Pr Djillali Liabes
1948-1993

Voilà vingt et un ans, jour pour jour que  fut assassiné le professeur Djillali Liabès à Alger. C’était un 16 mars 1993 comme nous le rappelle l’un de ses fidèles compagnons , lecteur et contributeur de BAI à travers ce commentaire que nous reproduisons ci-dessous intégralement. Bel abbes info se joint à ce lecteur  pour rendre un vif hommage posthume à cet enfant de la ville de Sidi Bel Abbes assassiné à quelques mètres de son domicile à Kouba (Alger), le matin du 16 mars 1993, au moment où il s’apprêtait à se rendre à  l´Institut National des Etudes de Stratégie Globale (INESG) qu´il dirigeait. Cet institut fut sa “dernière halte professionnelle . Feu le professeur Djillali LIABES est né en 1948 à Sidi Bel Abbés. Suite à ses études primaires , il étudia au lycée Azza Abdelkader (ex lycée El Djala) de la ville où il  obtint son baccalauréat en 1967 ( série Lettres). Ses études supérieures à l’université d’Alger ont été sanctionnées par une licence en philosophie et en sciences sociales, il a obtenu son doctorat 3ème cycle et un doctorat d’état en littérature et sciences humaines.
De ministre des Universités en 1991, on lui annexa le porte-feuille de la recherche scientifique en 1992 et  au cours de la même année, Il fut désigné ministre de l’éducation nationale par intérim ensuite nommé directeur de l’Institut des Hautes Études Stratégiques Globales en octobre 1992. On dit de lui qu’il “faisait partie de cette élite intellectuelle algérienne porteuse d´une approche scientifique et ouverte aux idées novatrices” .

Aussi loin que remontent mes souvenirs à la veille de ce triste jour-anniversaire du 16 mars 1993 ,  les images que je garde en mémoire  de Djillali Liabès sont celles de celui qui fut  tour à tour le voisin dans notre quartier d’El Graba, le camarade de jeu et de classe , et plus sûrement l’ami qui, bien plus  tard, me manifestait sans ambages  sa sympathie  et son estime à chacune de nos retrouvailles,  certes de plus en plus espacées,  au fur et à mesure de la prise en charge des importantes et lourdes responsabilités  qu’il a eu à assumer  au cours de sa brillante et prestigieuse carrière.
De Djillali,  enfant et adolescent élevé dans une famille patriote et révolutionnaire, j’aurai retenu, de ce digne fils et représentant  de la ville, la forte personnalité qu’il  dégageait de sa silhouette élancée, de son teint clair et de son visage émacié qui ne l’ont pas quitté : celle d’un être affable et discret, réservé et  intelligent, respectueux et curieux, ouvert à tout  et  tout à l’écoute de l’autre, déjà  si sérieux et si pondéré dans sa façon d’aborder les choses de la vie. Il émanait sans cesse de lui cette intelligence et cette gravité dans l’attitude et le propos qui ont  été la marque de tout son parcours scolaire, universitaire et  professionnel.
A l’école ex-Turgot où nous poursuivions nos études primaires, nous attendions impatiemment l’heure de sport  pour que nos instituteurs nous conduisent vers le terrain de jeux  clôturé attenant à l’établissement où nous  « tapions le ballon », avec plus ou moins de bonheur, dans des parties âprement disputées.
Ce terrain  fut récupéré quelques temps après  par la municipalité pour y ériger ce qui allait être en 1960 les futurs «  nouveaux bâtiments », annexe moderne et mitoyenne du  prestigieux et ancien Lycée Azza ( ex El- Djala /ex Laperrine où Djillali  Liabès devait  passer son Baccalauréat). Ironie de la destinée, cette  partie de l’institution dont le terrain abritait auparavant nos activités de plein air est devenue aujourd’hui,  par mitose  académique,  le CEM qui porte son nom.
 Pendant les heures de cours, il prenait sérieusement sa revanche sur nous tant il excellait en tout, que cela en devenait souvent énervant avec sa tête d’éternel  premier de la classe !
Nous nous disputions  rudement en effet  la tête du classement,  en rédaction et en élaboration de textes libres, notamment dans la classe de  cm2  de Monsieur Benhamou (qui n’était pas un enseignant algérien comme son nom ne l’indique pas) et ce dans un but très précis.
En effet, ce statut de premier de la classe, qui nous était systématiquement ravi par le brillant et appliqué Djillali,  créait une véritable  et saine émulation   pour la prise de contrôle de la petite imprimerie de la classe qui nous permettait, à des heures déterminées de l’emploi du temps, de mettre en forme avec des composteurs , des caractères en plomb, des pinces  et à l’aide d’un miroir (puisque le texte était monté à l’envers , comme tous les imprimeurs vous le diront!), les meilleurs écrits des  élèves.
Djillali , plongé si jeune dans  l’encre et le papier qui le prédestinaient  déjà à «  l’ écriture »  , a excellé dans cet exercice de  « rédacteur en chef » de la revue de l’école, en mettant au pas les « apprentis-composteurs » que nous devenions donc  invariablement , surtout lorsqu’il nous confiait la lourde et périlleuse tâche  de passer proprement  et sans trop de dégâts le rouleau à encre au moment de l’impression du journal de la classe, dont je n’ai malheureusement gardé aucun exemplaire.
C’était le temps où cette école avait été choisie, avant l’indépendance, comme établissement-pilote  destiné à la promotion et la mise en œuvre de la méthode Freinet (dite méthode active d’apprentissage !).  Ce petit fascicule fait de textes et de dessins d’une dizaine de pages, que nous imprimions laborieusement feuille par feuille en une centaine d’exemplaires, était distribué au sein de l’école et adressé aux établissements similaires et jumelés de « la métropole », comme on désignait la France à l’époque.
Bien des années plus tard, nos sésames en poche pour engager nos études supérieures, nous eûmes l’occasion de nous revoir de temps à autre,  soit à L’AARDES et au CREAD pour des motifs de recherche universitaire,  soit dans des  enceintes universitaires,  notamment à Oran, où, parfaitement bilingue, il prodiguait  séminaires et conférences  dans ses champs d’études privilégiés tels que l’économie du travail et la sociologie industrielle, domaines  où il avait produit une importante et impressionnante somme de connaissances qui  ont fait autorité. Ou bien alors, il nous arrivait de nous rencontrer  au gré du hasard dans les institutions qu’il a eu à diriger, pour des raisons professionnelles ou personnelles.
De nature très affable et  serviable, il ne rechignait jamais à revoir les « ouled el bled » qu’il accueillait avec prévenance, simplicité et grande gentillesse  pour échanger des nouvelles de notre ville natale et de s’enquérir de nos parcours personnels et professionnels, et pour régler à l’occasion aussi, autant qu’il le pouvait, leurs diverses doléances parce qu’il ne pouvait s’empêcher de réprimer son altruisme et son empathie.
Je me souviens de manière particulière de cette journée de Mars 1993  quand il m’avait reçu dans son bureau d’Alger, alors qu’il  venait tout juste de prendre ses fonctions en qualité de Directeur général de l’INESG, après s’être acquitté de ses délicates missions de  Ministre l’Enseignement Supérieur,  puis de l’Education Nationale.
Après avoir  évoqué comme de coutume les truculents souvenirs de notre enfance, et examiné les aspects des questions personnelles  qui motivaient ma visite, nous abordâmes  incidemment les grands dossiers qu’il souhaitait mettre en   œuvre  dans ses nouvelles fonctions et qui traduisaient sa grande capacité de travail  et  ses facultés d’analyse ,  alliées à de fortes  aptitudes de synthèse, comme autant de  prédispositions   témoignant  d’une prescience inouïe  et d’une haute perspicacité de l’homme d’Etat qu’il était devenu, grâce  à  sa riche mais hélas trop courte carrière au service de la Nation.
Trois jours après cette rencontre, j’apprenais avec affliction et consternation  qu’en  cette matinée du 16 mars  1993, il venait d’être lâchement assassiné, à 45 ans,  au bas de  son immeuble de la cité Ben Omar d’Alger, visé à bout portant à la tête par un jeune écervelé-parricide du Savoir-, le ravissant ainsi brutalement et cruellement à l’affection de sa famille et à l’estime et à la considération de ses nombreux amis.
 Alors que son statut  de Cadre Supérieur de la Nation lui permettait d’occuper un logement dans la résidence d’Etat  du Club des Pins, il avait préféré réintégrer son petit appartement  à Kouba  en pleine tourmente des années noires débutantes , malgré  tous les avis dissuasifs de ses proches et amis, au prétexte  qu’il estimait ne pas devoir  occuper  indument un logement qui n’était plus lié à ses nouvelles fonctions.
Tel était Djillali, fait d’une seule pièce, entier, honnête et intègre, dans ses pensées tout comme  dans ses actes, même les plus anodins.
Vingt et un ans après,  parce qu’il avait une vision pour  le pays et qu’il aurait été encore très utile au développement de la recherche et de la science  et à l’effort d’édification de l’Etat, je réalise combien cet homme hors pair nous manque cruellement, et qu’il manque surtout à son pays, particulièrement en cette période où notre chère Algérie est toujours guettée par la tourmente.
Même si son nom est porté en son hommage au fronton de la plus grande institution scientifique  et culturelle de Sidi Bel- Abbès, il reste à souhaiter que son parcours exemplaire et que  les efforts  remarquables qu’il aura fournis au service de la patrie ne  sombrent pas totalement dans l’oubli,  sous le poids des  vicissitudes  et du tourbillon de la vie.
Allah yerhmak, cher Djillali.
Repose en paix,  en priant qu’Allah  Le Tout Puissant t’accorde Son Infinie Miséricorde dans Son Vaste Paradis.

OMEGA

* Article repris du commentaire laissé  le 15 mars 2014 à 22h 14 par notre ami omega sous l’article  « Le professeur Villani sème la mathématique » à Sidi Bel Abbes du 13 mars 2014