L’OR ET LA BOUE

J’aime Ahlam Mostaghenemi et j’ai de bonnes raisons.J’ai longtemps différé sa rencontre littéraire pour de mauvaises raisons.

Elle avait sévi sur les ondes radiophoniques en diva charmeuse, seule de son sexe à s’imposer parmi les hommes.
Sa voix mélodieuse, cristalline et affirmée incarnait pour moi alors, une forme de futilité agaçante et je ne prêtais à ses émissions qu’une oreille distraite. je le concède, pas la même forme d’agacement que celle je vouais à feu le poète Lakhdar Essaihi dont les ‘nouktats’ moralisatrices n’édifiaient pas grand monde.

Rien alors ne laissait soupçonner la consistance d’une grande poétesse et écrivaine qui prendra une revanche éclatante sur des écrivains algériens ligués contre elle, qui l’excluront de leur association et précipiteront un exil non larmoyant prélude à une refondation et une nouvelle naissance à Beyrouth.

Ce destin contrarié, traversé d’épreuves a construit une écrivaine qui recevra en héritage l’onction de millions de lecteurs et la reconnaissance du monde littéraire. Ahlam- Beyrouth; il y a des villes comme des prénoms qui vous
captivent à l’avance.

Ahlam est surtout la fille de son père, Mohamed Charif, militant de la première heure, placé du mauvais côté de l’histoire un certain juin 1965, et qui payera ce séisme politique et personnel de sept années de soins suite à une grave dépression.

Ces faits que je ne connaissais pas m’avaient rendu injuste à l’égard de Ahlam version radio, car je ne savais pas qu’elle pourvoyait aux besoins de la famille dès l’âge de dix sept ans pour suppléer un père débarqué par l’Histoire et malade de la méchanceté et de l’égoïsme du pays.

Je demanderai dans la même foulée pardon à Lakhdar Essaïhi pour mes impatiences.

J’aime l’œuvre de Ahlam Mostaghenemi, non pas parce qu’elle est adoubée et sanctifiée par un lectorat plus nombreux que les légions romaines, mais parce dans ses écrits, elle met tout son amour, toute sa tendresse mais aussi toute rébellion contre les hypocrisies du monde arabe qui se satisfait des indigences navrantes. Et aussi parce qu’elle m’a réconcilié avec la langue arabe avec sa poésie choc qui reste classique dans la forme. Et miracle des miracle, je continue d’entendre la musicalité de l’arabe algérien à travers ses mots.

Son manque de reconnaissance dans son propre pays n’est pas une surprise dans un environnement habitué à transformer l’or en boue. Celle qui se reconnaît une responsabilité morale pour chaque mot qu’elle écrit, n’est plus concernée par nos pauvres parodies de débat qui font tourner le moulin à médisance.

J’aime Ahlam, parce que tout comme nous, elle fait couple avec l’Algérie et c’est à travers ses écarts et sa différence qu’elle promeut du commun et de l’universel.A ceux qui rêvent de clonage, de zombies porte-voix, engagés dans la promotion de la reproduction du semblable, Ahlam Mosteghanemi est dissonance.

Ils ne lui pardonnent pas de se déployer à partir des écarts pour tendre la main à l’expérience des hommes et des femmes car ils sont incapables de mettre leur pensée en tension.

Pourquoi ce texte, dont il n’y a aucun destinataire? La réponse est aisée: ne pas s’engager, c’est déjà s’engager!

Tout lecteur averti sait que toute description n’est pas prescription; et enseigner l’essence machiavélienne, c’est vanter une vertu dont aucune foule n’est capable.

Ahlam fait œuvre et en langue arabe , parce qu’elle n’embarque pas cette dernière dans un sarcophage en bois, et ne lui fait pas subir toutes les niaiseries, ne l’habille d’aucun corset, mais l’aide à réinvestir le quotidien et ses préoccupations.

Les contraintes aident souvent à faire émerger le talent et l’exil libanais à faire connaître et aimer une algérienne au monde entier, ce qui n’est pas arrivé depuis Warda El Djazaïria. Reines de la culture, je vous aime et vous dis merci.

AL-HANIF