quartiers ressemble fort à une série de vengeances en chaîne des évènements de l’Histoire.
Cela en fait un sujet de plus en plus difficilement détachable de n’importe quel débat authentique. Merci.
Bonjour Karim.
Je ne peux à aucune manière contredire notre historien. Les noms que vous avez évoqué ont certainement participé d’une façon ou d’une autre à la préparation de la manifestation, au même titre que le grand père de notre ami El Guilliti. Sfisef était aussi un bastion de nationalistes, ils sont bien les descendants des Donatistes. Marx a bien affirmé qu’il a étudié le mouvement donatiste. Concernant El Berrah, je ne peux pas m’avancer sur la façon dont il a annoncé la grève (le texte), car les services de sécurité étaient en alerte. Il faut dire mon ami Karim que nous avons beaucoup appris de nos ascendants, et nous léguons les leçons apprises à nos enfants. La seule morale, la vraie: » Soyons hommes , et ne baissaient jamais les bras devant ceux qui utilisent le pouvoir pour réprimer. La lutte pacifique avec le mot juste fait éteindre dans le temps , car la raison du plus fort n’a jamais été la meilleure, surtout lorsqu’elle est entreprise par la fonction et la qualité du pouvoir éphémère. »
A bon entendeur salut.
Merci Karim
Salam si Driss
En ces temps glauques ou la tromperie est élevée au rang de la vertu, ou le floutage délibéré des roles est manifeste ,votre récit est d’une importance capitale.,il est la voix des sans voix ,les oubliés de l’histoire et un rappel a qui veut l’entendre .En font partie ,ceux qui ne cessent de nous rabacher leurs exploits de libérateurs et ceux qui ont monopolisé a leurs profits la lutte de tout un peuple .
L’usurpation et le mensonge ne grandissent pas l’homme ,au contraire ,ils l’avilissent et précipitent au déshonneur et aux poubelles de l’histoire.Puis il y a des gens gens qui font l’histoire et il y en a que fait l’histoire .Ces audacieux hommes dont fut partie mon grand pere et a l’instar du reste du peuple n’ont pas attendu Max ,ni le fln ni Boumediene ou encore moins Bouef pour se poser en défi contre la colonisation.
J’espere qu’on cotinuera a creuser dans notre passé et mettre en évidence les soulevements populaires en dehors du folklore révolutionnaire orchestré par pontifs du tutorat….
Que l’histoire rendra Justice a qui Justice est due.
Oui, Khayi, il y a eu u mouvement de protestation des ouvriers agricoles à Descartes(Ben Badis) en 1952.
je crois c est un mouvement de greve qui a touche les regions de descarte –benbadis– et de ain tallout —-touaresse de ouled mimoun et je crois que la gendarmerie coloniale a abbattu 07 paysans et pour cela le feu President BOUMEDIENNE A PROGRAMME LA REALISATION D UN VILLAGE SOCIALISTE A AIN NEHALLA. MAIS C EST LE PREMIER VILLAGE SOCIALISTE A LA MEMOIRE DES PAYSANS ABBATTU ET TABASSES PAR LE COLONIALISME .
Bonjour.
« Les dignes enfants de la Botma » est le titre de mon prochain roman sur l’événement historique du 02 mars 1937.
mes amitiés