Pourquoi un avocat n’est pas en droit de se constituer dans une affaire sans qu’une demande explicite du justiciable ne lui soit adressée?
Pour répondre à cette question, il faut chercher quel est le fondement juridique qui détermine la nature de la relation avocat-client. Deux sources légales régissent cette relation: le code civil dans ses dispositions relatives au contrat de mandat; articles 571 à 589, la loi portant organisation de la profession d’avocat du 29 octobre 2013, article 13 et le règlement intérieur, article 97. Pour ceux des non professionnels qui ont assisté à des audiences dans les tribunaux, ils ont certainement entendu l’avocat plaidant, qualifier celui qu’il représente de « موكلي » (mon mandant). Le mot n’est pas prononcé de manière fortuite, il est l’expression avouée de la vraie nature de la relation qui les unit l’un à l’autre. Car il n’y a pas d’autre justification.
Or le mandat est un contrat bilatérale qui exige pour sa naissance et sa validité un accord explicite des volontés des deux parties: le mandant et le mandataire. L’article 571 spécifie clairement que « le mandat est un acte par lequel une personne DONNE à une autre, le POUVOIR de faire quelque chose pour le mandant et en son nom « Le contrat ne se forme que par ACCEPTATION du mandataire »…ce qui suppose nécessairement qu’il y’a une DEMANDE préalable. Il est donc claire que l’accord (demande de prestation et acceptation) des deux parties est nécessaire et que sans cet accord le contrat est nul et de nullité absolue et que le mandataire n’est pas qualifié à agir au nom et au bénéfice d’autrui ( ici plaider ou conclure au nom d’un justiciable).
Notant que l’avocat n’a pas toujours le monopole de la représentation devant la justice, que cette tâche peut-être confiée par le justiciable à n’importe quelle personne de son choix. C’est pourquoi l’article 574 du même code exige un mandat spécial et écrit de quiconque se prévaut du droit de représenter une personne devant la justice (avocat ou autre personne) sauf que pour l’avocat dont la constitution n’est pas soumise à aucun formalisme, il suffit qu’il s’engage par lettre de constitution qui vaut mandat, jusqu’à contestation du justiciable.
Mais on voit ces derniers temps des avocats s’engager dans des procès sans constitution préalable de mandants. Les cas ne sont pas isolés, surtout avec l’avènement du hirak où beaucoup de confrères se sont dévoués corps et âmes pour défendre les détenus du mouvement. Ces constitutions non contractuelles, populaires et tolérées, n’ont pas soulevé de problème particuliers à part quelques très rares cas où des inculpés ont récusé une défense spontanée non désirée.
Pourtant ces constitutions sont en effraction claire avec les dispositions de l’article 97 du règlement intérieur qui interdit clairement à l’avocat « toute recherche ou sollicitation de client » ou » de solliciter un détenu dans le but d’assurer sa défense ou de se présenter devant une juridiction pour une personne alors qu’il n’a pas été chargé d’assurer sa défense sauf dans le cadre de l’assistance judiciaire ou de la commission d’office ou lorsqu’il est exclusivement désigné par le bâtonnier ou son délégué ».
Deux choses à tirer de l’article 97 du règlement intérieur :
Premièrement: Son contenu est claire. Il interdit comme principe l’auto-constitution.Deuxièmement : il n’admet la défense sans contrat de mandat explicite d’une manière dérogatoire dans trois cas exhaustifs
1) l’assistance judiciaire
2) la commission d’office
3) la désignation par le bâtonnier ou son délégué. Pour revenir à ceux des confrères qui sont communément appelés « les avocats du hirak » ou « le comité de défense des détenus du hirak », on peut expliquer la liberté dont ils ont joui à l’égard des textes prohibitifs par une tolérance des barreaux dans une période où le hirak avait le vent en poupe et où il était mal venu et politiquement très incorrect et contre-productif d’interdire le soutien et la défense des « combattants de la liberté ».
Cette tolérance ordinale, contestable en droit, ne peut outrepasser la conjoncture qui l’a imposé. Pourquoi contestable en droit?
Parce qu’elle va à l’encontre de la nature même de la relation avocat- client qui est, rappelons le, éminemment contractuelle, nécessitant un accord de volonté et ce, dans l’intérêt et de l’avocat et du client et de la profession. Il est claire que, dans l’esprit des rédacteurs de la loi régissant la profession et du règlement intérieur, l’autorisation que donne le bâtonnier ou son délégué doit être exceptionnelle et nominative. Ce qui n’a jamais été le cas durant les deux années du hirak.Reste le cas de la constitution sans mandat dans l’affaire du meurtre du jeune Djamel Bensmail. Celle-ci n’a aucun fondement juridique et ne pourra jamais bénéficier de la même tolérance dont a bénéficié le « hirak acile ». Voici donc un avocat qui veut imposer ses services à des clients qui ne l’ont pas sollicité. Il n’est pas leur mandataire. Il n’est que le mandant de lui-même.
Faute de relation contractuelle consensuelle comme l’exige la loi et le règlement, et si on devait qualifier juridiquement cette initiative, la seule qualification possible est la « gestion d’affaire » que régit le code civil dans les articles de 150 à 159. L’article 150 stipule » il y’a gestion d’affaire lorsqu’une personne, sans y être obligée, assume sciemment la gestion de l’affaire d’une autre personne pour le compte de celle-ci ». Il est établi en droit , en doctrine et en jurisprudence qu’il ne peut y avoir gestion d’affaire que si l’intéressé n’est pas en mesure de gérer son affaire par lui-même (article 153). Il est évident que le père Bensmail, n’étant pas absent ou incapable de se défendre ou de choisir qui défend les intérêts de sa famille dans le procès à venir, l’intervention forcée de tout avocat devient illégitime, pour ne pas dire d’avantage.
NB. La gestion d’affaire est dite en arabe الفضالة et le gestionnaire d’affaire فضولي. En arabe le mot est plus vrai et plus fort pour qualifier le fait de se mêler de ce qui nous ne regarde pas sans y être invité.