INTRIGUES DU PALAIS: NESMA OU LE DENI D’UN PERE (2ème Partie et fin)

…La machine à poursuivre fonctionnait depuis neuf heures : Le parquet à la commande, le greffe à l’exécution et des pourvoyeurs en criminels, venus par fourgons pleins des douze suretés urbaines de la wilaya. Ce n’est qu’à quatorze heures que vint notre tour. Pendant tout ce temps nous restions cloués dans un corridor exigu, tous égaux dans l’étroit ; suspects, flics et avocats. Sauf que les uns, rivés aux bancs, portaient les paires de menottes sur les deux poignets, les autres portaient les leurs dans une seule main et restaient greffés à leurs compagnons de fortune comme leurs accessoires et les troisièmes les mains libres, libres de rouspéter et de faire les cent pas.

– Bon, il est quatorze heures. Je suis enfermée dans ce bureau depuis neuf heures. Je suis fatigué. Je sens que ma tête va éclater, alors soyez bref.
– Pardon maitre, asseyez-vous.
– Non toi, tu restes debout. Allo, oui, mais non je n’ai pas demandé cela. Je veux que l’expert médical dise si la victime va perdre la vue définitivement ou non, vous comprenez, il faut qu’il tranche. De son avis dépendra la qualification des faits et le renvoi ou devant le délictuelle ou les assises, vous comprenez. Mais non, ça ce n’est pas votre problème, gardez le encore quarante huit heures,je signe. Compris? Au revoir. Allo, allo, oui, et à propos du nouveau né trouvé dans la décharge publique est-ce qu’il y a du nouveau? Ah oui ok, bon.
– Pardon maitre, tout ceci est infernal.
– Alors qui a frappé?
– Madame celui-la a pris ma fille par la force alors qu’elle était mineure, pour sauver mon honneur j’étais obligé de la lui donner.
– La lui donner! Ce n’est pas gratuitement que tu as sauvé ton honneur je pense. Tu veux dire qu’elle est sa femme. Continue, vite.
– Oui madame. Ma femme est malade sa fille est venue la voir et il a voulu la reprendre par la force.
– Ce n’est pas vrai madame le procureur.
– Tais-toi. Mais qui t’as donné la parole. Toi continue et répond,qui a frappé ? Répond simplement à la question simple, le reste ne m’intéresse pas. Allo, oui je vais liquider rapidement ce dossier, mais viens me remplacer s’il te plaît, je n’en peux plus, je suis crevée.
– Pardonnez maitre, c’est infernal.
– Oui, tu disais ? Qui a frappé ?
– Madame, ma fille…
– Non, sa femme. Qui a frappé ?
– Je veux vous dire madame…
– Ne dit rien, j’ai le dossier entre les mains, répond à ma question, qui a frappé ?
– Lui (le gendre) et lui (un des carnassiers).
– Et celui la ?
-Non.
– Et celui la ?
– Non.
– Madame…
– Non, ça va, j’ai fini avec toi.
– Tu as entendu ? Il dit que c’est toi et lui qui ont frappé. Qu’as-tu à répondre ?
– Madame, on a téléphoné à ma femme pour lui dire que sa mère allait mourir. On était donc obligé de venir la voir. Mais j’avais peur qu’on séquestre ma femme comme ça a été fait auparavant et que « lui » est ses amis m’agressent, alors je suis venu avec les miens, mais nous ne l’avons pas agressé, au contraire c’est lui qui m’a frappé, regardez, il a cassé le pare brise et les feux avant de la voiture qu’on m’a prêté.
– Je n’ai rien à regarder, lui il a un certificat médical, en as-tu un ? Non, alors… Expliquez-lui plus tard maitre. Continue.
– Madame c’est vrai que je n’étais pas quelqu’un de bien. Mais depuis que je me suis marié avec Nesma je me suis casé et je travaille comme livreur dans une boulangerie, je ne vis que pour ma famille. Je suis parti vivre et travailler ailleurs, à Ain-Temouchent, dans le but de nous éloigner et de protéger Nesma de son père.
– C’est son père. Tu ne vas pas me faire croire que tu la protèges mieux que lui, contre lui. Tu n’as pas plus d’inquiétude pour elle que lui.
– Si madame.
– Tais-toi.
– Tout est clair maitre vous pouvez disposer merci. Greffier faites les sortir.
– Madame c’est mon mari qui m’a sauvé de mon père et de la débauche dans laquelle je me trouvais à cause de lui alors que j’étais trop jeune…
– Donnez-lui un mouchoir. Calme-toi, ça ne sert à rien de pleurer. Ce n’est pas moi qui juge. Continue mais vas vite.
– Mon père s’en foutait que je rentre à la maison à minuit ou à trois heures ou que je ne rentre pas du tout, pourvu que je lui ramène cinq cent ou mille dinars, de quoi s’acheter sa bouteille de vin et son joint. Et quand j’étais plus jeune il m’a …
– Ah non, non, non, arrête. Aujourd’hui j’ai un dossier ou ton père est victime, il a un certificat médical, le reste n’est pas mon affaire. Tu sais des comme lui il y en a tellement par les temps qui courent.
– Greffier faites les sortir. Face aux épreuves de la vie, chez les voleurs, les violeurs, les maquereaux, les drogués à bas prix, les voleurs à la tire et les trafiquants de tout genre il y à une étonnante chaleur humaine et un esprit de solidarité inconnu des escrocs aux cols blancs, des
émetteurs de fausses factures, des chèques sans provisions, des férus de sang public et des évadés fiscaux. Ces derniers vivent leur tragédie judiciaire, et l’après tragédie, dans la solitude et plus tard, souvent, dans la misère, pauvres qui s’ignoraient et qui se découvrent. Les premiers, eux, ont ce secret de transformer le drame en une réunion de grande famille ou se rejoignent, au moment de l’épreuve, pères, mères, frères, sœurs, oncles, tantes, voisins, voisines et amis. Un monde que parfois une salle d’audience ne peut contenir. Grande richesse ou seul manque l’argent.

Dans le box des accusés les gais-carnassiers se pavanent et gonflent les torses face aux publics des salles d’audiences et ne baissent que rarement les yeux devant leurs juges. Ils savent que pour eux dedans n’est pas pire que dehors et demain n’est pas pire qu’aujourd’hui et hier. Il y à pour eux dans le crime comme une réhabilitation qui leur permet, faute d’être des saints, de s’élever au statut de « viril redoutable » et qui donne à leurs misérables parents cette compensation à leurs drames et à leurs échecs d’afficher une certaine fierté de leurs rejetons. D’où
l’accueil réservé aux héros, les youyous et la fête à domicile une fois la peine purgée ou graciée. Il y a en a même qui égorgent moutons.

Devant la machine à tri et à distribution des peines, le jour du procès, les inculpés, nombreux, étaient libres de leurs mouvements, dans l’espace de trois mètres carrés que constitue le box des accusés. Appelé à la barre, le père, victime statuaire, pris le premier la parole. Il exhiba le bras emplâtré et les six points de suture sur le cuir chevelu. Il s’acharna contre son gendre et disculpa ses acolytes, dans l’espoir, sans doute, de recevoir, toute honte bue, le complément aux arrhes déjà versés. Et il regarda Nessma le sourire aux lèvres, narquois et prometteur.

Puis vint le tour de Miloud. Et comme le veut la tradition et la règle de leur code de l’honneur « qui demande soutien paye peine» il assuma seul la responsabilité des faits, dignement, à voie basse, sans lever la tête de peur que le mensonge se voit dans ses yeux. Et il esquiva le regarder Nessma.

Les carnassiers jurèrent n’être pour rien. Et le novice joua le niais abusé.

Quant à Nessma elle ne prononça pas un mot, tétanisée qu’elle était par la perspective d’une condamnation lourde de son mari et par le regard vicieux et menaçant de son père. Morte, elle ne voyait plus rien, ne sentait plus rien. Ou irait-elle ? Comment lui échapper? Comment vivrait-elle ? Elle voulait, pour aider son mari et pour apaiser sa conscience, répondre au conseil de l’avocat de Miloud et dire en audience publique tout ce que le secret du cabinet de la république, occupé par le procureur, avait refusé d’entendre et d’écouter. Elle brulait d’envie de casser les tabous, de vider à la face du juge et de la curiosité du public le sac plein de toutes les perversions de ce géniteur biologique qu’on
appelle son père, qui était sur le point de réussir sa manœuvre : Instrumentaliser une justice expéditive et aveugle, briser sa paix retrouvée et ses espoirs et la ramener à la tanière qu’elle a fuit comme fuit le gibier le charognard. Elle n’a rien pu dire. Comment pourrait-elle, sinon, éviter les foudres de son géniteur en l’absence de son protecteur? Comment pourrait-elle croiser le regard de toutes les personnes présentes dans la salle d’audience, et les autres, si elle se dénudait devant elles ? Verraient-elles en elle une victime avec laquelle on compatit ou une trainée que l’on croira permise ?

Miloud fut condamné à un an de prison ferme. Son beau père reçu cent mille dinars à titre de dommage-intérêt pour préjudice physique et moral. De quoi faire son bonheur illusoire, et lui permettre d’assouvir sa soif en drogue et en alcool. Cette misère qu’il a demandé et qui lui a été accordé amplifiera la misère de son âme. Les autres co-inculpés furent acquittés. Qui est victime, qui est coupable ? Quelle est la part de l’ange en chacun de nous et qu’elle est la part du diable ? Qui mérite compassion, qui mérite sentence ? Miloud, ce petit diable qui a fait
preuve de dignité et de repentance, ou le beau père pervers ? Pourquoi dame justice persiste-t-elle à garder le bandeau sur les yeux ? Comment verrait-elle la vérité si elle reste sourde aux cris d’aide et de douleur. Comment frapperait-elle de son glaive menaçant le mal plutôt que le bien si elle persiste à garder les yeux fermés ? Ne peut-elle pas faire meilleur usage de la balance éternelle qu’elle tient dans la main, en ne se fiant pas uniquement aux apparences, à la matérialité des faits, à un certificat médical.

Fin
MEKIDECHE

(5 commentaires)

  1. Bonjour M.A

    Ce que je pense de la justice? Mon sentiment ne s’éloigne guère de celui du citoyen Algérien qui vomit l’appareil judiciaire. Comme vous le savez maître, j’ai beaucoup publié sur les dysfonctionnements de la justice Algérienne, et j’insiste pour dire qu’elle est pour beaucoup dans le marasme que vit notre société. Cette dernière ne peut évoluer que si la justice est citoyenne et indépendante, c’est à dire de qualité.Elle ne peut-être de qualité, si le magistrat est médiocre dans sa formation. Quand j’évoque la formation, cela ne veut pas dire uniquement celle qui est liée à son cursus.Aussi son éducation dans son milieu familial, dans son apprentissage au niveau de la société civile qui définit son engagement citoyen.
    Les réponses sont contenues dans le langage de madame le procureur et je cite:
    — Bon, il est quatorze heures. Je suis enfermée dans ce bureau depuis neuf heures. Je suis fatigué. Je sens que ma tête va éclater, alors soyez bref.
    -Allo, oui je vais liquider rapidement ce dossier, mais viens me remplacer s’il te plaît, je n’en peux plus, je suis crevée.
    -Ah non, non, non, arrête. Aujourd’hui j’ai un dossier ou ton père est victime, il a un certificat médical, le reste n’est pas mon affaire. Tu sais des comme lui il y en a tellement par les temps qui courent.
    -…..Ce n’est pas moi qui juge. Je suis enfermée depuis neuf heures-Continue mais vas vite.
    -Je n’ai rien à regarder, lui il a un certificat médical, en as-tu un ?
    Je résume mon cher ami M.A: Je vais liquider rapidement- Je n’en peux plus-Je vais crever- Soyez bref- Il a un certificat médical, le reste ce n’est pas mon affaire- Il a un certicat, en as-tu un?
    C’est le langage qui résume l’état d’esprit avec le quel nos magistrats affrontent le mis en cause qui jouit de la présemption d’innocence. Peut-on extirper la notion de qualité à travers un langage pareil? Impossible.
    Votre contribution, reflète votre honnêteté intellectuelle. Merci maître M.A.

    1. bonsoir cher ami REFFAS

      D’accord à cent pour cent avec vous. J’ai exprimé le même jugement que vous avec des mots différents. Et je vous assure que les mots et les réactions que j’ai attribué au procureur sont reportés fidèlement.

      Je rêve que l’on puisse un jour faire l’autopsie de la justice. Et comme vous le savez mieux que moi on n’opère l’autopsie que sur les morts ( vous voyez ce que je veux dire). Et peut être qu’après viendra la résurrection.

      La faculté de droit organisera à la rentrée un colloque sur l’erreur judiciaire. Je vous y invite personnellement. Se sera l’occasion peut être de tenter – modestement- une première autopsie.

      Amicalement.

  2. Mr AL MECHERFI BONSOIR

    L’histoire est réelle. Elle a été jugée le mois de mai de cette année. La raconter c’était pour moi l’occasion de dénoncer de manière allégorique certains dysfonctionnements de la justice que subit le justiciable (comme dirait notre ami Dr REFFAS) au quotidien. Les deux temps que j’ai nommé machine à poursuivre et machine à condamner reflètent la réalité. Il y’à malheureusement absence de l’humain dans l’acte de poursuivre et dans celui de juger qui sont devenus mécanique pour ceux qui on en la charge. Le tutoiement par le procureur des personnes poursuivies est l’expression de cette déshumanisation. Le refus de prendre le temps d’écouter les parties et d’approfondir les dossiers avant de condamner , ou pas, en est une autre. La justice expéditive est une réalité.
    « Les pourvoyeurs en criminelles par fourgons pleins » c’est évidement exagéré. C’est une hyperbole utilisée pour dire autrement la croissance exponentielle et inquiétante de la criminalité que la répression (policière et judiciaire) ne peut traiter à elle seule.
    Quelle est le rôle de la défense devant la police judiciaire, lors de l’enquête préliminaire et lors de la présentation devant le parquet ? J’ai essayé d’exprimer mon avis et de répondre par le truchement, là aussi, d’une allégorie : le peu d’importance accordée par le procureur à L’avocat qu’il fait semblant de ne pas voir, « pardon maitre assoyez vous ». De même quand j’écris de l’avocat qu’il était, à la différence des suspects, « libre de rouspéter et de faire les cent pas », c’est pour dire à quel point il est désarmé, ce qui est considéré sous d’autres cieux comme une grave atteinte au droit de la défense et au droit à la défense.
    Et puis comment prouver un crime ou un délit ? Que veux dire « l’appréciation souveraine ou discrétionnaire » et « l’intime conviction » derrière lesquelles se cache le juge pour condamner (ou pour libérer) de manière souvent incomprise et rejetée par l’opinion publique ? A ses interrogations j’ai répondu en interpellant la légendaire THEMIS cette femme aux yeux bandés qui porte une balance dans une main et un glaive dans l’autre, considérée par la mythologie grecque comme le symbole de la justice.
    Enfin juger selon la loi ou la morale ? Votre remarque Mr AL MECHERFI et pertinente. Seulement en matière pénale il y’a un principe constitutionnel repris dans l’article premier du code pénal comme une mise en garde « il n’y’a pas d’infraction, ni peine ou mesures de sureté sans loi ». C’est dit on pour empêcher l’arbitraire des juges ?
    Et que pense notre ami DR DEFFAS ?

  3. Bonjour,

    A.S de notre MILOUD !

    On voit bien, à travers ce fait divers, en quoi le critère de la conformité avec ce qui est « BIEN » ne suffit pas à rendre l’action de MILOUD : Une action moralement correcte (les youyous !!!).
    Oui, bien évidemment. On peut obéir à la loi sans y adhérer, mais le problème, ce genre d’acte ne peut être appelé « moralement bon » : c’est tout. Et puis …pour la JUSTICE ; l’affaire (et donc l’action du condamné) n’est PAS moralement bonne (Lui qui prétend agir par DEVOIR de l’amour de sa femme) puisque « extérieurement » le seul souci disant le but de MILOUD n’était pas SEULEMENT de faire le bien pour le bien, point à la ligne ! (Les carnassiers –preuve à l’appui).
    A mon avis, tous les AUTRES détails de ce fait divers sont importants, mais le plus important : est l’intention de MILOUD.

    Pour résumé cette « autre » histoire de Miloud : On peut dire qu’on peut forcer quelqu’un à obéir à la loi juridique, mais pour la loi morale ? « il ne faut pas frapper son beau père », on agirait moralement en respectant cette loi, mais,… un mot « terrible et extrêmement destructeur » manque terriblement dans ce remarquable texte qui est : « LA JALOUSIE ».Ah !!!!! Ces dangers de la jalousie amoureuse ! C’est le cas aussi de ce pitoyable couple Miloud-Nesma qui nous renvoie au cas de la justice et l’idéal social.

    Voilà ! et c’est bien entendu mon avis dans ce débat.
    Saha f’tourkoum.

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