Ce souvenir le fait encore rire. Un jour, un ministre déclara publiquement : « Il n’y a pas de pauvres en Algérie. » En réaction, Yacine Zaid diffusa sur Internet une série de petites vidéos montrant la misère, qui toutes commençaient par une dédicace au ministre. Le buzz qui suivi, fut immédiat.
Toujours à l’affût d’une manifestation ou d’une scène de rue, cet internaute zélé, formé par des activistes américains, ne lâche jamais sa petite caméra blanche, qu’il se trouve à Alger ou chez lui à Laghouat, à 400 kilomètres au sud de la capitale algérienne, dans la région du plus grand gisement de gaz naturel d’Afrique.
C’est là que Yacine Zaid est né il y a 41 ans, et qu’il est retourné après avoir été élevé à Sidi Bel Abbès pour travailler comme agent de sécurité ; c’est là que les ennuis ont commencé.
La multinationale qui l’employait, et dont il n’a pas le droit, par décision de justice, de citer le nom, l’a licencié après sa tentative de créer, en 2006, un syndicat pour protester contre les conditions de travail. « Ce renvoi a été le commencement du cauchemar », soupire Yacine Zaid, « inondé de procès« .
Plus d’une vingtaine de convocations devant le juge n’ont fait cependant que renforcer sa détermination. Pas un jour ou presque sans qu’il ne poste un message ou une vidéo pour prendre la défense du faible, alerter les journalistes et dénoncer un régime qu’il appelle de tous ses vœux à voir disparaître.
Depuis un an, il dirige le bureau de la Ligue algérienne des droits de l’homme, à Laghouat. « Il y a des gens qui ne comprennent pas, qui pensent que c’est un parti. Je leur explique que je suis là pour soutenir tous les mouvements pacifiques. »
Lui, de toute façon, n’ira pas voter aux élections législatives, le 10 mai : « Aucun parti ne peut me représenter. »
INFATIGABLE DON QUICHOTTE
Mais Yacine Zaid n’entraîne pas les foules. Dans un pays préoccupé par son quotidien, hanté par la guerre civile des années 1990-2000, où la société civile a été laminée, il reste isolé, avec un petit air de don Quichotte infatigable à l’assaut de géants et sans ressource.
« Je sais, c’est notre faiblesse, le manque d’engagement des Algériens permet au système de durer, soupire-t-il. Mais donnez-moi une Clio et je ferai chuter le pouvoir en Algérie ! s’enflamme-t-il, le regard noir. Eux, ils se servent seulement de l’argent du pétrole pour se maintenir ! »
La même détermination anime Abdou Bendjoudi, 28 ans, originaire de Kabylie, qui dirige depuis sa création, en mars 2011, le Mouvement de la jeunesse indépendante pour le changement (MJIC). « Un changement radical, précise-t-il, pas un changement dans la continuité avec comme acteur principal le régime. »
Le MJIC se définit comme un mouvement clandestin et a adopté pour slogan « Ceux qui ont fait la dictature ne feront jamais la démocratie. » Il milite pour le boycottage des élections. « Le vote est un acte citoyen dans une démocratie, justifie Abdou Bendjoudi. Il ne l’était pas sous Ben Ali. Ces élections sont une vitrine pour l’Occident, mais la démocratie ne se limite pas à cela, ce sont des valeurs. »
Fasciné par les révoltes du monde arabe, il a fait six fois le déplacement en Tunisie, y a même suivi les premières élections libres – « C’était magnifique » -, mais se montre circonspect sur la situation en Egypte. « On ne veut pas d’un changement incertain », confesse le jeune homme, qui a revêtu ce jour-là, par provocation plus que par conviction, un boubou bleu dans Alger, « parce que c’est d’actualité » avec les Touaregs au Mali.
MILITER POUR LE RÉVEIL DES CONSCIENCES
Blogueur depuis 2007, il utilise, comme Yacine, Facebook et Internet – Twitter n’est pas encore très répandu – pour passer son message. Ces outils de propagande sont jugés plus efficaces que les maigres rassemblements dans la rue, avec des draps pour banderoles, aussitôt dispersés par la police.
Début 2011, il a quitté un emploi enviable de responsable des achats chez General Electric, quitte à vivre dès lors de ses économies, pour s’engager à fond dans son combat : créer un tissu associatif militant et réveiller les consciences.
« L’élite en Algérie a été décimée, poussée à l’exil, et celle qui reste a fait allégeance au pouvoir, affirme-t-il. On a sous-traité la société à l’islamisme, en lui donnant le commerce informel, pour abrutir les gens et laisser les militaires au pouvoir. Aujourd’hui, on nous fait peur avec l’ingérence étrangère, mais nous, on dit que cette ingérence est créée par le pouvoir. »
Musulman laïque, comme il se définit, il projette, avec l’aide d’universitaires, d’ouvrir une « école » de militants dans les locaux prêtés par une association féministe.
Un voile sage sur les cheveux, Sabrina Zouaoui, 29 ans, juriste, a rejoint le MJIC à ses débuts après une « première sortie sur le terrain », lors d’une manifestation à Alger, en janvier 2011. « C’est là, dit-elle, qu’on a décidé de se prendre en charge. »
Isabelle Mandraud (Alger, envoyée spéciale)
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