«IL NE SERT À RIEN DE PLEURER.»

 J’ai été à sa tombe. Une fleur y est née. Comble du destin, un laurier rose. Magnifique fleur, mais  au goût amer. Comme l’amertume. Une tasse de fortune y a été  également posée par une main innocente, surement aimante, mais assurément ingénue, candide. L’eau de pluie du premier orage d’automne l’a saturée et les gouttelettes qui saillissent font semblant d’arroser la fleur.  Quinze ans  avant, jour pour jour, heure pour heure, eut lieu l’ignominieux massacre.

En ce moment précis, le bourreau accomplit sa “tâche” avec “abnégation“. Il y a exactement 15 ans. C’était bien un 27 septembre, mais un Samedi. 15h.20, la karsan immobilisée au bord du sentier à la limite de la forêt refuse de redémarrer, malgré l’insistance du chauffeur frémissant sous la fulmination de la horde sauvage. L’effroi que lui procuraient les “injonctions” de l’Emir de pacotille et les intonations graves des voix des jeunes filles qui lui parvenaient de l’arrière du véhicule créaient en lui un trouble qu’il n’arrivait pas à maîtriser. D’un côté, il est terrifié par l’image hirsute que lui offrait cette bête immonde qui parlait comme un humain, et le “bien-être” qu’il ressentait au fond de lui-même, procuré par les désarmantes psalmodies entonnées par les âmes sereines, se réfugiant dans les bras de leur Dieu Tout Puissant.

Les nombreux coups de démarreur n’y firent rien. Les victimes ne sachant où il était prévu de les emmener, imaginaient le pire dans leur for intérieur et s’acharnaient sur leurs prières qu’elles déclamaient en chœur, à haute voix, avec plein d’émotion, mais sans haine. L’intonation  a du donner des sueurs froides aux membres de la horde sauvage, eux qui ne ressentaient généralement rien. Ils n’avaient aucun sentiment, vivant constamment dans un état second.

Profitant de cet instant où les bêtes abjectes étaient distraites par le refus du véhicule de démarrer, le jeune Saber, bouscula le terroriste assis à  côté du lui, sauta sur le bas côté et pris ses jambes à son coup. Des coups de fusils. Plusieurs. Saber continue à courir. Il fut pris en chasse.

Un véhicule qui refuse de démarrer. Une victime qui ose défier l’emir et s’enfuir, un temps qui enrage. C’était largement suffisant pour une bête vivant de l’instinct de conservation.

15h. 40. Le ciel finit de s’assombrir. On aurait dit le crépuscule. Désarçonné,  le rat fit descendre les filles une à une et les égorgea debout, les mettant l’une sur l’autre pour former un tas. Il  n’entendait plus rien. Ni les prières, ni les pleurs du ciel, ni le bruit des rafales du vent, ni le clapotis de l’eau qui purifiait les corps souillés,  spontanément. Il était absent. Totalement. Il ne pouvait voir l’eau qui, devenue rose  après s’être mélangée avec le sang des âmes sereines, lui dégoulinait entre les jambes, pour aller irriguer les arbres de la forêt  avec le nectar des âmes pures.

Le chauffeur fut épargné. Probablement pour être le témoin de la barbarie. Ils avaient pour habitude de filmer leurs boucheries. Cette fois, il laissèrent le chauffeur raconter leurs “faits d’armes” En quittant les lieux, ils laissèrent un “amas” de corps sans vie, des sacs et des cartables, des cahiers humectés par la pluie d’où suintaient une encre, comble de l’ironie, souvent rouge, comme leur sang.

Le chauffeur roulait absent harcelé par la “chahada” que lançaient les filles, qui lui taraudait les tympans. Il voulait tout oublier, mais rien n’y fit. Il se demandait comment le véhicule a pu redémarrer sans problème, une fois que le massacre eut été consommé. Comme si Dieu ne voulait pas que les filles soient prises ailleurs et servir de butin de guerre à des déséquilibrés sociaux. Comme si Dieu voulait préserver la virginité des unes et la pureté des autres .Il est arrivé enfin en ville, sans savoir comment.  Il était incapable de rapporter les faits avec exactitude. Les familles l’assaillirent et ne dut son salut qu’aux services de sécurité qui le prirent en charge. Il était évidemment sous le choc. Sur les lieux du crime, une victime, dans son râle commence à ramper et tente de se lever à  plusieurs reprises .Quand, les secours arrivent vers le tard, elle gisait à plus de cinq mètres du “tas” de corps que le bourreau a décapité avec sang froid.

Une photo fut recueillie sur place. Elle était intacte malgré le déluge qu’elle a subi. C’était une photo d’anniversaire qui rassemblait les …11 enseignantes. L’officier supérieur de l’ANP dirigeant les secours qui en a vu d’autres dans sa lutte contre le terrorisme, en la ramassant ne put empêcher des larmes de perler sur ses joues.

Quinze ans après, les images demeurent. L’Histoire aura noté le passage de la horde sauvage et les hécatombes qu’elle aura perpétrés. L’Histoire retiendra les affres de la décennie noire. Elle enseignera nos descendants que l’Algérie aura vécu le pire des cauchemars que l’Humanité aura connue à travers les siècles.

C’est pour cela que pleurer n’a plus de sens. Il ne sert à rien de pleurer quand la bêtise à raison de la raison. Quand l’homme redevient prédateur. Quand les larmes sèchent avant de quitter les glandes lacrymales.  Quand un acte barbare fait honte à la nature qui se met toute entière à pleurer, à vouloir se “suicider” à refuser de servir de “refuge” pour des “troglodytes“.

L’assassinat des enseignantes n’est pas le plus “spectaculaire”.  Il y eut Bentalha, il y eut Ramka… Il y eut Lyabes, Belkaid, Boucebsi, Hasni, Alloula, Boukhobza, Bouras et Lakhdar Bouhoud qui fut l’un des premiers à avoir son cadavre piégé pour tuer les secouristes.

Il fut néanmoins le plus “spécifique” 11 femmes, enseignantes de surcroît qui ont accepté d’accomplir leur devoir dans des zones enclavées. L’héroïsme est là. Il n’est pas dans les “faits d’armes” de la horde sauvage.

Si on ne pleure pas les martyres du devoir, Il faut pourtant pleurer quand on voit des membres de cette horde vivre parmi nous, le plus normalement et rouler carrosse grâce au butin de guerre, qu’ils s’attèlent à blanchir.

Il faut évidemment pleurer quand on voit la permissivité avec laquelle leurs disciples continuent à guerroyer pour l’interdit.

Il faut pleurer les effets pervers de la  “conciliation.”

Le corps du jeune Saber ne fut retrouvé que le lendemain à quelques centaines de mètres du lieu du crime. Il était criblé de balles et achevé au couteau……..

 

djillali@bel-abbes.info

 

 N.B. Exceptionnellement, la chronique est mise en ligne au moment du crime.

 

3 thoughts on “«IL NE SERT À RIEN DE PLEURER.»

  1. Tous ls mots du monde,et tous les qualificatifs ne nous rends pas ses braves jeunes femmes.Allah yerhamhoum,je discuté hier à baton-rompu avec un Suisse marié à une Iranienne.Suite a tout ce qui se passe dans le monde arabo-musulman,Il m’a dit qu’on a cinq cents ans de retard pour y accéder au monde(civilisé).QUAND AU RESTE C’EST SANS COMMENTAiRE.

  2. Mr Djillali C.,
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    Mr Omega
    Merci de m’avoir permis de consacrer une page blanche de silence à la mémoire de nos soeurs-martyres puisque qu’aucun mot ne pourra traduire l’horreur de cet acte odieux, et qu’aucune larme ne saurait exprimer la douleur de leur calvaire.
    Mais il pleure quand même dans nos coeurs, et ce sont des larmes de rage devant tant de barbarie impunie ! Puisse Dieu avoir pitié de cette horde sauvage !
    Qu’Allah Le Tout Puissant accorde sa Sainte Miséricorde à ces innocentes victimes du savoir et du devoir .Elles continueront pour longtemps encore d’illuminer de leur courage la nuit de l’obscurantisme.
    Gloire à nos valeureuses chouhadates. Allah yerhamhoum.

  3. Mr Djillali C.,

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    Merci de m’avoir permis de consacrer une page blanche de silence à la mémoire de nos soeurs-martyres puisque qu’aucun mot ne pourra traduire l’horreur de cet acte odieux, et qu’aucune larme ne saurait exprimer la douleur de leur calvaire.
    Mais il pleure quand même dans nos coeurs, et ce sont des larmes de rage devant tant de barbarie impunie ! Puisse Dieu avoir pitié de cette horde sauvage !
    Qu’Allah Le Tout Puissant accorde sa Sainte Miséricorde à ces innocentes victimes du savoir et du devoir .Elles continueront pour longtemps encore d’illuminer de leur courage la nuit de l’obscurantisme.
    Gloire à nos valeureuses chouhadates. Allah yerhamhoum.

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