LES MOTS JUSTES, SINON LES MAUX FORTS *

Toute la presse écrite fait la une des incendies qui frappent l’Algérie, qualifiant les auteurs probables qui les ont provoqué de pyromanes.

L’usage maladroit de ce vocable dans ces conditions est inquiétant et dénote d’un déficit professionnel chez nos journaux même les plus sérieux qui, souvent, utilisent à mauvais escient une terminologie technique sur laquelle ils n’ont pas une ascendance. Dans son édition d’aujourd’hui, le journal Al Watan par exemple, utilise le vocable “pyromane” dans tous les billets consacrés aux événements de la Kabylie. Ce qui n’est pas juste, car pour affirmer que les incendies sont le fait de PYROMANES, il faut attendre les résultats, non d’une enquête journalistique ou de police, mais d’une expertise psychiatrique et d’une qualification juridictionnelle.

Il y’a en effet une différence de taille entre les deux mots “incendiaire” et “pyromane”. Les législations pénales du monde entier n’utilisent dans leurs corpus que le premier vocable, laissant aux juges, après expertise psychiatrique, le soin de requalifier l’acte incendiaire en acte pyromaniaque. C’est le cas du code pénal algérien qui n’utilise le mot pyromane dans aucune de ses dispositions. Les articles 395 à 398 ce contentent d’une neutralité langagière en ne parlant que de ” celui qui met le feu…”, autrement dit l’incendiaire.

C’est que derrière les mots, et donc la qualification juridique des faits, il y’a des enjeux pénaux. Devant une juridiction pénale, même en cas de flagrance, il est en effet fort aisé pour la défense de plaider jusqu’à l’exonération totale de la responsabilité pénale pour déficience mentale ou, à défaut, les circonstances atténuantes pour un accusé dont l’expertise psychiatrique établit formellement qu’il est atteint de pyromanie. Chose qui est inenvisageable pour un incendiaire criminel confondu.

Ce qui sépare les deux actes: incendie volontaire et pyromanie, c’est l’élément intentionnel qui est un des éléments constitutifs et nécessaire en droit dans quasiment tous les faits que réprime la loi, qu’il s’agisse de crimes ou de délits.

En droit, toujours, est considérée INCENDIAIRE CRIMINELLE :” Toute personne dont les actes sont dirigés vers un profit personnel ou idéologiques, socio-politique”. C’est le cas de ce que l’opinion publique considère chez nous aujourd’hui : les incendies seraient, présuppose-t-on, le fait de personnes qui font dans le commerce occasionnel du charbon où d’actes malveillants et orchestrés tendant à déstabiliser la région de Kabylie à des fins politiques.

En revanche, le terme de pyromane, qui est une découverte assez récente de la psychiatrie (le premier à l’avoir introduit c’est le psychiatre français Henri Marc en 1835), concerne, à l’origine, “l’auteur de l’action de provoquer des feux et incendies, de façon répétitive, sans motif criminel ou recherche de gain ou de récompense”. Remarquons que cette définition de la pyromanie met l’accent sur deux éléments qui sont, d’un côté la répétition qu’il faut distinguer de la récidive, et de l’autre côté l’absence de motif criminel; ce que la théorie générale de l’infraction pénale appelle l’élément moral ou intentionnel, c’est-à-dire l’attitude psychologique de l’auteur vis-à-vis de la commission des faits réprimés par la loi pénale. Selon Henri Marc le pyromane souffre,” d’une forme de monomanie instinctive et impulsive dont l’origine serait développementale et cérébrale”. Traduit autrement et simplement, la pyromanie est une maladie psychiatrique comme une autre.

Après l’introduction de Marc Henri, il a fallu attendre l’année 1951 où les deux psychiatres américains Lewis et Yarnell, qui, après étude et décryptage de 1626 cas de pyromanes, donnèrent la conception actuelle de la pyromanie qui est: ” Un agissement sous impulsion irrationnel avec tension interne et agitation , motivé d’aucune raison objective”.

De ce qui précède, il apparaît clairement qu’il ne faut jamais confondre les étymologies, de veiller aux sens des mots et à leurs effets, car il ne sont jamais neutres. Qualifier de prime abord un acte incendiaire criminel de pyromanie, avant enquête judiciaire puis expertise psychiatrique relève certainement de la précipitation, mais aussi ou d’une ignorance impardonnable de la part de professionnels, ou d’une intention délibérée et sournoise de justifier le crime par le déséquilibre mental.

* Publié au moment fort des incendies de l’année folle 2021