Il fut un temps où, en se levant chaque matin pour aller au travail, le premier geste inaugurale de la journée était de passer par le buraliste, poussé par le besoin de satisfaire deux addictions : le journal et le paquet de cigarettes.
Aujourd’hui, tant qu’on vit, on se lève toujours chaque matin et on sort de chez soi tant qu’on peut. Mais si on passe par le buraliste, c’est toujours sous l’emprise du paquet de cigarette. Quant au journal, il n’intéresse désormais que les personnes atteintes d’un degré de vieillesse et de rigidité tel qu’il les rend impuissantes à s’adapter à la modernité et de lire à partir de leurs lits toutes la presse du monde qui leur plaira. Vieux, ils sont devenus archaïques. l’image actuelle du désespoir, c’est un vieillard cigarette entre les lèvres et l’image de l’anachronisme, c’est un vieillard un Android à la main.
Une nouvelle ère est installée pour durer. La révolution du numérique a entamé partout la mise à mort du papier: dans les administrations, dans les banques, dans le monde de l’édition, dans celui de l’enseignement et celui des communications. Il est en train d’achever son œuvre mortifère dans le monde de la presse.
Les ‘influenceurs » des temps modernes ne sont plus les magnats de la presse, ces grands patrons des journaux qui faisaient le bon et le mauvais temps et qui constituaient le puissant quatrième pouvoir. Les influenceurs sont des jeunes génies, enfants de leurs temps, qui abhorrent le costumes-cravate, qui manient l’outil informatique, et qui ont leurs codes et leur langage. C’est eux qui sont dans l’air du temps. C’est eux qui incarnent l’avenir. C’est eux qui comptabilisent les abonnés par millions alors que les journaux moribonds et coûteux ne se vendent que par milliers, au mieux, et par centaines, au pire. Ce capital d’abonnés intéresse le monde politique et économique plus que ne l’intéresse la presse écrite de laquelle il se détourne.
Dans le crépuscule des idoles de la presse algérienne, le Matin fût le premier à mourir de sa triste mort quand le pragmatique Issad Rabrab lui avait donné le coup de grâce pour abréger sa souffrance. On a alors crié au loup sans cœur, exigeant du capitaliste de passer outre ses intérêts et d’assister artificiellement un corps en perte de vie. Mais aujourd’hui le glas sonne pour El Watan et Al Khabar qui sont en train de subir le même destin pour former avec Le Quotidien d’Oran un triste cortège funèbre, confirmant ainsi que la mort naturelle du Matin ne fut que l’annonce d’une nuit sans fin pour toute la presse écrite.
Il est vrai qu’une certaine presse sans intérêt résiste encore à l’hécatombe. En véritable charognard, elle se nourrit des restes des confrères. Elle n’est maintenue en vie que grâce aux publicités dont on a privé les autres et qu’on leur offre en récompense. Mais elle aussi finira par succomber et mourir dans le champs du déshonneur.