COLOGNE FILLE DE L’IMAGINAIRE COLONIAL

Le 31 décembre,soir du réveillon du Nouvel An ou Nuit de Saint Sylvestre est généralement une période festive, où les seuls débordements sont parfois imputés à l’imprégnation alcoolique. Il est de coutume de s’embrasser et de se souhaiter une bonne année aux douze coups de minuit pour affronter l’année qui s’annonce et les rigueurs de l’hiver.À Cologne, ville allemande popularisée pour son parfum bon marché, ce 31 décembre 2015 allait l’associer à une folle rumeur qui se répandit comme une traînée de poudre. Des  “arabes”‘ en rut, de type maghrébin auraient fait subir des attouchements à nombre de jeunes femmes festoyant dans la liesse populaire.

L’intrus se faisait bouc en rut…et bouc émissaire comme nous le démontrerons. Des témoignages que l’on présentait comme crédibles et faisant état de sources policières, allaient déclencher un tsunami émotionnel pour reprocher à la Chancelière allemande sa politique d’accueil trop généreuse. Ceux qui étaient acquis aux thèses du grand remplacement des populations autochtones par des migrants de culture musulmane, allaient trouver une tribune inédite pour attiser la haine de l’étranger et arabe: une double peine. Très vite, des scènes qui rappelaient les agressions (réelles) autour de la place Tahrir au Caire et œuvres des batalguias du régime Moubarek, investissaient comme décor les places de Cologne et une multitude de “témoins” se pressaient pour évoquer ‘ces mains baladeuses et la tentative d’encerclement par des hordes de 20 à 30 personnes  “toutes de faciès arabe” et plus précisément maghrébin.

Dans un État de droit, le temps de la justice n’est pas celui du temps médiatique ( qui avait déjà instruit et condamné). Et à son grand honneur, malgré la difficulté de juger sereinement, la juge Anne Meier Coring a ordonné ce 15 novembre 2016 la relaxe de tous les accusés, suivi en cela par le Ministère public qui se prononcera pour l’acquittement des inculpés. Cette décision du Tribunal de Hambourg a fait l’objet d’un silence médiatique assourdissant et peu d’organes d’information l’ont relayée.
Silence radio!
“Il est plus facile de briser un atome que de briser un préjugé”  disait justement Albert Eistein.
Dans le cas de Cologne, le préjugé accédait au statut de projet politique en remobilisant l’imaginaire colonial le plus enfoui. Mais le refoulé fait toujours son retour en n’attendant que l’occasion propice, quitte à la créer. La lucidité du Ministre Allemand de la Justice, sera prise en défaut quand lui-même, intoxiqué par des sources mensongères et la manipulation d’extrême-droite , déclarera: “Quand une telle horde se rassemble pour enfreindre la loi, cela paraît sous une forme ou une autre planifié”.  Le rideau est tombé sur cette tragi-comédie qui aura vu notre Kamel Daoud se saborder en direct, victime de ses propres préjugés. Même si le terme “arabe” n’obéit à aucune définition précise, cet arabe mythique et atavique aura été convoqué pour instruire son procès in absentia.
À l’ancien préjugé de “l’arabe violent et perpétuellement en rut” se rajoute l’image du musulman terroriste, préjugé relativement récent et qui ne tient pas compte du projet d’un islam politique qui a aidé à manufacturer des printemps arabes qui n’étaient ni printemps, ni arabes!

L’imaginaire colonial a toujours tenté de justifier son projet d’asservissement des peuples par des pseudo-justifications scientifiques, en les présentant comme des conclusions de recherches d’anthropologues et de généticiens. James Watson, prix Nobel de génétique parlera ouvertement de la supériorité intellectuelle du blanc par rapport au noir. Ce dernier n’excellant que dans le domaine du sport. Concession minime. Il y la tête et les jambes n’est-ce pas?

Pour le musulman, la focalisation sur les aspects culturels et confessionnels, pousserait à lui trouver un gène terroriste et délinquant au regard de la forte population carcérale ( surtout en France).
L’arabe lambda, artisan du redressement économique des 30 glorieuses deviendra vite encombrant.  Le regroupement familial n’étant plus d’actualité, Giscard d’Estaing proposera dès 1973 des primes de retour. Après les chocs pétroliers des années 70, “l’arabe-musulman” cristallisera la haine et les populations issues de l’émigration seront poussées graduellement vers la paupérisation et cantonnées à des ghettos qui encourageront la marginalisation et le communautarisme.
Dans leur recherche identitaire anxieuse, ils devenaient cibles privilégiés de sectes prosélytes financées par le Pakistan, l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe, alors que l’influence des pays d’origine diminuait.  La Mosquée de Paris est vécue comme illégitime, et trop proche de la droite par beaucoup de fidèles des jeunes générations qui se tournent vers le modèle moyen-oriental ou l’Imam Google qui fait tant de ravages.
La “ré-islamisation” des ces populations,traduite dans l’observation mimétique de rites, de la prière , du Ramadan et le port d’habits connotés  “musulmans” a provoqué le surgissement d’une nouvelle grille de lecture.

Le musulman, de part sa différence religieuse, et son apparence revendiquée, induisait pour ceux qui lui était opposé une différence de nature, irréconciliable. Pain bénit pour une islamophobie recrutant large. Cologne est-un hasard? À force d’avoir une vision trop angélique sur ce pays, on est venu à occulter qu’il avait porté à la tête du Reich un certain Adolf qui compte encore beaucoup de nostalgiques.

AL-HANIF