Al Mecherfi nous revient ce lundi avec une Histoire inédite. L’Histoire simple d’un puits, oublié tant par la mémoire d’une ville que  par l’acculture de ses gouvernants. Ce vestige qu’on remarque tous, en longeant la route de Bou Sen, n’est pour nous qu’une simple “garetta” de la sinistre légion étrangère. Que non, nous dit AL Mecherfi. Il a une Histoire. Jugez-en!

Tourner en rond lorsqu’on a perdu ses repères, serait bien plus qu’une métaphore. L’un et l’autre s’équivalent avec tourner autour d’un puits ! Un puits de « pétrole » .N’est ce pas mon cher ami Djilali ! D’ailleurs, beaucoup d’histoire tournent autour d’un puits. Le Coran rapporte déjà une histoire de puits lorsque les fils de prophète Yacoub appelé aussi Israël, jetèrent leur frère Youcef dans un puits par jalousie. Mais attention à ne pas se perdre!

Hassi Lahmar 17 Avr 2014
Hassi Lahmar
17 Avr 2014

Il s’agit là d’un puits pas comme les autres. C’est un essai sur l’Histoire « environnementale », une sous-discipline de l’Histoire qui a émergé dans les dernières décennies. Le sujet propose une étude des relations entre sociétés humaines, la nature et leurs interactions.
Histoire d’un puits dans un endroit quelque peu oublié des hommes, pas profond, très étroit et surtout élevé en hauteur comme la tour d’une pièce de jeu d’échecs. Franchement ! Avez-vous déjà vu un puits « haut » de sept mètres ? Et comme par enchantement; à la forme d’un pentagone construit dans un cercle ! Un puits d’eau où l’on n’utilise pas le sceau et la corde ni même la pompe ?
Pourtant, parmi  les Bel-Abbésiens, rares sont ceux  qui peuvent l’identifier. Ce n’est pas la peine de chercher la causalité du problème. La réponse se trouve dans la première phrase de mon texte.

I – Un patrimoine historique délaissé aux chauves souris.

Ce puits pourtant ne semble pas être un sujet de préoccupation pour les autorités locales. De toute façon, ils ne savent même pas qu’il existe ! C’est vraiment un souci qui provient d’un état des choses difficile à supporter.
Ce puits « unique » dans la région, se dresse non loin de la ville du saint patron Sidi-Bel-Abbès El-Bouzidi .Plus exactement sur la route de Bou-Sen, tout près de ce qui reste du château Perrin. Ce puits bizarre et insolite se hausse à trois cent mètres environ de la rivière MEKERRA.
La couleur rougeâtre du puits s’explique par les matériaux de construction. Maçonné dans la terre par des tufs calcaires. Ce «Hassi» était relié à la Mekerra par des galeries souterraines à environ trois cent mètres plus loin. Ces galeries étaient généralement assez longues. Ceci-dit, selon le témoignage des anciens ouvriers agricoles de la région. Imaginez un instant le pénible « petit boulot » des malheureux ouvriers « indigènes Algériens » qui se déplaçaient « courbés » pour effectuer les travaux d’entretien.hassi 2
En définitive, ce puits n’était pas un forage vertical, autrement dit un aquifère. Trop près pour être un vrai puits ! Et trop loin des mamelons pour être une vraie tour de contrôle. Apparemment, c’était un « puits de rétention » du débit d’eau, installé à proximité et en communication avec la rivière. La connaissance du débit de la rivière Mekerra et de sa variation (régime hydrologique) était nécessaire pour divers objectifs notamment le suivi et gestion de l’irrigation. Les spécialistes [Étude APPV- SBA,2001], à travers une approche naturaliste (par opposition aux modélisations mathématiques) et ses méthodes historiques, ont situé le site où se trouve le puits, dans une troisième zone de crues et d’inondations . Mais, une confirmation des services hydrauliques pour valider non les faits historiques mais les anciennes techniques d’irrigations serait souhaitée.

II – Un héritage ancestral d’une technique d’irrigation.

1 – Historiquement, la plaine de la Mekerra comme toute l’Algérie, a aussi hérité de l’accumulation et la valorisation des techniques d’irrigation d’Andalousie (saguiya) qui allait compléter l’héritage de l’hydraulique romain qui était celui des citernes, des aqueducs et des transferts en lui apportant son art spécifique en la matière. La population autochtone sédentaire et semi-sédentaire fut constamment préoccupée d’agriculture et d’irrigations même si ce phénomène n’était pas constant à travers l’Histoire. Le général Dumas consul français auprès de l’émir, confirme cette réalité des faits dans une de ces lettres du 17 Aout 1838 : « … On arrive à l’oued Mekerra… Champs cultivés à droite et à gauche…». [Correspondance Cap Daumas, p 453].
Le colonialisme français, après avoir chassé et déplacé les autochtones des sections de tribus de la fédération des Béni-Ameurs et autres, enclencha alors, le mécanisme du partage et la répartition des terres confisquées aux colons par concessions au franc symbolique et souvent gratuitement. Parmi les bénéficiaires, il y avait à Détrie (Sidi-Lahcen) des émigrants Allemands mais surtout beaucoup d’Espagnols de la région d’Almeria, une petite ville au climat sec de l’Andalousie, connue mondialement par le système d’irrigation des serres et ses westerns spaghettis. La tradition dit que le nom Almería proviendrait de l’Arabe Al-Mariyya : « le miroir », entendez « le miroir de la mer ». Actuellement, l’interprétation la plus acceptée est qu’il dérive du terme arabe «Al-Mara’ā », ce qui signifie « la TOUR de garde », reconstituée, elle existe toujours ! Ne dit-on pas qu’en Andalousie, on n’est jamais bien loin de l’Algérie.

Notant qu’aucun barrage n’a été construit sur la Mekerra avant celui des Cheurfas (Sig). Le barrage Sarno, était surtout destiné à sauver et à améliorer les irrigations du colonat de St-Denis-du-Sig. Rappelons qu’à partir de 1854, des primes étaient accordées aux agriculteurs « colons » pour l’irrigation à partir des eaux de la Mekerra. Ce puits était réellement, une préoccupation de toute la région. Au bout du compte la colonisation ne réussit pas vraiment à développer l’irrigation en Algérie, bien que la politique hydraulique coloniale fût pensée pour servir et favoriser avant tout le colonat. D’ailleurs, ce puits dépassé , a été fermé et maçonné pour de bon !
2 – C’est l’architecture de la tour « PENTAGONALE », appelée aussi « Guarita » qui fait la spécificité de ce puits rouge (El-Hassi Lahmar). Sa tour géométrique de sept mètres de long avec cinq cotés de 1,50 mètre, est un « PENTAGONE », antérieur bien évidement au QG US « The Pentagon » à Washington DC.fig 2 Pentagone Pentagram
Normalement, les tours carrées sont d’origine arabe et les rondes sont chrétiennes. On sait qu’à partir du XIIe siècle, la traduction de nombreux textes arabes en latin ont permis aux européens une laborieuse assimilation du savoir de l’Antiquité (EUCLIDE-Père de la géométrie). Mais aussi Arabe, notamment, le Mathématicien ABOU AL-WAFA-(X°Siècle), à qui on doit le développement des constructions approchées à la règle et au compas de polygones réguliers à cinq, sept ou neuf côtés. Cela a donné un nouvel élan au développement du savoir et la géométrie y tenait une part importante.
3 – Cette tour rouge au dessus du puits fut construite par l’association du Syndicat des eaux d’irrigation de Sidi-Bel-Abbès, il y a plus d’un siècle et probablement plus encore! Il faudrait une confirmation archéologique. L’association, constituée par les colons des quatre communes: Sidi-Bel-Abbès, Détrie (Sidi-Lahcen), Prudhon (Sidi-Brahim) et les Trembles (Sidi-Hamadouche), pour l’irrigation de leurs concessions aux bords de la Mekerra a été agrée le 23 Aout 1889 par le préfet du département d’Oran.
Une « police des eaux » ou gardes des eaux a été nommée par le sous-préfet, spécialement chargée de la surveillance du puits et d’assurer la distribution et la répartition des eaux de la Mekerra telle qu’elle aura été arrêtée par le syndicat, de veiller à la conservation des canaux « Slouguiyates » et des rigoles « Saguiyates » selon le langage local, ainsi que tout les ouvrages dépendant du service des irrigations. Puisqu’il y avait huit zones : Sidi-Bel-Abbès, rive droite ; et rive gauche ; le Rocher ; Sidi-Brahim ; Sidi-Lahcen ; Sidi-Khaled ; Les Trembles et enfin la huitième,  Zèlifa. Cela explique en définitive cette « Guarita » sur le point d’élévation de la tour spécialement construite pour ces gardes des eaux. Pourtant, durant l’année 1875, un conflit s’est déclenché entre l’association coloniale de Sidi Bel Abbes et celle de Saint Denis de Sig à cause de la distribution de l’eau. Puisque la Mekerra devient en quittant la plaine bel-abbesiene : Oued Sig et ses eaux étaient utilisées par le syndicat de saint Denis de Sig ! Pour dire que ce puits a  été  l’expression  des conflits d’intérêts de la société coloniale.
Cette conjoncture de la nature en contact avec le système colonialiste est loin pourtant de rivaliser l’Historique « Tribunal des Eaux», (qui est la plus ancienne institution de justice d’Europe). Il a été créé par Al Hakim Al Mostansir Bibal en 960, en Andalousie. Il permet encore aujourd’hui de contrôler de manière équitable l’irrigation de la rivière Huerta, la zone maraîchère valencienne et touristique de l’Espagne.

III – Un oubli conscient qui n’a que trop duré.
Le concept « patrimoine », utilisé ici dans ce texte est lié à l’adjectif « historique ». Je lui confère personnellement, le sens de la protection et la préservation. Cependant, il faut reconnaitre que le volet historique du patrimoine (Plus ou moins architectural) de la période 1830-1962, reste jusqu’à présent dans la posture du déni. On le voit bien ! L’APC de Sidi-Bel-Abbès à bel et bien fait le «choix » de restaurer l’hôtel de ville. Pourtant appelé « Architecture coloniale » ! Certains se poseront la question : Ce choix est-il une reconnaissance ? Ce choix obéit-il aux valeurs historiques et aux références culturelles des Algériens ? Ce n’est pas facile pour notre société qui a vécu avec le colonialisme un affrontement ardu, d’accepter cette diversité conceptuelle .Rappelons-nous la sélection du passé s’effectue en fonction de paramètres liés souvent au présent. Certains, dirons que je tourne autour du puits .Mais la réalité est là ; le concept de patrimoine se pose en Algérie. Il est utile de noter que dans notre pays le patrimoine est souvent confondu avec «l’authenticité » (Al-Asala). Alors ! A travers ce puits ! Peut-on dépasser les séquelles de cet affrontement du passé ? A mon avis, il faudrait travailler dans ce sens. Il faut « protéger » ce puits qui deviendra un « bien commun ».

HASSI LAHMAR 2007
HASSI LAHMAR 2007

La conservation de ce puits étant aujourd’hui une fonction essentielle du premier responsable de la wilaya, il incombe par contre à la population, aux associations, à la direction de la culture et autres de préserver ce bien architectural comme un patrimoine historique et de l’intégrer par la suite dans la politique nationale de la restauration du patrimoine.
Conclusion : A travers ce présent texte libre qui n’est qu’un résumé, j’espère avoir éclairé à la torche les éléments qui conditionnent la réussite d’une opération de « sensibilisation » à savoir, le processus décisionnel et pratique. J’espère aussi impliquer les autorités locales et tous les acteurs soucieux avec une concertation élargie, a la «protection » de ce puits unique dans la région. J’espère enfin que cette Histoire ne sera pas un conte de « puits à souhait », ou l’on formule des vœux en fermant les yeux !
Au fait ! Les chauves souris ont déserté les lieux ! A cause des VANDALES qui ont détruit gratuitement le mur d’enceinte et voler la très solide petite portière de fer permettant ainsi aux vagabonds « ramasseurs » de ferraille de terminer le travail ingrat. Enfin ! Je me permets de lancer ce cri de cœur du haut de cette tour. A bon entendeur ! Salem.

Al MECHERFI@bel-abbes.info